Sénégal : en Casamance, les ostréiculteurs rêvent d’un avenir meilleur

Avec l’arrivée du projet de « Renforcer la filière conchylicole au Sénégal à travers le respect des normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) » réalisée par la FAO les autorités sénégalaises, des femmes du sud, des ramasseurs d’huîtres, épuisés par les longues heures de collecte traditionnelle des fruits de mer, espèrent tirer davantage de revenus de la vente de leurs coquillages.

A Diao Insa Ba, village de la région de Sédhiou (sud), au bord du fleuve Casamance, la journée commence comme un murmure. Un groupe de femmes avance à travers la mangrove, leurs silhouettes se fondant dans le paysage humide. Equipés de couteaux, de machettes et de paniers tressés, ils progressent péniblement, les pieds s’enfonçant dans la boue gluante. Chaque pas est une négociation avec la terre pour s’en sortir.

Les chants traditionnels résonnent avec douceur. En petit groupe, ils retirent habilement les huîtres accrochées aux racines des palétuviers.

Un peu plus à l’ouest, dans la région de Ziguinchor, le soleil n’est pas encore au zénith sur la mangrove de Katakalousse, mais les eaux troubles de l’estuaire s’animent déjà. Ce matin, le départ du quai de pêche des femmes récupératrices de coquillages a un air de modernité avec les canoës motorisés qui sillonnent les eaux. Un luxe inhabituel pour eux, plus habitués au rythme tranquille des rames.

Arrivés sur le lieu de récolte, les bras immergés jusqu’aux coudes, ils soulèvent délicatement les racines des palétuviers et les ramènent dans les bateaux qui se balancent doucement au rythme de leurs mouvements.

Le clapotis de l’eau contre les coques et le tintement métallique des couteaux contre les coquilles, tombant un à un dans les paniers, se mêlent aux discussions qui vont bon train.

Un panier de coquillages/@FAO

Plus au nord, à Thiobon, toujours au nord-ouest de la région de Ziguinchor, le paysage semble plus ouvert, mais l’effort reste le même. Ici, les femmes s’enfoncent dans l’eau jusqu’à la taille.

Le rugissement inhabituel des pirogues qui les ont amenés ici s’est tu. De temps en temps, ils s’accrochent aux tiges des palétuviers pour garder leur équilibre, avant de reprendre, quelques secondes plus tard, le creusement des huîtres.

Dans ces différents lieux, ces femmes perpétuent des savoirs ancestraux pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Mais derrière ces décors qui pourraient paraître pittoresques se cache une implacable réalité économique.

Les heures passées dans l’eau, le dos courbé, les muscles endoloris par des efforts répétés ne donnent lieu qu’à des gains dérisoires. Une journée entière de travail dans ces conditions éprouvantes ne rapporte que quelques miettes.

« Nous avons un réel problème de commercialisation de nos produits. Les huîtres que nous récoltons sont vendues au village car nous n’avons pas les moyens de les transporter jusqu’aux marchés, et notre localité étant enclavée, cela rend les déplacements difficiles. », confides Aminata Mané.

Selon ce dernier, le pot d’huîtres transformées est vendu 500 FCFA (0,79 dollars américains) dans le village, générant des revenus dérisoires variant entre 4 000 (6,33 dollars) et 6 500 francs (10,29 dollars) tout au long du mois.

Récolteurs d’huîtres à Diao Insa Ba (Sédhiou)/@FAO

Aminata Mané partage ce constat amer avec ses sœurs du GIE Karonguene Soul (Élevage d’huîtres, en langue Diola), actif à Thiobon. Sa vice-présidente, Aissatou Diédhiou, révèle qu’il faut environ « 70 kg d’huîtres fraîches pour obtenir 1 kg d’huîtres séchées, parfois vendues 5000 FCFA (environ 8 dollars). »

A Tobor, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Thiobon, cette précarité, conjuguée à la pénibilité du travail, a poussé plusieurs femmes du groupe Youlaye (huître en langue diola) à jeter l’éponge.

« Nous marchons plusieurs kilomètres pour arriver ici. Après une journée de travail, nous gagnons à peine 1 000 FCFA (1,58 $) par personne. Raison pour laquelle de nombreuses femmes ont quitté leur travail », témoigne Mariama Diédhiou, présidente dudit groupe.

Cette situation résulte de la combinaison de plusieurs facteurs. Outre le manque de moyens de transport motorisés pour la récolte des huîtres, les infrastructures de conservation et de conditionnement des produits frais font défaut.

Dans la région naturelle de Casamance, Ziguinchor est la seule localité à disposer d’un centre de déchargement. Située à Katakalousse, elle devait servir de réceptacle à toute la production de la région.

La mise aux normes SPS, un espoir pour toute une filière

Cette équation économique, longtemps figée dans un déséquilibre permanent, devrait bientôt n’être plus qu’un lointain souvenir grâce au projet intitulé «Renforcer la filière conchylicole au Sénégal à travers le respect des normes sanitaires et phytosanitaires (SPS)», afin de favoriser la sécurité sanitaire des coquillages et leur accès aux marchés régionaux et internationaux.

Ce programme, mis en œuvre par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le gouvernement du Sénégal, bénéficie d’un appui financier de 854 518 dollars (environ 530 millions de FCFA) du Fonds pour l’application des normes et le développement du commerce (STDF) du Organisation mondiale du commerce (OMC).

