l’art délicat du compromis

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l’art délicat du compromis

Par

Julien Munoz

Publié le

5 décembre 2024 à 19h00

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Au début, il y a un amendement, déposé par Jean-François Le Grand (UMP) au Sénat alors Philippe Duron (PS) à l’Assemblée, pour que les ports non autonomes de l’État puissent être achetés par les communautés. Le Grand pousse alors le Ministère à la création d’un syndicat paritaire, qui deviendra les Ports Normands Associés (PNA).

Bernard Cazeneuve ne veut pas en entendre parler. Pendant longtemps, il aura cette impression que quelqu’un l’a mis sens dessus dessous. ” Pendant un an, c’était très tendu between us,” remembers Jean-François Le Grand.

Un jour, le Président de la Manche organise un bus avec 48 conseillers généraux pour visiter le port de Cherbourg. La veille, il prévient Cazeneuve et lui demande d’être là pour les accueillir.

Cazeneuve commença son discours. Au bout d’un moment, il dit : « Je vais vous dire quelque chose qui me coûte. Jean-François a eu raison de former le syndicat mixte. C’est ce qui sauvera le port de Cherbourg. » Il est capable de reconnaître quand il fait une erreur. C’est la marque des grands gens d’avoir l’esprit ouvert, de refuser le sectarisme, de pouvoir discuter avec tout le monde.

Jean-François Le Grand, ancien président du conseil départemental et sénateur de la Manche

Un compromis, pas un compromis

Plus tard, ensemble, avec Laurent BeauvaisPrésident PS de la Région Basse-Normandie, ils imaginerontgagner quarante hectares sur la mer à Cherbourg et lancera le énergies marines renouvelables. Sans cela, rien de ce qui existe aujourd’hui ne serait possible.

Nous avons été tous deux vice-présidents de la Région de 2004 à 2008. Lui était responsable de l’Économie et moi de la Recherche et de l’Innovation. Des responsabilités complémentaires dans le domaine du développement économique que nous combinons avec harmonie, à Cherbourg comme dans toute la région. Par la suite, notre parfaite entente entre communautés s’est particulièrement illustrée sur la question des MRE et de la réhabilitation des espaces industriels du port. Le succès est total aujourd’hui. Je me souviens de son exigence intellectuelle, de sa forte capacité de travail et de son écoute toujours attentive à ses interlocuteurs.

Laurent Beauvais, ancien président de la Région Basse-Normandie.

Le travail collectif n’interdit pas les convictions fortes et le respect des sensibilités de chacun. Faire front unique, c’est faire avancer le territoire par le compromis et mener des combats communs, sans surtout se compromettre. Ni ressentir le besoin absolu de mettre en valeur la part de chacun dans une conquête.

Il avait une culture politique différente, et c’est cette différence qui lui a permis de s’imposer. Pour chacun des élus, d’une certaine manière, il était un atout. En tout cas, il n’était pas un adversaire. S’il a réussi partout, c’est parce qu’il a toujours répondu par le débat d’idées.

Pierre Duclos, ancien gérant au CUC

Pour être fructueuse, la réflexion doit aussi être organisée. Ne pas écouter souvent, c’est prendre le risque de se tromper.

Des erreurs sont faites pour apprendre

En 2002, Bernard Cazeneuve connaît sa seule défaite électorale majeure face à Jean Lemière aux élections législatives. Beaucoup à droite murmureront qu’ils l’ont regretté durant ces années-là.

Avant les élections, j’ai appelé Bernard au sujet du changement de statut à l’arsenal. Je lui ai dit que quoi qu’il pense, il ne devrait pas prendre position. L’esprit cherbourgeois n’était pas prêt à ce moment-là. Nous nous sommes disputés bruyamment. Je lui ai dit qu’il ne gagnerait pas les élections. Il ne m’a pas cru. Le soir des élections, nous nous sommes retrouvés dans son bureau. Il m’a dit : « Tu avais raison, Jean-Pierre. »

Jean-Pierre Godefroy, ancien maire de Cherbourg

Cinq ans plus tôt, un soir de victoire, un militant lui avait offert une salopette, comme pour lui dire de ne jamais l’oublier.

