Femmes et tissage (Clermont-Ferrand) – .

Femmes et tissage (Clermont-Ferrand) – .
Femmes et tissage (Clermont-Ferrand) – .

Ce séminaire pluridisciplinaire a pour objectif de tisser des liens entre jeunes chercheuses et chercheurs de la région Auvergne Rhône-Alpes. Le sujet choisi, celui de la création féminine, reste marginalisé dans la recherche, et ce séminaire a pour objectif de favoriser les échanges sur ce domaine, qui nécessite de sortir des sentiers battus. Ce chemin différent est nécessaire pour suivre les pas des créatrices, trop souvent marginalisées et exclues des circuits créatifs. Penser les marges et les créations des femmes nous pousse ainsi à questionner notre travail de jeunes chercheuses et chercheurs, nourri aussi par la voix des créatrices et créateurs qui remettent souvent en cause l’exclusion dont elles et ils sont victimes. Le travail des jeunes chercheuses et chercheurs finit alors par être un travail de réparation, de correction d’une injustice passée ; c’est un travail non seulement d’étude scientifique mais aussi de « visibilisation ». En ce sens, le séminaire se veut aussi un lieu d’interventions de créatrices et créateurs, afin d’établir un dialogue entre chercheurs et objets de recherche. Le séminaire se veut itinérant, et pourra se dérouler dans une université différente de la région à chaque session.

Séance 1 : Une poétique du tissage : créer en tissant, lire les tissages, 18 septembre 2024, Université Clermont Auvergne

Ce séminaire réunira des doctorantes travaillant sur les œuvres ou, plus largement, le travail des femmes, que ce soit dans la littérature, la traduction, l’édition, l’art, l’artisanat et la musique. La notion de tissage englobe les enjeux liés à ces artefacts : le tissage, et les arts textiles en général, est une pratique historiquement considérée comme féminine, on lui accorde rarement la qualité d’art. Pourtant, ces arts qui ont pu être associés à des formes d’aliénation ou de servitude peuvent aussi être détournés pour devenir des outils d’émancipation. Pensons par exemple à Pénélope qui subvertit l’acte de tisser pour conserver son autonomie. Dans cette lignée, l’artiste espagnole Teresa Lanceta rompt avec la conception patriarcale du tissage, l’introduisant comme une pratique artistique qui a sa place dans un musée, et qui est le produit d’un savoir-faire multiculturel. Le tissage peut ainsi être, pour les femmes, une méthode de création (rappelons que le mot « texte » vient du latin textum qui signifie aussi tisser, tresser, entrelacer). Par exemple, la poétesse Chantal Maillard fonde sa poétique sur l’art de filer les émotions à l’aide d’un fuseau, avatar de la plume.

Pensons aussi aux écritures intermédiales, qui permettent de tisser des liens entre différentes disciplines artistiques : dans son installation Le dînerL’artiste contemporaine américaine Judy Chicago dresse une table pour trente-neuf femmes qui ont marqué l’histoire, comme Sappho et Georgia O’Keeffe. Chicago attribue à chaque invitée une nappe brodée et tissée de façon unique.

Séance 2 : Vers à soi : tisser une poésie féministe, 11 décembre, ENS de Lyon

Le tissage contient en lui-même la tension, la problématique inhérente à la lecture féministe des productions féminines : faut-il les étudier selon leur spécificité, ici, de genre, ou selon leur valeur « universelle » ? L’exaltation du « point de vue féminin » comme différent par nature, comme le faisait Hélène Cixous, a longtemps été décriée. Monique Wittig affirme ainsi : « “Écrire des femmes” est la métaphore naturalisante du fait politique brutal de la domination des femmes et magnifie à ce titre le dispositif sous lequel avance la « féminité » : Différence, Spécificité, Corps/Féminin/Nature. (…) L’écriture féminine est comme les arts domestiques et la cuisine ». Il ne faut cependant pas rejeter toute réappropriation des contraintes et des canons patriarcaux, et au contraire constater la puissance du demi-mot, du subtil, du détournement, dans la littérature féminine. Ainsi, la poétesse catalane Maria Mercè-Marçal affirme, à propos de Rosa Leveroni, que son geste créateur consiste à tisser inlassablement une nouvelle tapisserie que l’adversité défait. Tisser serait donc pour les femmes un acte de résilience.