Il s’agit principalement de prélèvements mensuels pour analyses en laboratoire sur 50 sites de production répartis dans les régions de Saint-Louis, Louga, Thiès, Fatick, Kaolack, Kolda, Sédhiou et Ziguinchor, explique Abdalah.

L’objectif est d’améliorer la valorisation des coquillages en les rendant plus sains et adaptés à la consommation humaine, tout en facilitant leur exportation vers des marchés en croissance grâce à leur conformité aux normes SPS.

Mariama Faye, cheffe du bureau régional de l’ANA à Ziguinchor/@FAO

Ce processus suit un protocole établi conjointement par l’Agence Nationale de l’Aquaculture (ANA), la FAO et le Ministère de la Pêche, des Infrastructures Maritimes et Portuaires (MPIMP). A terme, il permettra de classer les sites selon leur degré de contamination.

« Chaque classe de site possède un seuil de contamination à respecter. Par exemple, si le seuil d’Escherichia coli est de 300 ou 330 grammes par litre, le site est classé A. Au-delà de ce seuil, les sites sont classés B, C ou D. Ce classement détermine les actions nécessaires : pour les sites de classe A, les huîtres peuvent être récolté et commercialisé directement ; les produits issus des sites de classe B nécessitent une purification ou un reparcage préalable avant leur mise sur le marché ; les sites de classe C disposent de produits nécessitant un reparcage supérieur à huit mois ou une épuration intensive ; et les sites de classe D sont inutilisables », explique Mariama Faye, chef du bureau régional de l’ANA à Ziguinchor.

Débutés en janvier 2024, ces travaux avancent bien et devraient permettre au Sénégal de se doter d’un système capable de garantir la conformité de ses produits aux exigences sanitaires du Codex Alimentarius et des marchés internationaux.

« Le projet STDF répond à une question extrêmement importante, à savoir la capacité de l’État à certifier et garantir la qualité sanitaire des coquillages. Nous y travaillons car c’est un levier important pour la promotion du secteur. Nous avons constaté la difficulté de la transformation artisanale où il faut 70 kg d’huîtres fraîches pour obtenir 1 kg d’huîtres transformées. Si nous pouvons garantir la qualité sanitaire, nous pouvons valablement vendre 1 kg de produit frais, ou une douzaine, pour 5 000 francs (8 $) ou plus. Cela permettrait de multiplier par 70 les revenus des comédiens, principalement des femmes. », souligne Dr Mamadou Ndiaye, coordinateur du projet à la FAO.

Dr Mamadou Ndiaye, coordinateur du projet à la FAO/@FAO

Avec un taux d’exécution de « 65 voire 75% », il y a de l’espoir. ” Sur la base des résultats obtenus, nous espérons un très bon classement pour les 50 sites étudiés, avec de nombreux sites classés A ou B. », assures Mariama Faye.

Les parcs ostréicoles, l’autre atout

Au-delà de la certification, une sensibilisation à la préservation de l’environnement, notamment contre l’abattage des arbres, accompagne cette dynamique. A Katakalousse et Thiobon, l’ostréiculture se modernise avec des parcs innovants où des tiges parallèles dans l’eau supportent des guirlandes de coquillages, servant de collecteurs naturels. Plus modernes, les coupelles en fibre de verre remplissent le même rôle.

Sur ces substrats fournis par l’ANA, les naissains d’huîtres se développent avant d’être mis en sacs pour leur croissance. Cette approche préserve les racines des palétuviers, essentielles à l’écosystème de la mangrove, tout en améliorant les conditions de travail des femmes : les structures démontables peuvent être transportées sur la terre ferme pour être enlevées, réduisant ainsi le temps passé dans l’eau.

« L’ANA comprend que, sur les sites ostréicoles, les infrastructures agricoles sont essentielles. La plupart des acteurs comprennent désormais l’importance de passer du picking traditionnel à une infrastructure moderne. », constate Mariama Faye. Elle souligne cependant que de nombreux GIE peinent à accéder à ces infrastructures en raison de leur coût élevé.

Ferme ostréicole à Tobor /@FAO

Face au succès de ces installations, d’autres parcs ostréicoles devraient voir le jour, notamment à Sédhiou, où Abdoulaye Diallo, chef du bureau régional de l’ANA, envisage d’en installer un à partir de juin 2025.

Le projet STDF devrait également répondre au besoin crucial de formation exprimé par les femmes. Mariama Badji, de l’ONG, forme déjà des conchyliculteurs à la fabrication, à l’installation et au nettoyage de guirlandes et de sacs. ” Les femmes ont amélioré leurs techniques de collecte et de transformation, tout en garantissant l’hygiène », dit-elle.

Selon les données de la FAO, en 2018, la production naturelle de coquillages bivalves était estimée à 10 860 tonnes, dont principalement des ormeaux, des bigorneaux et des lambis (6 520 tonnes), ainsi que 692 tonnes d’huîtres et 135 tonnes de moules (FAO, 2020). Depuis 2010, la production aquacole de coquillages a considérablement augmenté, atteignant 1 350 tonnes en 2017, confirmant l’importance de la certification pour garantir la sécurité des produits.

ARD/ac/Sf/APA

 
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