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Des inspections sur le terrain en chute libre

Au cours des cinq dernières années, les inspections ministérielles des vendeurs de pesticides et des fermes qui les utilisent ont diminué de moitié, passant de 1 537 en 2019-2020 à 751 en 2023-2024, selon les données révélées dans le cadre de la Loi sur l’accès à l’information.

Alors que la province compte plus de 2 500 titulaires de permis pour la vente ou l’utilisation de pesticides, le ministère a réduit sa capacité à arrêter les contrevenants qui, par exemple, possèdent des substances chimiques interdites, dépassent les quantités prescrites ou stockent mal les produits. ou les propager au risque de polluer les cours d’eau.

Les pesticides, «ce sera nous qui finirons par les consommer au bout de la chaîne alimentaire», affirme Christian Daigle, président du Syndicat des services publics et parapublics du Québec (SFPQ), qui représente les inspecteurs. “Pour nous, cela pose un problème que le ministère abdique sa mission première.”

Inspections à distance

Un porte-parole du ministère de l’Environnement, Frédéric Fournier, indique qu’à l’exception de la première année de la pandémie, en 2020, « chaque année, le ministère a consacré à peu près le même effort de contrôle au secteur des pesticides ».

Mais d’autres chiffres du ministère montrent qu’il y a eu une baisse totale de 760 inspections en cinq ans, passant de 1.800 à 1.040. Ce total cumule en revanche les contrôles effectués sur le terrain — qui prennent 2 à 3 jours ouvrés — et ceux qui se font « hors site », par email ou par téléphone, et qui sont beaucoup moins poussés.

Ce jumelage tend à gonfler les chiffres, déplore le syndicat des inspecteurs. «Pour moi, c’est de la malhonnêteté intellectuelle de la part du ministère», estime Christian Daigle.

Les chiffres du ministère de l’Environnement cumulent les inspections réalisées sur le terrain et celles réalisées « hors site », par mail ou par téléphone.
(123RF)

De la boue sur les bottes

La perte de la moitié des inspections sur le terrain concerne Claire Bolduc, agronome et préfète de la MRC du Témiscamingue. Jusqu’en 2008, elle était responsable des inspections à titre de directrice régionale du Centre de contrôle environnemental du ministère de l’Environnement pour la région de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec.

« On dit toujours aux agronomes : ‘si on veut être un bon agronome, il faut beaucoup de terre.’ Allez sur le terrain, parcourez le terrain ». C’est la même chose pour les inspecteurs.

— Claire Bolduc, agronome et préfète de la MRC du Témiscamingue

Le préfet fait un parallèle avec la surveillance policière, qui incite les automobilistes à ralentir sur la route. La fréquence des inspections sur le terrain, souligne-t-elle, a un effet similaire sur les agriculteurs, qui sont incités à respecter davantage les règles relatives aux pesticides, pour leur bénéfice et celui de la population. «Le respect de ces mesures passe par l’eau potable. Le respect de ces mesures, c’est ce que nous allons manger», affirme Claire Bolduc.

Impacts sur la santé

La baisse des inspections sur le terrain survient alors que les ventes de pesticides atteignent des sommets records au Québec.

Selon le plus récent rapport du ministère de l’Environnement, les ventes pour 2022 ont dépassé la barre des cinq millions de kilogrammes au Québec, en baisse de moins de 1 % par rapport au record historique de l’année précédente. Commercialisé sous la marque Roundup, le glyphosate est de loin le pesticide le plus populaire, représentant 42 % des ventes.

Les ventes de pesticides atteignent des sommets au Québec. (123RF)

Professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval, le Dr Martin Pelletier a démontré dans une étude comment le glyphosate pouvait perturber la réponse du corps humain aux infections. Et il ne voit pas d’un bon oeil la baisse des contrôles sur le terrain.

« Cela ne me semble pas une très bonne idée de réduire ces observations. On sait de plus en plus que les pesticides ne sont pas inoffensifs pour les humains», explique M. Pelletier, chercheur régulier à l’axe Maladies infectieuses et immunitaires du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval.

Le Dr Pelletier craint que la réduction de la surveillance ne favorise la prolifération des pesticides dans les champs. Il s’inquiète également du fait que les Québécois en ingèrent davantage.

“C’est comme si on mettait la responsabilité sur le consommateur de dire : ‘eh bien, c’est à toi de trouver une autre solution si tu ne veux pas être exposé à ça, sinon, très bien,’ dommage’

— Dr Martin Pelletier, professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval

Mener les promesses

Après l’affaire du lanceur d’alerte Louis Robert et une commission parlementaire sur l’impact des pesticides, le ministre de l’Environnement avait espéré que l’usage systématique des pesticides deviendrait “une démarche du passé”, estimant qu’un usage “limité et responsable” réduirait les risques qu’ils comportent.

Dans un projet de loi omnibus adopté en 2022, le ministre Benoit Charette a donné du muscle à la loi sur les pesticides, notamment en introduisant des amendes pour les contrevenants. Cela «démontre la volonté» du Québec de «renforcer l’application de la loi concernant les pesticides et d’assurer une gestion responsable des pesticides», souligne Frédéric Fournier, porte-parole du ministère.

En 2023-2024, première année où des amendes ont été imposées pour les pesticides, le ministère en a imposé 13 pour l’ensemble du Québec.

Plus de tâches, autant d’inspecteurs

Le ministère de l’Environnement ne précise pas pourquoi ses inspections ont diminué pour les pesticides. Il ne s’agit pas d’un manque de personnel, soutient le syndicat. «On ne dit pas qu’il y a moins d’inspecteurs qu’avant», affirme Christian Daigle, du SFPQ. Le problème, c’est qu’il y a plus de mandats qu’avant, qui sont confiés au même nombre d’inspecteurs.»

Christian Daigle est président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec. (Erick Labbé/Archives Le Soleil)

Selon M. Daigle, le ministère devrait corriger la situation en menant une campagne intensive d’inspections pour rattraper le retard accumulé. Elle devrait alors établir une planification plus rigoureuse, afin de disposer d’effectifs suffisants pour absorber l’augmentation des mandats.

Comptes à rendre

Pour la directrice du Collectif de recherche Ecosanté sur les pesticides, politiques et alternatives à l’UQAM, Louise Vandelac, le gouvernement doit répondre aux questions soulevées par la baisse des inspections sur le terrain.

Si « on surveille de moins en moins, il faudrait exiger des comptes de ceux qui donnent des ordres », estime Mme Vandelac. Je veux dire, pourquoi font-ils ça ? Quelles sont leurs motivations ? Il n’y a pas moins de problèmes, il n’y a pas moins de pesticides, il n’y a pas moins d’effets secondaires, il n’y a pas moins d’érosion de la biodiversité. Autrement dit, quelle est la logique qui peut expliquer une telle attitude ? À mon avis, la charge de la preuve leur incombe.

 
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