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Déversement de sol partiellement contaminé

« Plus de 500 camions par jour » auraient déversé des terres en partie contaminées à Kanesatake pour construire notamment des magasins de cannabis. C’est ce qui ressort des documents d’enquête déposés au tribunal la semaine dernière.


Publié à 00h42

Mis à jour à 5h00

« Ces activités illégales sur le rivage et le littoral [du lac des Deux Montagnes] constituent un risque pour les organismes vivants » et constituent « une menace sérieuse pour la qualité de l’environnement », déclarent les procureurs de l’État dans une demande d’injonction à la Cour supérieure.

Cette procédure judiciaire d’urgence vise à ordonner l’arrêt des travaux de remblayage et de déforestation sur 17 parcelles appartenant aux Mohawks de Kanesatake, en bordure du lac des Deux Montagnes.

Les sols déversés contiendraient des hydrocarbures, selon un rapport d’expertise déposé en preuve.

Certains des chargements de terre versés directement dans le lac ont servi à construire illégalement un stationnement sur le bord de l’eau pour la boutique de cannabis High Times, exploitée par le Mohawk Robert Gabriel, révèlent des résumés d’interrogatoires menés en août dernier par des inspecteurs du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCC).

Lors d’un interrogatoire, M. Gabriel a fait peu de cas du fait qu’il n’avait aucun permis pour ainsi remblayer la terre « dans l’habitat du poisson ».

C’est notre territoire et aucun gouvernement ne va nous dire quoi faire avec.

Robert Gabriel, répondant à un inspecteur du MELCC qui le questionnait au sujet de déversement de terre près de son commerce High Times

Robert Gabriel est l’un des deux propriétaires, avec son frère Gary, du dépotoir illégal G & R de Kanesatake, dont les eaux toxiques s’écoulent dans le lac des Deux Montagnes. Le MELCC, Environnement Canada et le conseil de bande de Kanesatake tentent depuis des mois – en vain – de l’obliger à entreprendre des travaux de décontamination sur ce site qui a reçu des dizaines de milliers de chargements de terre d’origine douteuse entre 2015 et 2020.

Payé 60 $ par voyage

Un enquêteur du MELCC, Benoît Charette, affirme, dans une déclaration sous serment, que le nombre de camions en direction de Kanesatake atteignait, au printemps 2024, « plus de 500 par jour » et que ceux-ci se déplaçaient « de plus en plus en convois ».

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PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Un camion entre pour décharger des sols provenant de chantiers de la région de Montréal.

Jean-François Henley, président de Translogik, une entreprise d’excavation embauchée par des propriétaires de terrains mohawks pour étaler le remblai le long du littoral, affirme, dans un interrogatoire, avoir lui-même reçu « 400 ou 500 » camions sur un terrain de Kanesatake à la demande d’un client qui « voulait juste avoir un terrain au bord de l’eau ».

Dans le cadre d’un second interrogatoire, Jean-François Henley a aussi admis avoir reçu entre 500 et 600 camions sur un autre terrain, alors qu’un autre entrepreneur parle de « 300 ou 400 voyages » dans un autre secteur près du littoral.

M. Henley a indiqué qu’il se faisait payer « 60 $ du voyage » par une entreprise d’asphaltage montréalaise qui lui livrait le remblai, dont la provenance n’est pas précisée. Les propriétaires mohawks n’auraient pas payé M. Henley pour les travaux d’étalement du remblai en vertu de cette entente, selon sa déclaration.

Dans un entretien téléphonique avec La Presse, M. Henley défend vivement son entreprise. « Ça fait trois mois que je ne travaille plus [à Kanesatake]. Tout est compliqué et tout le monde se renvoie la balle. »

Il donne l’exemple de demandes répétées au conseil de bande pour s’assurer que les travaux respectent la distance du lac des Deux Montagnes.

Je n’ai rien à me reprocher et même si on me demande de retourner travailler là-bas, je n’y retournerai pas.

Jean-François Henley, président de Translogik

En règle générale, les entreprises de construction ou d’excavation qui se retrouvent avec des terres contaminées récupérées lors de travaux doivent les éliminer de manière appropriée. Cela peut impliquer de traiter le matériel dans des centres spécialisés, qui peuvent facilement facturer plus de 1 000 dollars par camion, selon le degré de contamination. Généralement, leur cargaison doit être enregistrée dans le système Traces Québec, qui permet de connaître le lieu d’excavation et le lieu de déchargement par GPS.

Or, « les sites recevant des sols contaminés sur le territoire de Kanesatake ne sont pas inscrits au registre obligatoire Traces Québec du ministère », peut-on lire dans les documents judiciaires.

Des inspecteurs « brimés »

Les quelque 400 pages de rapports d’analyses toxicologiques et autres documents déposés en preuve à la demande d’injonction suggèrent les difficultés importantes rencontrées par les inspecteurs à intervenir depuis que des membres du peuple mohawk se sont plaints, à l’automne 2023, du ballet incessant des camions bennes.

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PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE ARCHIVES

Après avoir traversé la municipalité d’Oka, un camion quitte le rang Sainte-Philomène pour entrer dans un site en remblayage sans autorisation.

Les inspecteurs « ont été victimes d’intimidations lors d’une inspection sur le territoire de Kanesatake » en septembre 2023, souligne dans une déclaration assermentée le directeur régional du contrôle environnemental au MELCC, Alain Rochon. Depuis ce jour, chaque intervention du MELCC en territoire autochtone s’effectue en présence d’agents de la Sûreté du Québec, précise son communiqué.

«C’est dans ce contexte que chaque opération nécessite une longue période de planification» avec la Sûreté du Québec et le Conseil mohawk de Kanesatake, ajoute-t-il.

Surnommée « opération GRAVIER », la campagne de prélèvements réalisée du 27 au 30 août devait initialement avoir lieu en décembre 2023, mais a été reportée à deux reprises car « le climat ne change pas ».[était] plus propice aux interventions en raison d’enjeux de sécurité », écrit M. Rochon.

Impacts sur la faune marine

S’appuyant sur les analyses d’un écotoxicologue, Québec soutient qu’il faut « arrêter le plus tôt possible » le remplissage avec des sols contaminés en raison de l’impact direct que cela peut avoir non seulement sur l’environnement, mais sur la faune marine. Des travaux non autorisés sur la bande riveraine faciliteraient l’érosion des terres. Les pluies risquent également d’emporter davantage de particules de sol dans le lac des Deux Montagnes, réduisant ainsi la luminosité de l’eau, ce qui nuit à la croissance des algues et des plantes. L’effet domino sur la vie aquatique ne s’arrête pas là. L’apport d’oxygène sera réduit et les échanges gazeux nécessaires à la vie aquatique de la zone seront perturbés. Les sédiments constitués de minéraux fins pourraient avoir pour effet de boucher les œufs d’invertébrés et de poissons, limitant leur reproduction et leurs chances de survie. Le transfert de contaminants dans le lac des Deux Montagnes constitue un risque pour les organismes et la santé de cet écosystème.

 
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