Contrairement à la NASA, qui dispose de ressources financières considérablement plus importantes, laAgence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) doit faire preuve de pragmatisme dans le choix de ses missions d’exploration et d’observation de l’Univers. Pourtant, tout au long de son histoire, ses choix se sont avérés couronnés de succès dans de nombreux domaines. L’exploration spatiale témoigne de ces succès, avec notamment l’incroyable aventure de Rosetta et de son atterrisseur Philae, après celle de GiottoGiotto et son survol de la comète de Halley et en attendant le rover ExoMars, mais aussi avec la prouesse technologique et scientifique réalisée en janvier 2015 : l’atterrissage de la sonde Huygens sur Titan, la plus grande lune de SaturneSaturne alors très mal connu.
Cet événement marquant dans le domaine de l’exploration robotiquerobotique La Journée mondiale est célébrée régulièrement et nous commémorons aujourd’hui le 20e anniversaire de cette mission. Le 14 janvier 2005, après un voyage de plus de 3 milliards de kilomètres débuté le 15 octobre 1997, Huygens atterrit à la surface de Titan.
Saviez-vous?
Titan, la plus grande lune de Saturne, est enveloppée d’une épaisse couche de brume qui non seulement reflète la lumière du soleil, mais rend également impossible l’observation de sa surface dans les longueurs d’onde visibles.
Une prouesse autant technologique que scientifique
L’exploit de Huygens va au-delà de la technologie. Si la sonde, construite par Thales Alenia Space, a été conçue pour résister aux conditions extrêmes de TitanTitanavec des températures avoisinant les -200°C, personne sur Terre ne pouvait prédire, la veille de l’atterrissage, si la mission serait un succès. Cependant, tout s’est parfaitement déroulé : du réveil de l’hibernation à séparationséparation avec Cassini, sa descente à travers leatmosphèreatmosphère de Titan et son atterrissage sur un terrain aux caractéristiques inconnues et à la nature de son sol (lac, rocher, glace, etc.), la sonde a atterri en douceur et a fonctionné pendant plus de trois heures après son arrivée, collectant et transmettant des données inédites.
Les conditions atmosphériques de la Terre primitive ressemblaient à celles du Titan d’aujourd’hui !
Étonnamment, les responsables de la mission pensaient que Huygens ne serait capable d’opérer qu’environ 30 minutes au sol. Pourtant, il a si bien survécu à sa descente et à son atterrissage qu’il a continué à transmettre des informations pendant plus de trois heures. Malheureusement, toutes les données n’ont pas pu être transmises à la sonde Cassini qui, à une distance de 60 000 kilomètres, les a relayées vers la Terre. Le contact avec la sonde a été perdu lorsque Cassini est passé sous l’horizon. Dommage.
L’exploit de Huygens est également d’une grande valeur scientifique. Malgré la perte des données acquises au sol, celles collectées tout au long de la mission Cassini-Huygens ont révélé que la surface de Titan est un monde façonné aussi bien par le cryovolcanisme que par précipitationprécipitation méthane et autres hydrocarbureshydrocarbures. Les mesures de conductivitéconductivité atmosphérique réalisée par Huygens, combinée aux informations transmises par Cassini, a mis en évidence lumièrelumière un paysage riche : lacs et mers de méthane et d’éthane, d’énormes dunes de martremartredes rivières, des plaques de glace, ainsi qu’un océan d’eau ammoniaquée sous un croûtecroûte de glace, le tout baigné dans une atmosphère riche en argonargon et du propylène.
Descente de la sonde Huygens sur Titan.
La parole est donnée à Patrice Couzin (Thales Alenia Space), responsable avionique depuis l’appel d’offres Huygens en 1990 jusqu’au licenciement en 1997, puis responsable système de 1997 à 2005.
Patrice Couzin: Un seul modèle atmosphérique a été spécifié – le modèle Lellouch-Hunten – dérivé des observations de la sonde Voyager-1 lors de son flotterflotter de Titan en 1980, et cela impliquait de survivre seulement 3 minutes au sol après 150 minutes de descente atmosphérique.
L’Agence spatiale européenne a reconnu cette « légèreté » du cahier des charges avec le contrat signé avec Aerospatiale (aujourd’hui Thales Alenia Space). Les scientifiques ont ensuite travaillé tout au long du programme pour enrichir les spécifications de l’environnement de Titan vu par Huygens, en matièrematière glaçage, foudrefoudretriboélectricité, éclats de éventéventréflectivité de la surface…
“Une remarque tout d’abord, Huygens était une « sonde de descente », pas un « atterrisseur »»
Futura : Quelles marges de sécurité ont été mises en place pour assurer le succès de l’atterrissage de Huygens sur Titan ?
