Avons-nous revu Le Carnaval de Venise par Campra depuis la résurrection moderne de l’œuvre, en 1975 au festival d’Aix-en-Provence ? En France, du moins, cela ne semble pas être le cas. Et si aucun enregistrement n’avait été publié par Glossa en 2011, on pourrait croire que Campra était très méprisé. Ce n’est pas vrai, car l’Opéra-Comique a proposé en 2015 Fêtes vénitiennesune œuvre plus tardive et beaucoup plus complexe, enrichie au fil des années pour totaliser huit entrées au lieu de trois ! Et côté tragédie lyrique, l’Opéra de Lille a présenté des représentations inoubliables deIdoménée. Il reste cependant beaucoup à redécouvrir dans la production du compositeur aixois, et il y a de quoi se réjouir que La Co[opéra]tive a fait ce choix, pour un spectacle destiné à tourner dans toute la France.
Nous sommes également ravis que l’opération ait été confiée à Camille Delaforge (1) et son ensemble Il Caravaggio. La claveciniste et chef d’orchestre peut en effet se targuer d’une solide expérience qui l’a amenée à explorer le répertoire lyrique français (récemment, Les géniesopéra-ballet de Mlle Duval) que la Musique italienne dans ses facettes savantes ou populaires (on se souvient du disque Notre Dame de Grâce sorti en 2021).
Ces deux veines se rejoignent précisément dans Le Carnaval de Veniseoù le Campra méridional prenait plaisir à juxtaposer style français et style italien, les animations étant prétexte à diverses incursions dans une vocalité venue tout droit de l’autre côté des Alpes. Le troisième acte comprend même la représentation d’un mini-opéra retraçant la descente aux enfers d’Orphée, entièrement en italien, avec l’écriture appropriée. Bien que limité à une vingtaine d’instrumentistes, ce qui est peu comparé à ce qui devait se trouver dans la fosse de l’Académie Royale de Musique en 1699, l’orchestre du Caravage sonne superbement, et le chef sait varier les climats, osant donner les danses. et certains airs ont un caractère clairement populaire, avec un rythme marqué.
Parmi les chanteurs, on retrouve bien sûr les artistes avec lesquels Camille Delaforge travaille fidèlement depuis plusieurs années : les mezzos Victoire Bunel et Anna Reinhold (cette dernière semble souffrir de quelques problèmes d’intonation, certaines notes hésitant entre plusieurs hauteurs possibles, peut-être à cause de le trac lié à la première), la basse Guilhem Worms, qui figurait parmi les protagonistes du disque des cantates françaises Héroïnessorti en 2023 (CVS). Ils sont rejoints par le très contrasté David Tricou, le baryton Sergio Villegas Galvain et la basse Mathieu Gourlet (qui remplace Alexandre Adra pour ce premier bisontin). A cela s’ajoutent les sept « Chanteurs du Studio Il Caravaggio », parmi lesquels se distinguent Apolline Raï-Westphal dans Minerva ou Clarisse Dalles dans Fortune pour des rôles plus courts. Compte tenu de la « double nationalité » de l’œuvre, tous deux s’épanouissent plutôt dans le style italien, ou plutôt dans le style français, mais les nombreuses représentations prévues (jusqu’au 6 avril) leur permettront de mieux trouver leurs marques.
Même si le livret de Regnard ne brille guère par sa profondeur, traiter les personnages comme de simples marionnettes à la gestuelle stéréotypée n’aide pas vraiment à s’intéresser à une maigre intrigue. Quant à faire de l’Orfeo représenté au dernier acte une parodie d’opéra, c’est oublier que la musique n’a rien de comique. Les plasticiens Clédat et Petitpierre imposent à tout le monde de pimpants costumes d’Arlequin, mais le décor semble être principalement fait pour être vu depuis les balcons : depuis le sol, on ne voit presque rien de ce labyrinthe au ras du sol, dans lequel on passe beaucoup de temps. se déplacer pour le modifier d’un acte à un autre. Le « regard chorégraphique » attribué à Sylvain Prunenec ressemble plutôt à un regard rapide, car les cinq danseurs déguisés en marionnettes de Tiepolo fils ne contribuent pas à animer un spectacle où il ne se passe pas grand-chose en dehors du divertissement.
-Laurent Bury
> Les prochains concerts de « Campra » en France
(1- Lire ITV : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-camille-delaforge-fondatrice-et-cheffe-de-lensemble-il-caravaggio-lheure-de
Campra : Le Carnaval de Venise. Besançon, Théâtre Ledoux, Besançon, January 22; on tour until April 6, 2025: http://www.lacoopera.com/tour
Photo © Martin Argyroglo