Repenser l’intégration locale, un préalable à une nouvelle doctrine de l’industrie marocaine – .

Repenser l’intégration locale, un préalable à une nouvelle doctrine de l’industrie marocaine – .
Repenser l’intégration locale, un préalable à une nouvelle doctrine de l’industrie marocaine – .

Avec un taux de croissance de 3,2% en 2023 et un taux de chômage de plus de 13%, l’économie marocaine peine à sortir de l’ornière du développement et à franchir le seuil de l’émergence. Mais ce n’est pas faute de politiques volontaristes et de plans sectoriels qui démontrent le dynamisme relatif de nos décideurs. La faible création de valeur et d’emplois ne s’explique donc que par un manque d’efficience, sous-tendu par des choix stratégiques au pire mal avisés, au mieux ayant atteint leurs limites et nécessitant d’être rafraîchis.

Cette incapacité à transformer l’épreuve est particulièrement le lot de notre industrie qui, bien qu’elle ait fait l’objet de plans successifs depuis 2005 (Emergence, PNEI, PAI), ne contribue qu’à hauteur de 15% au PIB national, contre un objectif de 23% selon le Plan d’accélération industrielle 2014-2020. Pourtant, l’histoire et les événements récents le confirment : la résilience économique et la création durable de valeur et d’emplois nécessitent souvent une industrie locale, intégrée et innovante.

Dans cet article, nous nous concentrerons particulièrement sur la notion importante deintégration locale.

L’intégration locale, un concept à redéfinir

Il faut noter que cette notion est mal définie par le « taux d’intégration locale » tel que calculé et relayé par nos responsables : en effet, plutôt que de mesurer la part de la valeur ajoutée captée par l’économie locale sur toute la chaîne de valeur d’un secteur donné (de l’extraction des matières premières au produit fini), ce taux est calculé comme la proportion des achats effectués auprès des fournisseurs et sous-traitants immédiats (dits de premier rang) produisant au Maroc. C’est ainsi que l’on peut se targuer d’un taux d’intégration de plus de 65 % dans le secteur automobile. Mais c’est sans compter que ces fournisseurs, tout comme leurs fournisseurs et sous-traitants (on peut aller jusqu’au sixième rang), importent une part importante de leurs intrants, à tel point qu’un calcul rigoureux de ce qui est réellement produit au Maroc montre un taux qui dépasse à peine 20 % dans le cas de l’automobile !

Invité par la FEP le 9 mai pour discuter de politique industrielle à la lumière de l’expérience de l’usine Renault de Tanger, l’expert Mokhtar Homman a indiqué qu’un taux d’intégration locale réel de plus de 40% dans l’industrie automobile coïnciderait avec la production de 2 millions de véhicules par an (contre un peu moins de 600 000 actuellement), soit la taille critique qui justifierait des investissements massifs dans l’écosystème local. A titre de comparaison, la Turquie, pays industriel par excellence, a produit près de 1,4 million de véhicules en 2023… c’est dire le chemin qu’il nous reste à parcourir.

Faut-il pour autant abandonner notre ambition de devenir un acteur incontournable de l’industrie automobile mondiale ou, avec la même logique à l’œuvre, de l’industrie aéronautique ? Loin de là. En revanche, il faut peut-être admettre que ces deux « métiers marocains mondiaux », bien que prestigieux, ne sont probablement pas la panacée en termes de création de valeur et qu’il y a des leçons à tirer de leur stratégie de développement. En effet, qu’il s’agisse de l’industrie automobile ou de l’aéronautique, le Maroc a choisi d’aborder la chaîne de valeur par son aval, à savoir l’assemblage, puis de miser sur la mise en place progressive d’un écosystème d’équipementiers plus ou moins intégrés localement. Cette stratégie d’intégration verticale de l’aval vers l’amont a été dictée d’une part par la volonté de l’industriel marocain de se positionner sur le marché de l’automobile et de l’aéronautique. manque de maîtrise du lien ingénierie de conception et, d’autre part, par indisponibilité de matière première nécessaire à la fabrication. La contribution du Maroc à la chaîne de valeur a donc consisté à fournir de la main d’œuvre (travail), puis des terres et des infrastructures logistiques (capital).

Cependant, maximiser la valeur ajoutée nécessite une combinaison optimale de facteurs de production qui incluent, outre le travail et le capital, le savoir-faire et, surtout, les ressources naturelles.

