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Depuis 23 ans, ces infatigables bénévoles se réunissent chaque samedi pour reconstruire un château médiéval en ruine dans l’arrière-pays niçois.

Appuyé sur son bâton tel un vieux berger, Roger, 86 ans, veille à ce que les pierres, éparpillées au fil des siècles, reviennent à la bergerie. Celle qu’il entreprit de reconstruire avant que le poids de l’âge ne le cloue au pied de l’échafaudage. Dernier chantier en bordure de Castel Nuovo. Fortifié entre mer et montagne au VIIee siècle, puis progressivement dépeuplée jusqu’au XVIIIe sièclee siècle, la vieille ville médiévale domine Châteauneuf-Villevieille (lire ci-contre). Et nourrit l’imaginaire romantique des Madones dans un décor provençal qui n’a rien à envier aux muses de Giono et Pagnol.

Éternel grand enfant du village de 971 habitants, Roger n’avait d’autre choix que de se mettre au travail. Ce 5 octobre, comme chaque samedi matin depuis 23 ans, il œuvre, avec une quinzaine de bénévoles acharnés, à redonner à la cité perdue sa splendeur d’antan.

Deux décennies de travail et de rêves pour redonner tout leur aplomb et leur fierté aux tours nord qui dominent la vallée. Reconstruire la grande tour du pigeonnier (1) dont il ne reste qu’une vieille photo du début du siècle dernier. Sans rien connaître des secrets du métier de constructeur, il fallait mettre de l’ordre dans le chaos.

Pas d’argent mais de la passion

« Un programme complet qui demande beaucoup de persévérance et de passion »résume Edmond Mari sans fausse pudeur. Maire de la commune depuis 1999, il a créé dans la foulée de son élection l’Association des propriétaires pour la préservation du site des ruines. Depuis, le projet Castel Nuovo compte une cinquantaine de bénévoles et 120 contributeurs. (2).

« Aucun argent public n’est investi. Nous fonctionnons uniquement sur le mécénat, la vente de produits dérivés ou les dons en nature d’entreprises locales : sacs de chaux, outils… »ajoute le conseiller. Pour mieux saluer la mobilisation de ses camarades : « Sans eux, rien ne serait possible. »

Des armes de tout le département

Si certains viennent du village ou de Nice, d’autres fanatiques traversent une partie du département, de l’extrême est à l’extrême ouest.

C’est le cas de Raphaël Bistoli, 62 ans, récemment retraité à Mandelieu. Départ à 7h pour être là à 8h

Au début de l’automne, sous un soleil encore radieux, la discipline ne demande pas les mêmes efforts qu’au cœur de l’hiver et de ses premières nuits. “Mais même alors, je serai présent”» décide celui qui a répondu à un appel à volontaires, lancé dans les médias il y a deux ans. “Je n’y connaissais rien, mais j’étais un amoureux de la pierre”» livre l’ex-ingénieur. Qui devait « transpirer beaucoup » à « se former sur le tas ».

Constructeurs autodidactes

Comme Raphaël, beaucoup d’entre eux sont arrivés ici avec seulement leur volonté de fer. Comme les hommes qui ont construit Castel Nuovo : « Paysans, bergers, pauvres et humbles », dépeint Jean-Marc Gianno avec une touchante admiration pour ces lointains ancêtres. « Ils profitaient du peu de temps libre dont ils disposaient. Parce que c’était chez moi, parce qu’il fallait le faire. » poursuit le volontaire trinitaire de 72 ans. Face aux murs de pierres sèches et aux pierres grossièrement équarries, la figure mystifiée du Compagnon s’efface. Ce site n’est pas celui de Guédelon où travaillent historiens et bâtisseurs professionnels (3). Ici, il n’y a que des autodidactes, qui imposent le respect.

En deux décennies, ils ont développé un véritable savoir-faire, doublant leurs prouesses. En témoigne la reconstruction récente d’une voûte en plein cintre accolée à l’emblématique pigeonnier, point d’orgue du projet.

Future maison du patrimoine

« En fin de compte, nous ferons [de ce corps de bâtiment] une maison de l’environnement et du patrimoine”présente le maire, qui reconnaît s’être battu pour obtenir le droit de rénover les ruines. Il estime ainsi que« En , on ne peut pas toucher une pierre sans autorisation. Tout doit être préservé [a fortiori dans un site classé monument historique en 1939]. Il fallait donc accepter le principe de la réhabilitation.» UN « vraie victoire »les bénévoles sont d’accord.

Trouver du sens

« Sans cette aventure, le château serait resté abandonné, oublié. Nous ne nous serions jamais rencontrés non plus.» précise Jean-Philippe, président de l’association Les Amis de Castel Nuovo, créée en 2023 pour rassembler les fidèles parmi les fidèles.

Le grand homme de 56 ans, qui fait le déplacement chaque semaine depuis Roquebrune-Cap-Martin, le confie : il a trouvé sa quête. Spirituel, humain. Une sorte de “thérapie”il sourit avec pudeur et poésie : “C’est le ‘pays heureux’, le pays de la joie [en anglais]. Les querelles de village restent en bas. Ici, nous sommes dans un autre temps, un autre espace. Parce que nous travaillons pour quelque chose qui nous dépasse.

Appuyé sur son bâton devenu canne d’architecte, le malicieux Roger hoche la tête : «Cela nous survivra à tous. Et je ne dis pas ça parce que je suis vieux. C’est un projet qui s’étend sur plusieurs générations.

1. Des modèles 3D des ruines et des vidéos permettent de visualiser l’avancée des travaux, sur le site Castelnuovo.fr

2. Nettoyage : [email protected]

3. Dans l’Yonne, depuis 1997, un site expérimental fait revivre le château de Guédelon, construit selon les techniques et les matériaux utilisés au Moyen Âge.

4. Contactée, la cellule départementale de l’architecture et du patrimoine n’a pas répondu.

La grande tour du pigeonnier de Châteauneuf-Villevieille, ici le 5 octobre 2024, a été finalisée il y a un an après deux ans de travaux. Bonne matinée.

Un château avec 13 siècles d’histoire

À première vue, Châteauneuf-Villevieille semble mal nommé : de nouvelles maisons continuent de se construire dans le village tandis que la ville fortifiée n’est plus qu’un champ de ruines. Pourtant, tout cela a du sens.
Les habitants du village primitif, fondé par les Romains, ont atteint leur apogée au cours des VIIe et VIIIe siècles. Pour échapper aux invasions des barbares qui ravageaient la région, ils construisirent une nouvelle ville nommée, à juste titre, Castelnuovo.
Entourée de remparts et flanquée de nombreuses tours, la ville devient une place forte appréciée de la noblesse niçoise. Pendant près de dix siècles, le site a prospéré.
Puis vint une guerre de trop, celle de la Succession d’Autriche, qui vit les Espagnols s’emparer des murailles en 1744, les arrachant au royaume de Sardaigne.
Déserté à la fin du 19ème siècle
Avec le traité d’Aix-la-Chapelle mettant fin aux hostilités en 1748, la paix rend les remparts obsolètes. Petit à petit, jusqu’à la fin du XIXème siècle, les habitants reviennent à Villevieille, où les champs sont plus fertiles et la Source plus abondante. La vieille ville fut alors transformée en une vaste carrière où il faisait bon creuser les pierres nécessaires à la reconstruction de son habitation.
Et ça, “jusque dans les années 90”assure Edmond Mari. Le maire conclut : « En voyant ce type de comportement, je me suis dit qu’il fallait sauver notre patrimoine. » C’est à ce moment que naît le projet de reconstruction de la ville.

 
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