Au cœur du public réservé aux violences conjugales dans l’Eure

Au cœur du public réservé aux violences conjugales dans l’Eure
Au cœur du public réservé aux violences conjugales dans l’Eure

Par

Cyrille Roy

Publié le

14 janvier 2025 à 17h00

L’audience à juge unique du premier lundi de chaque mois est réservée aux violence intrafamiliale. Ce qui n’empêche pas le tribunal d’Évreux de s’en occuper à longueur de journée, le phénomène étant ancré dans le département.

Un adolescent qui grandit dans la violence

Il est 13h35 ce lundi 6 janvier 2025 et l’audience débute avec une première affaire emblématique. Celle d’un couple formé il y a sept ans et résidant à Mesnil-en-Ouche. Laurent, 50 ans, comparaît devant le tribunal en fauteuil roulant. Les jambes cassées, il vit au minimum social entre le domicile de sa mère et celui de son épouse. Le 16 août, les époux se disputent une énième fois sur fond d’alcool. Le motif est, a priori, enfantin. L’antenne fonctionne mal. A midi, le fils de l’épouse du prévenu (et le gendre de ce dernier) assistait, impuissant, aux insultes, gifles et bousculades. Alors quand la scène recommence, l’adolescent de 17 ans Appelez la police.

Ce n’est pas la première fois que Laurent se retrouve devant le tribunal. Il a d’ailleurs déjà suivi un formation de sensibilisation aux violences conjugales en 2017. Le président du tribunal Juliette Demaldent tente de comprendre où en est aujourd’hui le quinquagénaire. «Je vais consommer de l’alcool au maximum», promet-il. Sous traitement, il boit « moins qu’avant » et se rend à son premier rendez-vous de cure d’addiction, cinq mois après les faits.

La femme victime est absente des débats, mais il semble que, tout comme son mari, elle veut continuer sa vie conjugale. Tous deux ont un problème de dépendance et de violence. Elle boit du rosé, il boit du whisky. Le problème, c’est qu’un adolescent vit au milieu de tout cela. « C’est maintenant que nous lui donnons l’exemple de la façon dont nous gérons notre vie de couple », prévient le magistrat, inquiet de retrouver ce jeune homme au tribunal quelques années plus tard pour des faits similaires. « C’est un enfant que nous devons protéger. » C’est en ce sens qu’intervient l’association d’aide aux victimes (Avede-ACJE) afin d’obtenir réparation du préjudice moral subi par l’adolescent.

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La mission de la Cour est difficile : protéger les victimes, obtenir réparation, punir sans détruire… Dans cet équilibre fragile, la présidente Juliette Demaldent démontre beaucoup d’enseignementquestionnant plus qu’accablant. Le prévenu écopera de dix mois avec une suspension probatoire accompagnée d’obligations de soins. « La dernière étape avant l’incarcération », prévient-elle. La famille pourra avancer dans un contexte que le magistrat espère « apaisé ».

Coups réciproques

A 14h20, le deuxième dossier est discuté. Un jeune couple dans une relation que le président du tribunal qualifie de « toxique » est convoqué au tribunal pour échanges de coups dans une ambiance d’alcoolisme (pour elle) et de jalousie. Saint-Georges-Motel. Des témoins décrivent des violences mutuelles, mais le conjoint affirme avoir simplement voulu calmer la crise hystérique de sa compagne. Qui s’en sortira encore avec un coquin.

Si les tensions sont toujours présentes, le couple affirme vouloir poursuivre leur relation, ne serait-ce que pour les enfants respectifs des deux parties. Les accusés ne savent pas vraiment pourquoi ils se sont retrouvés devant le tribunal. «C’est un malentendu. » Ils veulent que « tout s’arrête ». Après avoir pris le temps du dialogue, le magistrat opte pour un acquittement.

Déni de la violence

Le troisième dossier est, à sa manière, également emblématique. L’homme qui comparaît pour des violences sur sa compagne commises à Évreux semble sûr de lui : il n’a rien à se reprocher. Le 26 octobre 2024, sa compagne rentre ivre à la maison et ne donne rien à manger à ses enfants. S’ensuivent une dispute et une gifle. « Elle m’a poussé, nous nous sommes poussés… Honnêtement, je ne sais pas quoi dire. Être au tribunal pour une histoire pareille, c’est trop », s’indigne Mohammed, 37 ans. L’homme ne semble pas avoir beaucoup de respect pour l’institution judiciaire. Peut-être est-ce lié à son profil, que le procureur adjoint Thomas Lopez qualifie pudiquement de « particulier ». Avec un casier judiciaire faisant état de 30 mentions pour violences et drogue.

La scène de violence qui a eu lieu semble minimisée de la part de la victime et de l’accusé. «Je n’étais pas violent. Elle m’a frappé un peu, je l’ai frappé sans intention. Je me suis excusé», a déclaré le trentenaire bavard et arrogant. « On ne peut pas considérer qu’un problème relationnel puisse se résoudre en en arrivant aux mains », recadre la présidente Juliette Demaldent. Puisque le prévenu ne voit pas le mal, la méthode pédagogique du magistrat atteint ses limites. La peine prononcée sera de quatre mois de confinement à domicile.

Contextes familiaux difficiles

Ferme quand il le faut, le tribunal sait aussi reconnaître lorsque les éléments ne sont pas suffisants pour établir une quelconque culpabilité. C’est le cas du seul cas de violence à l’ascendant du jour. Un jeune de 19 ans a comparu devant le tribunal pour avoir prétendument battu sa mère Grand Bourgtheroulde. L’audience a mis en lumière une réalité plus complexe. Celle d’un garçon à peine majeur, élevé par sa mère célibataire qui semble instable. Le 4 novembre 2024, alors qu’il revenait des cours, elle l’insulte. Cela a donné lieu à une altercation. Ils sont tombés ensemble. Il a essayé de la contenir. «Je ne voulais pas lui faire de mal», insiste-t-il, décrivant les crises récurrentes de sa mère. «Je sais très bien qu’elle regrette. Mais je ne peux pas la garder dans ma vie si je veux m’épanouir », dit-il. Pourtant, c’est lui qui est prévenu des violences. Mais l’affaire étant trop légère, le jeune homme a bénéficié d’une relaxe.

« Pousser est une violence »

Le fichier suivant ne prend pas non plus beaucoup de temps. Les faits sont tristement classiques : revenant ivre d’un mariage, un homme s’en prend à sa femme, qui appelle à l’aide. «J’ai eu peur», a-t-elle déclaré au public, s’excusant presque d’en arriver là. “C’est normal d’appeler la police”, la rassure le président Demaldent. L’homme reconnaît avoir bousculé sa compagne. « Monsieur reconnaît la violence, car pousser, c’est de la violence », pointe le procureur adjoint. Même si le couple traverse une période de tension, c’est la première fois que ce type de violence est observé. Un de trop. Elle se termine par une simple peine de 120 jours-amende. « Nous espérons que nous ne vous reverrons plus », assène le magistrat. Le couple émerge bras dessus bras dessous, visiblement soulagé.

En six heures d’audience, le tribunal aura traité huit affaires de violences conjugales. Plus qu’à travers la sentence prononcée, le président Demaldent aura tenté de faire prendre conscience de la gravité des faits dans un contexte où certains prévenus banalisent les violences alors qu’ils ne les nient tout simplement pas. Preuve qu’il y a encore beaucoup à faire dans l’ensemble de la société.

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