Qui a adopté le plus de lois au cours du dernier quart de siècle à l’Assemblée nationale du Québec ? La réponse est… Monique Jérôme-Forget, ministre du gouvernement libéral de Jean Charest pendant près de six ans.
C’est ce que révèle un classement de l’activité législative du Parlement préparé par La Presse Canadienne avec l’aide précieuse de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale.
Au total, celui qui a été président du Conseil du Trésor, ministre des Finances, ministre de l’Infrastructure et ministre des Services gouvernementaux a fait adopter 37 lois.
Je suis abasourdi !
a lancé l’ancien élu, surpris par cette statistique.
Peut-être que j’avais de grands talents… maintenant je me moque de moi-même, soyons clairs !
» a-t-elle plaisanté, avec son propre style, lors d’un entretien téléphonique avec La Presse Canadienne depuis le Mexique.
Deux autres de ses collègues libéraux avec lesquels elle a siégé, soit Jean-Marc Fournier et Jacques Dupuis, la suivent avec 29 lois chacun, à égalité.
Elle arrive largement en tête parmi les 139 ministres qui ont fait ratifier des textes législatifs au cours des 25 dernières années, malgré sa carrière relativement courte en tant que ministre, lorsqu’elle n’a pas tout à fait achevé son mandat en démissionnant au printemps 2009.
Un studieux
Monique Jérôme-Forget, alors ministre des Finances du Québec, et le premier ministre Jean Charest en 2009
Photo: Reuters / Jacques Boissinot
Je ne me souviens pas que cela ait été difficile, mais j’ai mis du temps, j’ai été studieux. Je ne partais pas en tournée internationale, j’étais ministre pour travailler. J’allais aux réunions, j’étais là, j’étais intense.
Comment est-ce possible en seulement six ans, alors qu’il faut souvent plusieurs mois pour adopter une loi ?
Entre autres choses, en raison de ses fonctions : à titre de présidente du Conseil du Trésor, elle a dû faire adopter plusieurs lois sur les crédits budgétaires des ministères et organismes après le dépôt du budget annuel.
Ainsi, 12 des lois qu’elle a pilotées concernent les crédits.
Mais il n’en reste pas moins qu’elle a présenté un grand nombre de lois à caractère financier, avec des implications fiscales, et touchant notamment aux régimes de retraite.
Il y avait beaucoup de factures techniques
elle a expliqué.
Habituellement, les ministres ne s’intéressent pas aux projets de loi techniques, mais c’est important pour les personnes qui travaillent au gouvernement
a rappelé celui qui avait été sous-ministre des Finances à Ottawa.
Mes collègues disaient : « encore une affaire ennuyeuse ». Je leur ai dit « oui, c’est ennuyeux », alors ils m’ont laissé faire ce que je voulais. C’étaient des choses importantes et vitales, mais il s’agissait de détails techniques.
On retiendra également sa Loi sur l’Agence de Partenariat Public-Privé, la fameuse PPP, qui a suscité tant de controverses à l’époque, car les critiques y voyaient une privatisation douce.
Aujourd’hui encore, elle défend sa démarche : dans un PPPles partenaires sont tenus d’entretenir correctement l’infrastructure pendant toute la durée du contrat.
C’était pour l’entretien du patrimoine. Les politiciens n’aiment pas dépenser de l’argent pour l’entretien, on ne gagne pas de voix avec ça. Les politiciens aiment couper des rubans.
Sonia LeBel et Guy Chevrette
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Sonia LeBel, présidente du Conseil du Trésor
Photo : La Presse Canadienne / Jacques Boissinot
Dans l’actuel gouvernement caquiste, c’est aussi la titulaire de la présidence du Conseil du Trésor qui se rapproche le plus de la performance de Mme Jérôme-Forget : Sonia LeBel.
Mme LeBel a à son actif 28 lois adoptées en six années de vie parlementaire, dont dix sur les crédits budgétaires.
