Le modèle suisse est menacé. Quel modèle ?

Qu’est-ce que l’identité suisse ? Partant du principe qu’il est en danger, qu’il se perd, Paul Widmer doit le définir et ce n’est pas inintéressant. Selon cet ancien diplomate alémanique, « la Suisse constitue dans quatre domaines importants une solution alternative au mainstream européen » : la démocratie directe, le fédéralisme, le multilinguisme et la neutralité. Ce qui est sûr, c’est que Paul Widmer idéalise la Suisse. Il le fait en recherchant les origines de l’identité suisse dans les actes fondateurs, dans ce que les esprits critiques considèrent parfois comme des mythes. À la base de tout, il y aurait un puissant esprit de liberté. Il ne le cite pas dans son livre mais on y voit le courageux Guillaume Tell refuser de s’incliner devant le chapeau de l’infâme bailli Gessler. Cela dit, cet esprit de liberté existe mais il reste à définir : quelles libertés veulent les Suisses, pour qui ? En réalité, la première liberté en Suisse aujourd’hui est celle du commerce. D’autres libertés sont admises pour autant qu’elles n’empêchent pas l’enrichissement de ce qu’on n’ose plus appeler la « bourgeoisie dominante ». Mais ce n’est pas là que Paul Widmer voit le danger qui menace le modèle suisse. Plutôt dans l’abandon de la neutralité, qu’il documente de manière intéressante : la Suisse « est trop centrée sur elle-même, trop soucieuse de son propre prestige ». L’auteur parle bien sûr beaucoup d’histoire et un passage du livre mérite particulièrement d’être retenu : « Ce qui s’est passé vers 1300 au début de la Suisse est très étonnant. Partout en Europe, les seigneurs étendirent leur domaine territorial et créèrent des États dynastiques verticaux. Pour la Suisse ancienne, c’est le contraire qui s’est produit. Les paysans ont uni leurs forces pour défendre leurs libertés. Mais il ne s’agissait pas de libertés individuelles mais de privilèges collectifs, obtenus par les communautés. Et si, au fond, le modèle suisse était une forme de collectivisme ?