En Casamance, des milliers de femmes s’activent à la cueillette des huîtres. Mais les gains restent modestes. Pour dynamiser le secteur et promouvoir les travaux conchylicoles, la FAO accompagne l’État du Sénégal dans un programme de mise aux normes sanitaires et phytosanitaires. Ce rapport a été réalisé lors d’un voyage de presse organisé par la FAO à Sédhiou et Ziguinchor, du 15 au 20 décembre 2024.
Ils sont armés de couteaux et de cutters. Pieds nus, ils avancent dans l’eau. D’un pas assuré, malgré le sol argileux, ils s’enfoncent dans la mangrove, tout en chantant une chanson en mandingue. Ils trempent leurs mains dans l’eau. Après quelques minutes, ils remettent les huîtres dans un panier en fibres de bois de palmier avant de repartir vers la mangrove. Contraints d’abandonner temporairement leur lieu de repos, quelques oiseaux marins assistent au spectacle depuis le ciel. Les femmes du village de Diao Insa Ba (commune de Bemet Bidjini, arrondissement de Djibabouya, département de Sédhiou) répètent ce geste depuis des années. La cueillette des huîtres fait partie de leur quotidien. Pourtant, l’activité ne leur apporte pas grand chose. « Nous vendons un pot d’huîtres transformées à 500 FCfa. Tout au plus, nous gagnons entre 4 000 et 6 000 FCfa après chaque récolte », explique Aminata Mané. Le marketing constitue la principale contrainte pour ces femmes. Faute d’acheteurs, la récolte des huîtres est principalement destinée à la consommation des ménages du village. « Nous souhaitons également être accompagnés dans la formation et l’acquisition de matériel », ajoute Adama Dabo.
Sur ce site, l’exploitation des huîtres se fait encore de manière artisanale et elle semble en être à ses balbutiements. Pendant longtemps, les responsables du ministère de la Pêche ont pensé qu’il n’y avait pas d’huîtres à Sédhiou. Ce n’est qu’en 2022 que ce site a été découvert. L’objectif est de construire un bassin ostréicole sur ce site pour en valoriser le potentiel. « Si les ressources sont disponibles, je compte démarrer ce projet en 2025 », précise Abdoulaye Diallo, chef du département régional de l’Agence nationale de l’aquaculture (Ana) à Sédhiou. Une vieille pirogue à rames est amarrée au bord de l’eau. Dans cette partie où se croisent le fleuve Casamance et son affluent le Soungrougrou, la mangrove se densifie à mesure que l’on remonte vers Ziguinchor.
Passer de la cueillette à l’ostréiculture Contrairement à Diao Insa Ba où les femmes cueillent les huîtres directement dans la mangrove, à Ouronck (près de Katakalousse), l’activité est plus développée. C’est l’un des sites d’exploitation ostréicole les plus importants de Casamance. C’est ici que se situe l’unique bassin versant de la région de Ziguinchor. Nous sommes carrément dans l’ostréiculture, c’est-à-dire l’élevage d’huîtres. Le potentiel est bien plus grand. Dans ces bolongs du fleuve Casamance qui polarise 21 îles (14 dans la commune de Kafountine et 7 dans la commune de Djembering), les huîtres sont disponibles en abondance, mais c’est tout un défi d’aller les récolter. « Nous prenons un canoë à rames.
En plus des risques que cela comporte, nous ne pouvons pas atteindre certaines zones » informe Maïmouna Gomis, présidente de la Gie Sotiba de Ouronck. Lors de notre visite, mardi 17 décembre, nous avons pris une pirogue à moteur pour rejoindre la mangrove. Au rugissement du moteur, le canot s’élance, traçant une ligne éphémère sur l’eau. «C’est ici», précise Maïmouna. Le canoë s’ajuste vers le feuillage touffu. Pendant la récolte, les femmes plongent dans l’eau jusqu’à la poitrine, mais pendant cette période de marée haute, nous restons tous à bord. Maïmouna soulève une branche. « Vous voyez les huîtres ! », s’exclame-t-elle. De l’autre côté, on aperçoit Essaout derrière une ligne compacte de mangroves. On s’approche des guirlandes et des coupes. Cet équipement a été installé par l’Agence Nationale de l’Aquaculture pour permettre l’accrochage des naissains (petites huîtres). Une fois qu’ils ont atteint une certaine taille, les femmes viennent les récupérer et les mettent dans des pochettes pour les faire grandir. « Au début, la collecte se faisait de manière artisanale dans les mangroves.
