L’enquête de deux journalistes d’investigation publiée ce mercredi révèle les dessous de la gestion de la crise du Covid. Elle met également en avant les alertes d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé, inaudible face à Macron et Philippe.
Dans un livre d’investigation publié ce mercredi 22 janvier 2025 aux éditions Flammarion, Les juges et l’assassindeux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme reviennent sur les six premiers mois de la crise du Covid. Les deux hommes démontrent notamment comment les faits marquants politiques de l’époque, comme les élections municipales, la réforme des retraites ou les manifestations des Gilets jaunes, ont annihilé les multiples tentatives d’alerte lancées par le ministre de la Santé à l’époque. , Agnès Buzyn avec Emmanuel Macron et son Premier ministre, Edouard Philippe, sur la situation sanitaire actuelle et à venir.
Dès le 22 janvier 2020, lors de l’hospitalisation pour forte fièvre d’un patient de Wuhan à l’hôpital Bichat à Paris, la ministre de la Santé s’inquiète : « C’est exponentiel, non ? », indique-t-elle auprès du directeur général de la Santé (DGS). , Jérôme Salomon. Est-il temps de renforcer la sécurité dans les aéroports parisiens ? Encore faut-il évidemment en avoir les moyens, ce qui n’est pas le cas, notamment avec trois vols directs par semaine entre Wuhan et Paris à l’époque. « Il faut s’assurer d’avoir des détecteurs, ce n’est pas évident… », déplore Jérôme Salomon. « Peut-être prendre les devants et dire pourquoi on ne le fera jamais », propose Agnès Buzyn.
Le lendemain, elle passe la vitesse supérieure en écrivant directement au locataire de Matignon, Edouard Philippe : « Bonjour Edouard. Puis-je vous parler un instant de la gestion de la crise du coronavirus ? J’ai besoin d’être vue pour que “on travaille sans attendre une décision de l’OMS et surtout que les douanes, la police, ne commencent pas à porter des masques dans leur zone (… Il faut de la coordination”, écrit-elle, inquiète. L’alerte internationale Ce processus est toujours ignoré par l’OMS. Dans le même temps, le directeur général de la Santé apprend que le stock de masques chirurgicaux n’est que de 65,9 millions. « Il devrait y en avoir au moins dix fois plus », estime Le Monde.
« Vous ne pourrez pas maintenir les élections, nos hôpitaux vont déborder »
Un mois plus tard, le 6 mars, le directeur de cabinet du Premier ministre, Benoît Ribadeau-Dumas, assurait que la priorité devait être donnée au personnel de santé pour la distribution des masques. Enfin, « les besoins supplémentaires en masques chirurgicaux s’élèvent à 230 millions par semaine », a indiqué Raymond Le Moign, directeur de cabinet d’Olivier Véran, dans un mail adressé à Benoît Ribadeau-Dumas le 23 avril 2020. A cette époque-là, Agnès Buzyn n’est plus ministre de la Santé, mais en campagne pour la mairie de Paris, dont l’élection est prévue en mars. Le 5 mars, elle décide d’écrire une nouvelle fois à Edouard Philippe, même si elle ne fait plus partie de l’exécutif, elle sent sûrement le vent tourner et ne souhaite pas se renier, ni aller à l’encontre de sa volonté. convictions défendues depuis le début dans la crise sanitaire.
« Le pire est à venir, je te l’ai toujours dit. Vous ne pourrez pas maintenir les élections. Nos hôpitaux vont déborder », a-t-elle écrit. Le lendemain, 6 mars, elle ne change pas de discours, mais s’adresse cette fois au chef de l’État : « Ce petit mot pour vous dire de ne pas tarder à passer en phase 3, et de ralentir l’activité. C’est le prix à payer pour ralentir la propagation du virus, déjà partout. Même si le premier tour des élections peut avoir lieu (ce dont j’ai toujours douté)… Mon avis est de prendre des décisions fortes et rapides, les chiffres italiens sont très inquiétants et rapides », prévient-elle encore une fois. Toujours sans effet, Emmanuel Macron annonçait le lendemain qu’« il n’y a aucune raison, hormis pour les populations vulnérables, de changer nos habitudes de sorties ».
-“Je sais que mon opinion ne compte pas pour toi pendant des semaines…”
Agnès Buzyn est largement défaite à la mairie de Paris, et la majorité avec elle. Anne Hidalgo et Rachida Dati la devancent, respectivement de 12 et 5 points. Alors, revenons à l’autre combat du moment – auquel elle n’a jamais vraiment abandonné – celui du Covid. Le 2 mars, après qu’Emmanuel Macron a annoncé la fermeture des crèches, des écoles et des universités, elle n’a pu s’empêcher d’adresser un texto cinglant au chef du gouvernement : « Je sais que vous êtes en réunion pour le second tour. Tout cela est ridicule. Ne nous obligez pas à faire un second tour alors que la situation est si grave. Nous avons déjà été assez ridicules comme ça. Je sais que mon opinion ne compte pas pour toi pendant des semaines. “J’ai senti le danger, toutes ces semaines (…) Je suis tellement triste que vous ne m’ayez pas entendu”, ajoute-t-elle dans un deuxième message.
“Derrière vos décisions, il y a des gens qui vont mourir”
Dès lors, Agés Buzyn change de visage et n’hésite pas à sortir le sulfate, messages également révélés dans Les juges et l’assassin qui sonnent parfois comme des accusations : “Le conseiller du PR (Président de la République) et son Conseil scientifique sont des conneries (…) Je ne perds pas mon sang-froid, je suis lucide, derrière vos décisions, ce sont des gens qui vont mourir”. (…). Le discours du PR ce soir est incohérent. Faites de la politique et prenez vos responsabilités», assène-t-elle, toujours dans un message à Edouard Philippe. Le 17 mars 2020, le confinement total est décrété et le second tour des élections municipales est reporté du 22 mars au 28 juin. En l’espace de deux mois, et malgré de nombreux messages, parfois vindicatifs, la ministre de la Santé Agnès Buzyn n’a jamais vraiment été entendue par le couple Macron-Philippe.
Offensive d’Édouard Philippe contre la Cour de justice de la République
De son côté, Edouard Philippe s’est montré relativement critique, voire acerbe, lors de ces différentes comparutions devant la Cour de justice de la République (CJR), qui juge les crimes ou délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. « Je ne sais pas comment répondre à votre question, et je ne comprends pas pourquoi vous me posez cette question », a répondu froidement le Premier ministre de l’époque : « Des Français auraient-ils pu être contaminés, et certains tués, à cause des choix de l’exécutif ?
“J’ai dû gérer deux épidémies, qui ne m’ont pas du tout fait rire : celle du Covid-19 et celle de l’ouverture des parapluies destinés à se protéger du risque criminel (…) Et quand un nombre important de personnes, qui doivent prendre des décisions, référer à d’autres, à des supérieurs hiérarchiques, la tâche de les prendre, vous embolisez très vite un système. Vous ne verrez jamais apparaître ces ouvre-parapluies dans votre dossier”, a-t-il déclaré. -il a également lancé. Agnès Buzyn est-elle en cause dans cette réponse acerbe ? Difficile à dire.