La Haute-Vienne commence à manquer de jeunes bouchers et charcutiers

Imaginez un boucher. Son tablier, son couteau, son bloc et sa carrure de première ligne étaient nécessaires pour transporter les carcasses. « C’est encore ainsi que la profession est perçue. Pourtant, cela a changé, cela s’est modernisé. Je ne porte plus mes cuisses de cochon sur mon épaule, j’utilise mon chariot élévateur. On n’a plus besoin d’être coupé comme les rugbymen», corrige Emmanuel Ardillon, charcutier-traiteur chez Cochon Gourmand, à Dorat.

Décalée aussi, la représentation aseptisée que la télévision se fait parfois du métier induit en erreur des candidats trompés qui finiront par abandonner. “Obtenir un beau produit fini, comme on le voit à l’écran, peut nécessiter de passer par des tâches moins nobles” et moins médiatisées. « Vous n’aurez jamais une belle compote d’oignons sans éplucher les oignons ! » Et de l’entendre, certains aimeraient.

Entre l’image médiévale qui colle à la peau du métier et « la perte du goût de l’effort » de certains jeunes, le secteur boucherie-charcuterie traverse une crise des vocations.

Des bouchers sans acheteurs ?

« Nous nous battons pour défendre l’artisanat, mais cela devient compliqué », insiste le boucher. « Rares sont les parents qui souhaitent ce métier pour leurs enfants. Pourtant, ils étaient des notables dans le passé», regrette Annie Lecompte, responsable des transferts – reprise à la Chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) de la Haute-Vienne. Au sein de l’organisation qui multiplie les initiatives valorisantes, les équipes sont inquiètes : un quart des boucheries du nord du département vont devoir être reprises d’ici 10 ans, et “ça va coincer”, estime Geoffrey. Brault. Sans apprentis, les chances de reprise sont limitées.

« Ne rejetez pas tout sur la jeunesse »

Chez Cochon Gourmand, la dernière recrue a rendu son tablier avant la date limite prévue. Ce n’est pas une exception. La boucherie de Pont-Lévis, à Saint-Junien, a connu tellement de renoncements que ses dirigeants ont décidé de se passer d’apprentis cette année. Seuls deux des six derniers apprentis sont arrivés au terme. Alors « mieux vaut ne pas avoir d’apprentis qu’un apprenti qui n’est pas motivé par le métier », estime le boucher Éric Boutaud, qui regrette que les établissements de formation ne soient pas aussi sélectifs. « Sur dix élèves, on en aura trois qui auront la moyenne, et on dit que certaines notes sont arrondies… », déplore-t-il.

Son associé, Thomas Fredon, est du même avis. Mais nuancer le propos : « Il ne faut pas tout mettre sur le dos des jeunes. Certains collègues utilisent des apprentis comme main d’œuvre bon marché, sans réelle volonté de les transférer. Je comprends que c’est démotivant. »

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Le jeune associé a appris le métier auprès d’Éric Boutaud, dont il partage toujours le hachoir. La transmission des bases du savoir-faire propre à l’activité a pris des années. “C’est ça une transmission, ça prend du temps !” », clame son tuteur.

Une « fuite » des talents vers les supermarchés

Mais finalement, certains talents mettent leur savoir-faire acquis de longue date au service des grandes surfaces. « C’est ce qu’ont fait nos deux derniers apprentis », regrettent un peu Éric Boutaud et Thomas Fredon, qui auraient préféré qu’ils restent artisans. « Les grands et moyens magasins peuvent aménager des horaires, des plannings… Nous ne pouvons pas… Il faut parfois finir tard », explique Thomas Fredon. « La grande et moyenne distribution attire les jeunes avec de bons salaires, mais leur travail n’est pas le même. Je n’arrive pas à croire qu’ils font tout, surtout le jambon, de manière artisanale ! », peste Emmanuel Ardillon, chez Dorat.
Le CMA compte actuellement 46 étudiants en CAP et 13 en certificat professionnel. «Si on maintient des niveaux comme ça, ça ira plus ou moins bien, mais il en faudrait au moins 10 de plus», calcule le président de la Chambre, Éric Faucher. « C’est encore pire en charcuterie. Il n’y a que deux étudiants dans ma nouvelle section apprentis », ajoute Emmanuel Ardillon.

Le boucher du Dorat, dont le précédent apprenti avait jeté l’éponge prématurément, a enfin trouvé une nouvelle recrue. Motivée, assidue et investie, elle possède le profil qu’il recherche pour transmettre un jour l’esprit serein.

Car « quand ils sont engagés, les apprentis sont vraiment de bonnes personnes », assure Annie Lecompte, au CMA. Tout le monde est d’accord là-dessus.

 
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