Si vous souhaitez bâtir un parti voué à l’autodestruction ou à une marginalisation permanente, j’ai une recette pour vous.
Commencez par mettre sur les rails politiques une locomotive très à gauche. La locomotive sera le moteur du parti, une machine qui permettra à tous les groupes militants et petits groupes ayant une cause à défendre de venir y atteler leur wagon et déployer leur propre programme.
Le train en marche devient alors rapidement une succession de monologues qui laissent croire aux occupants de la locomotive que la conversation est harmonieuse. Les mots décolonisation, intersectionnel, racisme, discrimination, inclusion, équité, diversité, droits autochtones, écologie, altermondialisation résonnent très fort dans le convoi.
Bien évidemment, toutes ces causes sont nobles et méritent d’être mises en avant avec discernement pour améliorer nos sociétés. J’ai dit cela avec discernement, car aussi importantes que soient ces luttes, l’extrémisme militant peut éroder les acquis à perte de vue. En d’autres termes, une certaine manière de lutter contre la discrimination peut silencieusement provoquer l’effet inverse au sein de la population.
Mais dans cette gauche adepte des contradictions, tout est possible. Ici, nous plaidons pour l’ouverture et l’unité nationale, mais nous favorisons le repli communautaire en fragmentant de plus en plus la population selon la race, la religion, le sexe, le genre et l’origine ethnolinguistique.
Perdue sur cette route des incohérences clientélistes, cette gauche finit par s’éloigner des préoccupations qui ont fait les belles années de ses prédécesseurs dans les démocraties occidentales. Elle perd la capacité de se concentrer en priorité sur les besoins fondamentaux de la population, ceux qui dépassent les divisions et les revendications militantes, les revendications des différents wagons du train. Le respectable Bernie Sanders a exprimé cette errance différemment pour expliquer le dégel démocrate lors des dernières élections américaines.
Ces luttes contre les discriminations peuvent même conduire cette gauche à mépriser ou à humilier l’identité et les valeurs fondamentales d’une majorité historique. Ce qui est une autre très mauvaise idée. En effet, cette discrimination à rebours que cette gauche refuse de voir comme telle donne toujours lieu à un repli identitaire qui accroît les vices qu’elle cherche à combattre. En d’autres termes, au fil du -, les actions de cette gauche mettent à rude épreuve tous les problèmes sociétaux qu’elle cherchait à améliorer.
Dans le passé, la gauche œuvrait à protéger les masses laborieuses et les minorités sans fragmenter la population de manière clientéliste. Elle s’est battue contre toutes les formes d’exclusion et d’intolérance. C’était aussi le lieu de protection des minorités sexuelles contre les dérives de la droite religieuse ou de l’extrême droite.
Aujourd’hui, une certaine gauche semble avoir perdu la tête à tel point que de nombreux progressistes ne s’identifient plus à elle. Par exemple, quand on est résolument féministe, comment croire cette gauche qui pense que le machisme, la misogynie et l’homophobie, lorsqu’ils viennent d’ailleurs, doivent absolument être à l’abri des critiques et de l’indignation au nom des chartes, du relativisme culturel et de l’exception religieuse ?
Cette gauche semble avoir oublié que l’harmonie dans une démocratie se construit sur l’égalité des droits et non sur l’attribution de privilèges.
Plus ironique encore, cette gauche est devenue, sans s’en rendre compte, l’alliée de forces dont elle devrait passer son - à combattre les excès. Laissez-moi vous expliquer. Le plus grand prédateur des masses laborieuses et des personnes vulnérables de nos sociétés est la grande industrie transfrontalière qui ne veut pas payer sa juste part de la pression fiscale. A l’image de cette nouvelle gauche, ces multinationales sont résistantes aux frontières et aux identités.
Tout ce qui intéresse ces géants, c’est d’avoir une main-d’œuvre bon marché qui progresse par vagues dispersées. Alors, quand cette gauche diabolise toute critique des problèmes migratoires et traite de xénophobes tous ceux qui osent aborder le sujet, le grand capital est content. Même lorsque ce capitalisme propose de décupler les seuils d’immigration, il ne voit pas des gens à aimer et à protéger, mais une main d’œuvre bon marché.
Quand cette gauche prône la fragmentation sans fin de la population selon la race, la religion, le sexe, le genre, la communauté, le grand capital se réjouit aussi. Il s’en réjouit car il est bien conscient que tant de petits groupes n’auront jamais un dialogue syndical suffisamment solidaire pour défendre leurs droits communs. D’ailleurs, les syndicats qui se laissent séduire par le modèle du train de groupes militants se dirigent de la même manière vers un précipice.
Il est triste de voir cette gauche creuser peu à peu sa propre tombe, un trou devenu si béant qu’en Europe il risque d’engloutir une grande partie des mouvements progressistes. Profitant de cette faillite, partout en Europe, la droite s’allie à l’extrême droite et avance vers le pouvoir.
La France insoumise (LFI), Podemos en Espagne, Syriza en Grèce et bien d’autres mouvements appartenant à cette gauche au Danemark, en Irlande, en Allemagne et au Royaume-Uni sont à l’agonie. Aux Etats-Unis, après la cuisante défaite des démocrates, les langues se délient et ceux-ci demandent à leur parti de résister à un certain activisme des groupes d’intérêt qui squattent les nombreux wagons du parti.
Presque partout en Occident, les forces humanistes et progressistes sont en lutte. En ces - où la crise climatique met à mal la planète, même les partis écologistes souffrent. Il est vraiment - pour cette gauche de revoir sa manière de faire de la politique pour ne pas se détruire.
La folie, c’est faire la même chose encore et encore et s’attendre à un résultat différent. Cette citation attribuée à Albert Einstein est au centre des méthodes de cette gauche qui gagnerait à revenir à l’essentiel avant qu’il ne soit trop tard.