Patrice Couzin: Une remarque tout d’abord, Huygens était un « Sonde de descente “, pas un” atterrisseuratterrisseur ».
L’inconnu de ce à quoi pourrait ressembler la surface, autre qu’une température de -180°C, rendait tout simplement impossible la spécification d’un « atterrissage ». Bien entendu, tous les éléments mécano-thermiques et les parachutesparachutes ont été conçus pour des cas encore plus extrêmes, en termes de température, de débit aérothermodynamique, pressionpression dynamique… Les événements les plus critiques de la mission – réveil de la sonde après 22 jours d’hibernation, détection du moment du déploiement du parachute – reposaient sur une triple redondance et comportaient un secours. De plus, toutes les commandes étaient envoyées par deux ordinateurs fonctionnant en parallèle (redondance à chaud active). Une adaptation au milieu rencontré a été réalisée à traversaccéléromètresaccéléromètresmesures de la rotation de la sonde et de l’altitude par rapport à la surface.
Futura : Huygens aurait-il été capable de flotter s’il avait atterri sur un lac d’hydrocarbures ou sur toute autre surface liquide sur Titan ?
Patrice Couzin: Oui ! Une étude en cours de développement a montré que cela était possible pendant un certain temps, même si la sonde n’a jamais été conçue pour cela !
Futura : Quelles technologies ont été spécifiquement développées pour la sonde Huygens et réutilisées par la suite dans d’autres missions spatiales ?
Patrice Couzin: Il s’agit essentiellement de technologies liées à la protection thermique lors de la rentrée atmosphérique, et aux parachutes.
Concernant le bouclier thermique, l’expérience acquise sur Huygens a permis d’adapter une autre protection thermique pour les activités d’exploration. Elle a volé sur Beagle-2, et sur Schiaparelli d’ExoMars 2016 (sur cette mission, on sait qu’elle a bien fait son travail !).
Quant au parachute Huygens, il a également été utilisé sur Beagle-2, de conception similaire et fabriqué par la même entreprise. ExoMars a également le même design. Les outils numériquenumérique les prédictions ont évolué, mais elles proviennent toutes des développements de Huygens. L’expérience a également permis de définir les choix des matériaux nécessaires et les tests de vieillissement pour un voyage dans l’espace, notamment pour nylonsnylons et KevlarKevlar.
Comme pour la structure Huygens, les critères de dimensionnement ont été réutilisés pour ExoMarsExoMars.
“Cette collaboration internationale a permis la mission interplanétaire la plus grandiose à ce jour»
Futura : Quels sont les principaux héritages et apports de la mission Huygens à l’exploration spatiale
Patrice Couzin: L’héritage de Huygens est une démonstration nouvelle et spectaculaire de l’extension des limites de l’exploration spatiale. C’est avant tout une référence, un modèle en termes de collaboration de haut niveau entre les grandes agences spatiales : ESA, NASA mais aussi l’ASI on Science. Cette collaboration a permis la mission interplanétaire la plus grandiose à ce jour. L’ESA mais aussi la NASA « rêvent » de réitérer cette collaboration depuis 20 ans !
Une vie différente de la nôtre peut-elle exister sur Titan ? La mission Dragonfly de la NASA nous le dira !
Futura : Y a-t-il des projets pour une mission Huygens 2 ? À quoi pourrait-il ressembler et quels objectifs pourrait-il poursuivre ?
Patrice Couzin: Un Huygens 2 devrait bien sûr « atterrir », mais aussi pouvoir « traverser » Titan, car Cassini-Huygens a montré la grande diversité de la surface composée de dunes, de cratères, de lacs d’hydrocarbures, de plaines, de reliefs, de réseaux fluviaux, en afin de résoudre les nombreuses questions en suspens concernant cette surface : Quelle est la composition des éléments de surface ? Quoi chimiechimie prébiotiqueprébiotique ça se passe là ? Quelle est la composition des lacs ? Quel âge a la surface ?
Ce véhicule, pour survivre sur Titan, devrait être équipé de RTG et pouvoir transmettre ses données, soit directement, soit via un orbiteurorbiteur autour de Titan.
Futura : Le Dragonfly de la NASA pourrait-il être ce « Huygens 2 » ?
Patrice Couzin: En effet, dans une certaine mesure, on peut dire oui. La mission Dragonfly, actuellement en développement, répond à de nombreux critères pouvant être attribués à un « Huygens 2 », comme je l’ai décrit précédemment. Cela dit, il est également pertinent de s’interroger sur les possibilités que pourrait offrir une mission « Huygens 3 » !