En installant des coupelles, nous créons des conditions favorables pour permettre à l’huître de s’accrocher et cela facilite le retrait », explique Mariama Faye. Les femmes ont également bénéficié du renforcement des capacités sur les méthodes d’élargissement. Après la récolte, les huîtres sont placées dans le bac de dégorgement pendant deux à trois jours avant commercialisation. Contraintes Selon Mariama Faye, les femmes ont compris l’intérêt des infrastructures ostréicoles. Mais ces infrastructures ne sont pas aussi accessibles à la majorité des Gie. Par exemple, il n’existe qu’un seul centre de dégorgement dans toute la région de Ziguinchor. Et ces femmes n’ont pas les moyens (camion frigorifique) pour transporter les huîtres jusqu’à ce site de transformation. Plus généralement, les ostréiculteurs de Casamance sont confrontés à un manque de ressources. « Nous n’avons qu’un seul canot à rames et pas assez de gilets de sauvetage ; ce qui limite nos déplacements. Nous avons vraiment besoin d’être aidés», plaide Maïmouna Gomis. Le constat est similaire à Tobor, non loin de Ziguinchor. Sur ce chantier, les femmes travaillent dans des conditions difficiles pour des revenus dérisoires.
L’ostréiculture est une véritable corvée. « Nous conditionnons les huîtres en bocaux chez nous. Si nous pouvions nous aider à avoir un lieu répondant aux normes d’hygiène avec les équipements nécessaires, nous pourrions augmenter notre production», argumente Mariama Diédhiou, présidente de la fédération Youlaye (huître diola) de Tobor. L’autre écueil est le manque de financement, car les infrastructures pour l’ostréiculture sont coûteuses. Depuis 2021, l’ONG Aceas accompagne les femmes d’Ouronck (Katakalousse), notamment dans la confection, l’installation et le nettoyage des guirlandes et la valorisation des huîtres. Selon Mariama Badji, une des formatrices, cet appui a permis d’augmenter la production ostréicole sur ce site. « Depuis que nous avons commencé à former les femmes, elles ont non seulement amélioré la technique de collecte et de transformation des huîtres, mais aussi l’hygiène », dit-elle. Selon elle, le potentiel ostréicole est là, mais les femmes manquent de moyens pour le récolter. « Ils n’ont même pas de pirogues motorisées », constate Mariama Badji.
Le défi de la classification des sites de production
Pour accompagner le développement de la filière ostréicole au Sénégal, la FAO a lancé un programme de mise aux normes sanitaires et phytosanitaires afin de favoriser la sécurité sanitaire des coquillages et leur accès aux marchés régionaux et internationaux. Son budget est de 854 518 dollars (environ 530 millions FCFA). Il comprend un volet de surveillance sanitaire des zones de production. Chaque mois, des techniciens prélèvent des échantillons sur les 50 sites identifiés au niveau national. Les échantillons sont ensuite envoyés au laboratoire national d’analyse et de contrôle de Dakar pour réaliser des analyses microbiologiques et chimiques. Le protocole d’échantillonnage consiste à réaliser dans un premier temps une inspection du littoral pour recueillir des données physico-chimiques avant de passer à l’échantillonnage proprement dit.
« Il faut mettre l’échantillon dans de bonnes conditions dans de la neige carbonique et des isolants et l’acheminer à Dakar dans les 24 heures », explique Mariama Faye, chef du service régional Ana à Ziguinchor et point focal du projet. A l’issue de l’étude, les sites seront classés sur une échelle de A à D, en fonction du seuil de précision. Si un site est classé A, cela signifie que le produit ne présente aucun risque sanitaire et que les huîtres peuvent être récoltées et commercialisées directement. Si le site est de classe B, les huîtres doivent être dégorgées avant leur commercialisation. Pour les sites classés C, outre le dégorgement, les huîtres doivent être purifiées (en station d’épuration) avant leur commercialisation. Enfin, les sites classés D sont inutilisables, car présentant un niveau de contamination élevé.
Selon Abdallah Thiam, consultant en sécurité alimentaire et santé à la FAO et coordinateur adjoint du projet, il existe un potentiel ostréicole important dans plusieurs régions du Sénégal. « Avec les échantillons que nous prélevons sur les sites, nous cherchons à savoir si les produits sont contaminés par d’autres germes microbiologiques ou s’ils contiennent des contaminants chimiques. A l’issue du plan de surveillance que nous mettons actuellement en œuvre, il y aura un classement des sites pour déterminer si, en plus du dégorgement, il faut procéder à une épuration avec l’installation d’une « centrale d’épuration », explique-t-il. Selon Dr Mamadou Ndiaye, expert au bureau sous-régional de la FAO pour l’Afrique de l’Ouest et coordonnateur du projet, le taux d’exécution est estimé entre 65 et 70%. “Normalement, le projet devrait se terminer en mars 2025, mais nous avons demandé une prolongation de quelques mois dans l’espoir que, d’ici fin 2025, nous pourrons atteindre tous les résultats prévus”, a-t-il déclaré.