Ces derniers mois, j’ai le sentiment que la vie politique en France se déroule dans des espaces de plus en plus fermés. D’un côté, il y a la vie politique nationale, qui s’apparente à une mauvaise pièce : coups de menton, petites phrases meurtrières, punaises, trahisons. Michel Barnier, cible de ses alliés ; la gauche tiraillée entre culture gouvernementale et provocation effrénée ; le Rassemblement national, arbitre menaçant, bientôt condamné pour détournement de fonds européens. Les spectateurs citoyens oscillent entre rires forcés, envie de quitter la salle et espoir que le jeu des comédiens s’améliore. On peut difficilement imaginer une issue heureuse à ce vaudeville.
Et puis il y a la vie politique locale. C’est loin d’être apaisé : le Rassemblement national continue de marquer des points, et les attaques contre les élus sont plus nombreuses. Mais elle reste un lieu où existent des liens entre les citoyens et leurs élus, où règne une forme d’écoute, où la prise en compte des réalités sociales, économiques et territoriales permet encore de tracer une voie. Le contraste avec la scène nationale est saisissant.
Le maire a toujours été une personnalité politique appréciée des Français, et gageons que cela vaut aussi pour ceux qui dirigent le département en charge des questions sociales, et même les régions les plus éloignées, qui s’occupent des transports quotidiens et des lycées. Cette séparation entre le local et le national a été encore accentuée par la règle des mandats non cumulatifs qui interdit, par exemple, d’être à la fois maire d’une grande ville et adjoint. Elle doit permettre d’élargir le cercle de ceux qui souhaitent être élus et favoriser le renouvellement des personnes, ce qui est louable. Cela a également eu pour effet pervers de dissocier davantage les deux mondes politiques.
Tout n’est pas rose en politique locale. Il y a des clientèles, un localisme qui peut nous confiner, une concurrence entre territoires qui fait oublier la redistribution entre riches et pauvres, la tentation pour l’élu local de se penser roi dans son royaume. Dans notre pays, le rôle de l’État a été central pour garantir le respect du principe d’égalité. Mais aujourd’hui le problème réside. L’égalité est mise à mal dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité et du droit au logement. Comment des élus nationaux, obsédés par leur agenda électoral, peuvent-ils à ce point négliger des questions aussi essentielles que l’amélioration concrète des services publics ?
Favoriser la collaboration entre les élus et agents publics de terrain, et ceux qui décident à Paris, est un refrain mille fois entendu. Oui, mais les choses empirent. La Cour des comptes a par exemple montré dans un récent rapport qu’à fin 2023, seulement 1,31 % des cinq milliards d’euros annoncés pour le plan « Marseille en grand » en 2021 avaient été dépensés. Entre-temps, les logements insalubres, les règlements de comptes liés à la drogue et les inégalités éducatives se sont multipliés.
Il ne peut y avoir de mondes politiques parallèles dans une démocratie. Ce fossé grandissant entre la vie politique nationale et la vie politique locale est un signal d’alarme. C’est le signe que les Français, à leur tour, pourraient avoir de plus en plus de difficultés à se parler, entre Français des villes moyennes et habitants des métropoles, entre villes et campagnes. Le mouvement paysan se nourrit directement de ces malentendus. Sans une vision commune des responsabilités entre élus locaux et nationaux, la société sera encore plus fracturée. Et là encore, nous ne pouvons imaginer une issue heureuse.