La station de ski du Super Saint-Bernard, abandonnée depuis 2010.Image : Wikimédia Commons
Plus de 50 remontées mécaniques sont abandonnées dans les montagnes suisses, prévient une ONG. Prévus par la loi, leur démantèlement se fait toujours attendre et, même si les chiffres officiels font encore défaut, ces installations menacent la nature.
Au cours des 50 dernières années, plus de 150 domaines skiables ont fermé leurs portes en Suisse, notamment au tournant du millénaire. Cependant, toutes ces installations n’ont pas été complètement démantelées. Nos montagnes, au contraire, regorgent d’infrastructures abandonnées : pylônes rouillés, bâtiments en ruine, câbles et poutres métalliques encombrent le paysage alpin et posent de sérieux problèmes.
«Tout d’abord, les anciennes stations peuvent présenter un risque considérable de dommages à la faune si le câble est encore tendu», explique Luisa Deubzer, chef de projet pour l’ONG Mountain Wilderness Switzerland.
«De plus, dans le cas de bâtiments de gare en ruine, des substances toxiques peuvent être rejetées dans l’environnement»
Luisa Deubzer, Montagne sauvage
Sans oublier les autres impacts. «Le paysage non bâti est une ressource de plus en plus rare dans les Alpes», explique Luisa Deubzer. « Nous ne faisons qu’élargir notre espace humain et nous nous habituons de plus en plus à trouver des traces humaines partout. » C’est pourquoi il est si important de restaurer l’état d’origine du paysage dans les endroits où l’exploitation a été abandonnée, poursuit-elle.
Luisa Deubzer est chef de projet pour Mountain Wilderness Switzerland.Image: Mountain Wilderness Suisse
Une cinquantaine de cas connus
Ce n’est pas une tâche facile. Comme de nombreuses remontées mécaniques dépendent des cantons et des communes, les autorités n’ont pas de vue d’ensemble du nombre d’installations et ne sait pas combien d’entre elles sont encore en activité. Pour pallier ce manque d’information, l’ONG a lancé l’année dernière un site recensant les infrastructures abandonnées, que chacun peut contribuer à compléter.
Autres vestiges de la gare de Super Saint-Bernard, en Valais.image : wikimédia commons
Verdict? 55 remontées mécaniques abandonnées ont été identifiées par Mountain Wilderness en Suisse. Les cantons de Vaud et de Berne sont les plus touchés par ce phénomène qui touche tout l’arc alpin. Il s’agit dans la plupart des cas de pylônes, mais aussi de la station aval ou amont, qui n’a parfois pas été totalement démolie. Luisa Deubzer souligne cependant que personne ne connaît le nombre exact d’installations abandonnées.
À cela s’ajoutent également des installations obsolètes d’origine militaire, agricole et industrielle, qui allongent encore la liste.
Des projets qui ne se réaliseront jamais
On peut se demander pourquoi il y a tant de remontées mécaniques abandonnées en Suisse. La loi est pourtant claire, et prévoit que, « lorsque l’installation de câbles est définitivement mise hors service, elle est démontée aux frais du propriétaire ». Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi.
« Cette situation entraîne souvent des coûts considérables et le démantèlement est souvent retardé pendant longtemps », illustre Luisa Deubzer. D’autant qu’aucun délai concret n’est prévu dans la loi. « De plus, le démantèlement est souvent reporté aux calendes grecques, dans l’espoir de pouvoir redonner vie au téléski grâce à un nouveau projet qui souvent n’aboutit jamais », ajoute-t-elle.
Le téléski abandonné de la Tête-de-Ran, dans le canton de Neuchâtel, ici en 2020.Image : YouTube
Le responsable de l’ONG dénonce également « une perception erronée très répandue » : supprimer un objet serait moins intéressant que d’en créer un autre. Luisa Deubzer:
« En réalité, le démantèlement crée quelque chose de nouveau : un morceau de paysage non bâti qui, dans un monde où cela devient de plus en plus rare, a une grande valeur. »
Luisa Deubzer, Montagne sauvage
Neuf gares sur dix sont à risque
Une chose est sûre : le changement climatique ne fera qu’aggraver le problème. «C’est sûr», commente Luisa Deubzer. Le manque de neige constitue déjà un problème pour les stations de ski, notamment celles situées en dessous de 1 500 mètres, soit près de la moitié des domaines skiables du pays.
Les prévisions sont pessimistes. Avec une augmentation des températures de 3°C par rapport à la période 1850-1900, 87% des stations de ski suisses courent un risque élevé de se retrouver privées de neige naturelle, estimait l’année dernière une étude publiée dans la revue scientifique. Changement climatique. Un pourcentage qui monte à 99% si le réchauffement atteint 4°C.
La durée de la saison utile a été réduite d’un mois depuis 1960, ajoute Mountain Wilderness sur son site. Face à ce changement de conditions, on construit encore plus, toujours plus haut, déplore l’ONG. Et de fustiger le « gigantisme rampant qui voudrait prolonger artificiellement la vie d’une industrie stagnante ».
Le manque de neige n’est qu’une des difficultés auxquelles les stations sont confrontées. Ils doivent également faire face à une pression accrue due à la concurrence et à l’évolution démographique. En effet, comme l’a souligné Temps en début d’année, le ski était en chute libre en Suisse. En l’espace d’une trentaine d’années, la fréquentation des pistes a diminué de près de 30 %.
Agir sur le terrain
Sans attendre que les choses empirent encore, Mountain Wilderness a déjà pris des mesures. Sur le modèle de la section française, l’association a organisé des chantiers de démantèlement participatifs. «Les tâches sont réparties entre les volontaires en fonction de leurs compétences et préférences», explique Luisa Deubzer.
L’année dernière, de vieux barbelés ont été retirés d’une parcelle de forêt à La Robella (NE). Une deuxième action a eu lieu à Ernen (VS), et une troisième est prévue l’année prochaine, à Entlebuch (LU), où des volontaires s’attaqueront à une ancienne barrière militaire.
Luisa Deubzer et Stefan Wyss en action à La Robella (NE).Image: Mountain Wilderness Suisse
Des opérations plus conséquentes pourraient suivre. Mountain Wilderness France, qui a organisé plus de 70 projets participatifs, pourrait inspirer ses collègues suisses. «Ils ont vingt ans d’expérience dans ce domaine», note Luisa Deubzer. « Nous sommes en train de planifier un projet commun plus vaste avec eux, afin de pouvoir tirer les leçons de leur expérience. »
Un délai concret
Si ces actions rendent le problème visible et attirent l’attention de la population, le véritable changement doit se produire ailleurs : dans l’arène politique. Pour cette raison, Mountain Wilderness s’efforce de modifier la loi.
«Nous pensons qu’il devrait y avoir un délai concret pour le démantèlement des remontées mécaniques désaffectées», déclare Luisa Deubzer. Cela garantirait que le démantèlement ne puisse plus être reporté à une date incertaine. Deuxièmement, l’ONG souhaite créer un fonds pour financer le démantèlement lorsque l’exploitant ou le propriétaire du terrain n’est plus en mesure de le faire.
« Il devrait être évident que lorsqu’on investit dans un nouveau projet, les coûts de l’ensemble du cycle de vie sont inclus », ajoute-t-elle. Et pour conclure :
« Un fonds financé par les exploitants de remontées mécaniques pourrait par exemple permettre d’atteindre cet objectif »
Luisa Deubzer, Montagne sauvage
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