Session 3 : « Tisser les sources » : traductions, réécritures et anthologies, février 2025

Il peut également être pertinent d’éclairer le motif du tissage à travers le prisme de la traduction. En effet, à bien des égards, le traducteur peut être comparé à un tisserand, dont le travail est souvent invisible et sous-estimé. Par exemple, le travail de l’écrivaine écossaise Willa Muir, qui a traduit la plupart des quatre romans de Kafka, est éclipsé au profit d’une autorité accordée à son mari, Edwin Muir.

Le motif du tissage permet également d’adopter des stratégies d’adaptation au public cible, qui peuvent amener le traducteur à tisser ensemble des références issues d’aires culturelles différentes. Dès lors, un continuum se créerait de la traduction à la réécriture des textes sources, continuum que l’on peut apprécier à travers le prisme du tissage : plus le traducteur « tisse » les sources ensemble, plus il glisserait vers une réécriture du texte original. Ainsi, lorsqu’elle adapte des pièces chinoises et japonaises à la Belle Époque, Judith Gautier tisse constamment des sources asiatiques avec des sources occidentales, ce qui lui permet de remotiver certaines représentations de la Chine et du Japon tout en séduisant le public français. On retrouve ce motif du tressage dans Le Livre de Jadeson anthologie de poésie chinoise dans laquelle elle entremêle des vers traduits du chinois avec ses propres créations poétiques.

La réécriture peut aussi être une manière de se réapproprier une tradition féminine en littérature. En témoigne l’omniprésence de Sappho dans la poésie contemporaine : Renée Vivien la traduit, Carmen Conde la réécrit et Ana-María Martínez Sagi se présente comme son alter ego.

Si le motif du tissage s’applique à l’échelle microstructurale d’une traduction, il se retrouve également à l’échelle macrostructurale d’une anthologie. Le geste anthologique permet donc certes de sélectionner mais aussi de tisser un dialogue entre des textes a priori éloignés les uns des autres. Ainsi, lorsque les traducteurs choisissent de proposer une plus grande proportion d’écrivaines dans leurs anthologies, le tissage macrostructural qu’ils opèrent offre un autre canon littéraire.

Session 4 : Réseaux et correspondances : tisser des résistances, avril 2025

Le mythe d’Arachné, l’une des tisserandes les plus célèbres de l’imaginaire collectif occidental, présente le tissage comme une activité individuelle, qui peut même mettre les femmes en concurrence mortelle (Arachné se pend avant de se transformer en araignée). Mais contrairement à ce mythe patriarcal, le tissage est souvent une manière de fonder une communauté d’entraide et de promotion de la création. Cette pratique est devenue un support artistique de contestation féministe dans des pays d’Amérique latine comme le Mexique et la Colombie. Elle renoue aussi avec les traditions indigènes. Cela s’inscrit dans une démarche de « care », une politique de soin qui vise à obtenir l’autonomie des femmes marginalisées. En témoigne le slogan en langue espagnole « Me cuidan mis amigas, no la policía » (« Ce sont mes amies qui s’occupent de moi, pas la police »).

Le tissage est donc un moyen de contrecarrer l’isolement forcé du patriarcat. Il faudra donc s’intéresser au rôle des amitiés ou de l’amour entre femmes et des réseaux de femmes au sein de la création. C’est notamment le cas de la Société poétique du jardin de bananes (Jiaoyuan shishe 蕉園詩社) à Hangzhou, en Chine à la fin du XVIIe siècle, fondée par ou pour des femmes lettrées. Ces réseaux de femmes peuvent également donner lieu à des projets éditoriaux, comme ce fut le cas au Japon à travers la revue Seitō (青鞜), afin d’offrir un espace d’expression aux femmes créatrices.