Ancienne procureure de la commission Charbonneau, c’est elle qui a piloté au moins trois lois qui s’inspiraient en partie des conclusions de la commission d’enquête. Elle a également fait voter une loi pour accélérer les projets d’infrastructures, en pleine pandémie, en plus de nombreux autres textes sur les régimes de retraite et les conventions collectives.
À titre de comparaison, deux autres ministres influents du cabinet caquiste, Simon Jolin-Barrette et Geneviève Guilbault, ont ajouté respectivement 21 et 10 textes au corpus législatif québécois.
Il s’agit là d’un exploit notable, si l’on considère que ces deux ministres n’ont pas pu mettre à leur actif de nombreuses lois de crédits. M. Jolin-Barrette a notamment fait adopter la Loi sur la laïcité de l’État et la réforme de la Charte de la langue française.
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Guy Chevrette, former Minister of Transport for the Parti Québécois
Photo : La Presse Canadienne / Jacques Boissinot
Au cours du dernier quart de siècle, Sonia LeBel se retrouve à égalité avec le ministre Guy Chevrette, du Parti québécois (PQ).
Ce vétéran de la politique québécoise, compagnon de René Lévesque, aurait aussi pu réaliser des faits d’armes encore plus éloquents si l’on avait pris en compte l’ensemble de sa carrière, débutée comme député en 1976 et comme ministre. à partir de 1982.
Mais, pour les besoins de cette revue, La Presse Canadienne a voulu se concentrer uniquement sur l’histoire politique du Québec depuis le début de ce siècle.
Pour être plus précis, le compte à rebours a commencé à partir du 36e législature de mars 1999, qui a suivi les élections de novembre 1998, pour éviter de compter à partir du 1est janvier 2000, durant son mandat.
Au total, pas moins de 1 103 lois ont été adoptées par le Parlement depuis mars 1999.
Bien entendu, il ne s’agit pas d’une analyse qualitative de cette législation. De plus, plusieurs lois comportent des dizaines de pages, voire plus d’un millier d’articles, tandis que d’autres tiennent sur une seule page.
Sur cette somme, les femmes ministres ont voté pour 354, soit un peu plus d’un tiers, ce qui dénote, sur les 25 dernières années, le poids encore relatif des femmes en politique.
Leçons : ne soyez pas partisan
Mme Jérôme-Forget avait-elle sa recette, ses astuces pour faire avancer ses factures ?
La leçon que je donne toujours aux ministres : assurez-vous d’être proche des sous-ministres qui travaillent pour vous, ce sont des personnes très dévouées
a-t-elle parlé des hauts fonctionnaires de l’Etat, qui dirigent le personnel du ministère et assurent l’interface avec le pouvoir politique, le ministre et son cabinet.
Mes fonctionnaires étaient des dieux. […] J’ai toujours été entouré de stars de la fonction publique. […] Parfois, nous tenons tête à nos fonctionnaires parce que nous croyons en eux.
Et surtout, l’ancien ministre met en garde contre l’une des tentations naturelles du parlementarisme : la partisanerie. Selon elle, il faut éviter ce piège et cultiver de bonnes relations avec les élus des oppositions.
Je n’ai jamais été partisan, ça me fatiguait, ce côté-là de la politique ; J’étais ami avec tout le monde
conclut-elle.
Rappelons que, dans le parlementarisme britannique, le ministre soumet les projets de loi touchant à ses domaines d’action et les guide tout au long du processus législatif, c’est-à-dire l’adoption du principe, les consultations, l’étude en commission parlementaire, article par article, jusqu’à son adoption définitive.
Si le gouvernement est majoritaire, l’adoption est assurée… ou presque. Un gouvernement peut en effet décider de retirer un projet de loi ou de le laisser mourir au Feuilleton si ses intentions ont changé. Les partis d’opposition peuvent également mener un travail pugnace au sein des commissions parlementaires.
À quelques exceptions près, ce n’est pas le ministre qui rédige ses propres projets de loi. Des équipes d’avocats travaillent à traduire les principes et les intentions du gouvernement en articles de loi. Une fois le projet de loi déposé à la Chambre et le principe adopté, des amendements peuvent être apportés en commission parlementaire soit par le ministre, soit par les députés de l’opposition.