Ce matin, la lumière est vive et l’air est froid. Le ciel, fendu par les mouettes et les mouettes qui se disputent bruyamment, est d’un bleu étincelant. Sur le ponton, une poignée de bateaux aux coques blanches, bleues ou rouges barbotent dans l’eau verte. Le boxeur La crevette est amarré au ponton. Benoît prépare son filet, la corde rouge, celle qui flotte en haut, la bleue, lestée de plomb pour aller en bas, en bas.
Des migrants ? Bien sûr, il les rencontre en mer. « Je travaille pas loin de la côte donc je les vois partir, explique le patron de la pêche. Dès que les conditions météo sont bonnes, ils s’embarquent au lever du jour. Mais aujourd’hui, cela m’étonnerait car il y a un fort vent de terre. En tout cas, on en a vu moins depuis l’été. » Moins peut-être, mais désormais, même en hiver, les tentatives de traversée de la Manche ne s’arrêtent plus.
Sur le quai, en bottes et veste bleue, José Pinto scrute l’horizon. Il attend le retour deOphéliele bateau de ses fils, pêcheurs comme lui. Aujourd’hui à la retraite, il se souvient « Nous avons commencé à voir beaucoup de migrants au cours des cinq ou six dernières années. Avant, ils sont passés par le tunnel, mais les autorités ont tout barricadé, alors ils ont essayé par bateau.» En 2018, se souvient-il, “Ils ont même volé un filet maillant, L’Épervierqu’ils ont apporté en Angleterre.
Désormais, les traversées de migrants font partie du quotidien des pêcheurs. « Mon obsession, resumes Benoît, c’est de ne pas les voir la nuit. Parce qu’ils ne sont pas éclairés. Normalement, quand ils nous voient arriver, ils allument leur téléphone, mais à la vitesse où je vais, il serait rapide d’en toucher un. »
« S’ils tombent à l’eau, leurs minutes sont comptées »
Mais surtout, les pêcheurs croisent de plus en plus de bateaux en mauvais état. « Ce sont des bateaux pneumatiques vraiment de mauvaise qualité, avec un fond très fragile, explique Gaëtan Delsart, le patron de Adèle-Camille. Et puis les passeurs entaillent 50 voire 70 personnes sur vous. J’en ai vu qui étaient tellement collés les uns aux autres qu’ils ne pouvaient même pas tirer sur la ficelle pour redémarrer le lanceur. » Des passagers sont déjà morts par asphyxie. Mais le danger le plus courant est que le bateau, trop fragile, coule. « S’ils chutent, avec une eau en dessous de 13°C, leurs minutes sont comptées » Gaëtan précise.
Lorsqu’un bateau en difficulté appelle à l’aide, le Centre Opérationnel Régional de Surveillance et de Sauvetage (Cross) du Cap Gris-Nez alerte le bateau le plus proche, conformément au droit maritime qui impose à tout capitaine de porter assistance à toute personne en danger. en mer. « On nous demande ensuite de nous dérouter et de vérifier que le bateau flotte, combien de passagers il y a, si les gens ont des gilets de sauvetage… » explains Gaëtan.
Si le bateau se dirige normalement, les autorités l’autorisent à continuer, car une collision comporte trop de risques. Mais s’il est en difficulté, ils peuvent demander au pêcheur d’intervenir. « Nous obéissons à ce que la Croix nous demande, continues Gaëtan. Un jour, j’ai dû accompagner un bateau en panne pendant une heure jusqu’à l’arrivée des secours. » Son frère Jonathan, qui navigue sur le Corentin-Lucasa aussi déjà dû veiller sur 12 réfugiés exilés à l’arrière de leur Zodiac, renversé par le passage d’un cargo, en attendant l’arrivée des sauveteurs. « On perd une heure ou deux dans la journée, continues Gaëtan, mais nous ne pouvons pas laisser les êtres humains se noyer. Et je n’ai jamais entendu un pêcheur dire : « Laissez-les se débrouiller ! » Celui-ci n’aurait aucun intérêt à rentrer au port… »
Parfois, les choses tournent mal. Début septembre, “la Croix nous a envoyé un “mayday”déclare Gaëtan Baillet, patron de Le Breton. Je rentrais au port, je me suis fait dérouter. Quand je suis arrivé, il y avait aussi mon cousin, le patron du Murex. Les sauveteurs avaient déjà évacué les survivants, mais il y avait encore des corps dans l’eau. Nous avons attrapé les manteaux qui flottaient et les avons remontés. Mon cousin a appelé une jeune fille avec un téléphone portable attaché autour du cou, qui n’arrêtait pas de sonner. Une expérience douloureuse. Mais les marins ont décliné l’aide psychologique qui leur était proposée.