Session 5 : Métissages : Tisser son identité par la création, juin 2025

La poétesse catalane Maria-Mercè Marçal se définit, dès le premier poème de Chute des lunesSon premier recueil, « trois fois rebelle », parce qu’elle est femme, issue de la classe ouvrière et d’une « nation opprimée ». Toute sa poésie peut être vue comme une entreprise de tissage de ces trois aspects de son identité. Au sein du patriarcat, où les femmes sont souvent fragmentées (par exemple par le « regard masculin » théorisé par Laura Mulvey), la création peut ainsi être une manière de donner du sens à une existence marginalisée, afin de pouvoir trouver une place au sein de la société.

La création artistique peut aussi avoir une dimension transculturelle, tissant plusieurs identités linguistiques au sein d’une même œuvre. Les communications pourraient ainsi se concentrer sur des femmes qui font du métissage le moteur de leur production artistique et littéraire. Shan Sa, écrivaine d’origine chinoise, propose ainsi dans ses romans une écriture pensée en chinois et écrite en français. Ces écrivaines produisent ainsi des textes que l’on peut qualifier d’hétérolingues, à la croisée de plusieurs langues, comme c’est le cas du roman Petite Mère de Cristina Ali Farah, qui est écrite en italien tout en laissant une large place au somali. On peut également penser à l’écrivaine chicana Cherríe Morraga, qui écrit en anglais et en espagnol dans son autobiographie Aimer pendant les années de guerre (qui n’a jamais franchi ses lèvres), où l’on retrouve également un mélange de poésie et de prose.

Les propositions pour la première session doivent être envoyées avant le 14 août 2024 à [email protected] et [email protected].

Bibliographie indicative

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BREY Iris, Le regard féminin : une révolution à l’écranParis, Editions de l’Olivier, 2020.

CHIKHAOUI Naima, « Le tissage… du textile au discours : les mots féminins d’un patrimoine immatériel », Bulletin d’archéologie marocaine2020, n°25, p. 327-351.

CIXOUS Hélène, Le rire des méduses et autres ironiesParis, Editions Galilée, 2010.

CLEYTON Barbara, Une poétique pénélopenne. Le féminin réinventé dans l’Odyssée d’HomèreLanham, Éditions Lexington, 2004.

GEFEN Alexandre, Réparer le monde : la littérature française au XXIe siècleParis, Éditions Corti, 2017.

MAGFELAINE-ANDRIANJAFITRIMO Valérie, « Femmes écrivaines de l’île Maurice et de la Réunion : « tisser des fils épars » », Francophonies interculturellesNov-Déc 2015, pp.9–29, hal-01501117.

MERINO GARCIA Leonor, « Assia Djebar ou l’art de tisser la phrase : Une caravelle, les ailes déployées, titillante, vers le processus de création avec emátheia–herméneutique de l’amour », Al-Khitab2013, n°16, p. 72-61

MISHRA AMPRUT, Tisser contre l’empire : féminisme déformé, esthétique et archives de l’art textile2023, https://doi.org/10.17615/wm1m-xg96.

MOLINIER Pascale, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilitéParis, Editions Payot & Rivages, 2009.

RAMON Esther, « Tisser le cri : une théorie de la connaissance », Minerva : Revue du Cercle des Beaux-Arts2009, n°10, p. 53-55.

RAOUI Hanane, Tissage autour d’Angelica Kauffmann et de sa Pénélope2013, hal-01688884v2.

RHOUMA Neila, « Le tissage berbère : un héritage féminin », Femmes de la Méditerranée. Femmes et mémoirejuin 2019, Sorrento, Italie, hal-03195647 .

RICHE Adrienne, Essais essentiels : la culture, la politique et l’art de la poésieWW Norton & Compagnie, 2018.

TORNSEY Cheryl, ELSLEY Judy, La culture du patchwork : retracer le modèleColumbia, Presses de l’Université du Missouri, 1994.

WITTIG Monique, Pensée directeParis, Éditions Amsterdam, 2018.

WOOLF Virginie, Une chambre à soiLondres, Penguin Books, 2000.

 
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