Bernard Cazeneuve a l’art de rebondir, de s’imprégner et d’apprendre. Les vents contraires finissent toujours par être soutenus.

En tant que maire, il avait un certain sens du dialogue social. Il ne voulait pas que des problèmes internes éclatent. Il pensait à ce qui s’était passé ensuite. Nous avons été moyennement heureux d’apprendre la fermeture de la patinoire par La Presse. En revanche, il connaissait très bien les dossiers. Nous savions que nous risquions de prendre une volée de bois verts si nous n’étions pas prêts en CTP. Cela nous a obligé à être meilleurs.

Michel Melet, alors responsable territorial CGT

Au cours de ses mandats, il s’appuiera continuellement sur la compétence des fonctionnaires, directement au cœur de la réalisation des projets. Avec des moyens pour les communautés, à l’époque.

Lors de son élection à la Chambre des métiers en 1999, Jean-Denis Meslin propose une rencontre à son président de l’époque. Il fixe un rendez-vous au cabinet, rue François-la-Vieille.

A l’époque, à la Chambre des métiers, il y avait cette habitude de ne pas aller voir les gars de gauche. Bref, c’était des conneries indescriptibles. Nous avons discuté de nombreux sujets. En partant, mon président m’a dit : « eh bien, ça… c’est un gentleman hein. » Il n’avait pas été impliqué dans la politique. Écoutez simplement.

Jean-Denis Meslin

« Le sens du rassemblement »

Croyances personnelles représentent à ses yeux un fil conducteur plus puissant que celui des partis. Il ne siège sur rien mais s’adapte, rassemblant sur ses listes municipales les communistes jusqu’au centre droit en passant par la société civile. Les sensibilités s’expriment, pèsent sur les orientations. Il fait sortir les jeunes, comme Jean-Pierre Godefroy avant lui.

En 2014, il a conseillé Jean-Michel Houllegatte inclure Claudie Launoy et Barzin Viel-Bonyadi dans sa liste pour les élections municipales, et de confier des responsabilités à Sébastien Fagnena rejoint le conseil en 2009.

C’est quelqu’un qui a toujours eu cette envie d’éduquer les jeunes du MJS. Cela en dit long sur sa pratique politique. Il n’a jamais eu l’ego comme boussole. Il a le sentiment de rassembler les gens.

Sébastien Fagnen, PS senator

En 1994, à son arrivée au Département, Bernard Cazeneuve lui-même avait l’air d’un jeune. « Au début, il m’intriguait, se souvient Jean-François Le Grand. Il avait un côté plus poli que les autres, très respectueux. Il aimait aller vers les autres. Il a rapidement commencé Pierre Aguiton, le président, dans la poche. »

« Quand nous nous battons pour le territoire… »

Rapidement, dans l’opposition, il marque des points à Saint-Lô. Le personnage est décrit comme ouvert, jamais agressif ni trop pointu. Il avait ce don de contourner les difficultés pour les surmonter et de croire qu’une relation gagnant/gagnant était possible.

Lorsque j’ai été élu au Département, bien plus tard, Bernard Cazeneuve ne m’a donné qu’un seul conseil. Celui d’être respectueux, de ne pas semer la discorde au sein de l’opposition. Au fil du -, c’est ainsi que vous obtiendriez quelque chose.

Franck Tison, ancien adjoint au maire de Cherbourg-Octeville

Un jour, à la fin des années 2000, une éolienne est inaugurée à Saint-Nazaire. Ni Cazeneuve ni Beauvais ne sont disponibles. Le Grand parle en leur nom. A la fin du discours,Jacques Auxietteprésident de la Région Pays de la Loire, vient voir le président du Département de la Manche et l’interroge.

Comment une UMP peut-elle parler au nom de deux PS ? “Chez nous, il n’y a pas de différence politique quand on se bat pour un territoire», replied Jean-François Le Grand.

Dans la foulée, Auxiette envoie un SMS à Laurent Beauvais pour se convaincre que tout cela était bien vrai. Il le confirmera. Ainsi un territoire s’agrandit.

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