Mais parfois, les pêcheurs sauvent des vies. Jonathan Delsart en a fait l’expérience à plusieurs reprises. « En juin, on m’a appelé pour aller retrouver un gars qui était tout seul dans l’eau, accroché à une petite bouée. Il a dû tomber d’un bateau et n’a pas pu se relever. Je ne sais pas pourquoi, mais quand je l’ai repêché, il était nu comme un ver ! Mon enfant lui a donné ses vêtements de rechange. »
“J’ai vu un père et son enfant tomber à l’eau et couler à 1 mètre de profondeur”
En revanche, en septembre dernier, l’intervention était encore plus dangereuse. « J’étais en train de dresser des pièges lorsque j’ai reçu le message indiquant qu’il y avait des hommes à la mer. J’étais à dix minutes. Nous sommes arrivés en même - que le bateau de la gendarmerie et un hélicoptère. » Un Zodiac transportant 67 personnes se dégonfle alors et se replie sur lui-même. « Il y avait des gens coincés au milieu, avec de l’eau jusqu’à la poitrine. Quand nous sommes arrivés, c’était la panique. J’ai vu un père et son enfant tomber à l’eau et s’enfoncer jusqu’à 1 mètre de profondeur, avant de remonter. »
Il faut alors agir vite. « La gendarmerie a attaqué par devant et moi par derrière. Là, on ne pose pas de questions : on jette des gilets de sauvetage à ceux qui sont dans l’eau, et on attrape tout le monde qu’on peut, on récupère les gilets de sauvetage et on les jette. » En quinze minutes, Jonathan amène 27 migrants sur son bateau de 12 mètres.
A bord, les naufragés se détendent enfin. Jonathan place un enfant de 7 ans à la place du capitaine. Et on discute un peu grâce à Google Trad. « Il y avait un Syrien qui en était à sa deuxième tentative. Il m’a expliqué que sa vie était tellement merdique qu’il réessayerait même s’il mourait. Ces gens veulent partir. Je ne sais pas ce qui pourrait les arrêter, Jonathan y croit. Je blâme particulièrement le passeurs qui prennent leur argent et le mettent sur des bateaux qui ne peuvent pas arriver. »
Une question le taraude cependant : « Je comprends que les policiers qui les interceptent à terre confisquent les Zodiac. Mais pourquoi prennent-ils leur gilet de sauvetage ? Soit ils en donnent à chaque bateau qui pourrait avoir besoin d’intervenir. Le gilet, c’est la survie ! »
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Un nombre record de décès en 2024
En 2024, 35 338 migrants sont déjà arrivés au Royaume-Uni. « petits bateaux »selon un comptage AFP du 18 décembre, contre 29 437 en 2023 et 45 774 en 2022.
5 800 personnes ont été secourues en mer en 2024 et 871 tentatives de traversée ont été déjouées par les forces de l’ordre, selon la préfecture du Pas-de-Calais. Entre 2022 et 2024, “un migrant sur cinq” a échoué dans sa tentative de traversée, selon la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord.
Au moins 73 migrants sont morts en tentant de traverser la Manche en 2024, ce qui devient l’année la plus meurtrière depuis le début du phénomène de traversées en embarcations de fortune, enregistré depuis 2018. Le précédent record datait de 2021, avec 31 morts (dont 27 au cours de la même naufrage).