La demande croissante de biens de consommation et les besoins des transitions numérique et écologique exercent une pression sans précédent sur les ressources naturelles, à tel point que les nations qui détiennent leurs réserves sont les « faiseurs » du marché mondial. Ceci plaide en faveur d’un changement de paradigme, qui consisterait pour le Maroc à se concentrer sur les secteurs industriels dans lesquels il dispose d’un avantage comparatif en termes de ressources naturelles.. Et justement, ceux qui rendent notre pays unique sont au nombre de quatre : les plus grandes réserves mondiales de phosphate, une façade maritime de plus de 3 500 km, plus de 8 millions d’hectares de terres arables et près de 300 000 km² de désert.

De nouveaux secteurs industriels à promouvoir

Voyons donc quelles nouvelles opportunités industrielles pourraient naître de l’exploitation des quatre ressources stratégiques nationales identifiées :

Tout d’abord, il y a le secteur du phosphate et de ses dérivésLe groupe OCP a débuté son intégration verticale à la fin des années 1980, en mettant en service ses premières lignes d’engrais phosphatés puis de compléments nutritionnels pour animaux. Cette intégration a vocation à s’étendre aussi bien en amont avec l’ambitieux programme d’autoproduction d’ammoniac, intrant indispensable à la fabrication d’engrais, qu’à partir d’hydrogène vert.

Il existe aussi un dérivé du phosphate qui pourrait constituer un véritable relais de croissance dans un avenir proche : l’uranium. En effet, la roche phosphatée marocaine en est riche et le gisement national est estimé à 6,9 millions de tonnes d’uranium, soit les plus grandes réserves au monde, qui peuvent être valorisées à plus de 1 300 milliards de dollars au cours actuel de l’uranium U308. Constatant le regain d’intérêt mondial, y compris au Maroc, pour les usages civils de l’énergie nucléaire, il serait regrettable de ne pas chercher à rejoindre les rangs des grands producteurs d’uranium.

Cela nous amène au deuxième canal, celui de énergie décarbonée. Pour rappel, la Stratégie nationale de l’énergie s’est fixé comme objectif de porter la part (dans la capacité installée) des énergies renouvelables (EnR) à 52 % d’ici 2030. Elle est complétée par la Stratégie bas carbone à long terme qui envisage un taux d’EnR de 70 % en 2040 et de 80 % en 2050. Dans un exercice de prospective, nous avons construit des scénarios d’évolution de la consommation nationale d’électricité, avec ou sans mesures de réduction telles que prévues par la Stratégie nationale d’efficacité énergétique, ce qui nous permet d’avancer la conclusion suivante : dans un scénario intermédiaire (réaliste), l’atteinte des objectifs précités devra se traduire par une capacité installée en EnR de près de 9 GW en 2030 (contre moins de 5 GW actuellement), 20 GW en 2040 et 37 GW en 2050. Autant dire que le défi est de taille quand on sait que seulement 2 GW d’EnR ont été installés entre 2011 et 2021…

Un défi de taille, certes, mais pas insurmontable si nous nous donnons les moyens de nos ambitions. Pour cela, nous pourrions agir sur trois leviers :

  • Sécuriser l’approvisionnement en panneaux photovoltaïques. En effet, l’innovation dans la technologie des panneaux a permis de réduire leur coût tout en améliorant leur rendement, mais la raréfaction des matières premières et la demande mondiale croissante vont rapidement inverser la tendance. A titre d’illustration, si les besoins en énergie renouvelable de notre pays d’ici 2050 étaient couverts de moitié par l’énergie solaire, cela représenterait pas moins de 100 millions de m2 des panneaux photovoltaïques dont nous devrions nous équiper. Sachant que le verre et le silicium cristallin représentent 70% à 75% de la masse et 45% à 60% de la valeur d’une cellule photovoltaïque et que tous deux proviennent de la silice qui abonde dans le sable de notre désert, il n’y a qu’un pas à franchir pour imaginer qu’une L’industrie du verre et ses applicationstrouverait tout son sens au Maroc.
  • L’introduction du nucléaire dans le mix électrique, soutenue par la production nationale d’uranium mais aussi par le développement prometteur des petits réacteurs modulaires (SMR) de moins de 300 MW, plus rapides à produire et à installer et plus adaptés aux usages industriels comme le dessalement ou la production d’hydrogène vert. Ainsi, un scénario dans lequel le nucléaire serait introduit progressivement à partir de 2035 pour dépasser les 7 GW de capacité installée en 2050 permettrait non seulement de réduire la pression sur les énergies renouvelables, mais aussi d’atteindre un autre objectif que le Maroc s’est fixé : décarboner son électricité d’ici 2050.
  • Exploiter le potentiel énergétique offert par notre littoral, notamment l’énergie des vagues et des marées, celle de l’éolien offshore avec l’éolien offshore et enfin, à travers le développement des Stations de Transfert d’Énergie par Pompage-Turnage (STEP) marines qui représentent un moyen idéal de stocker de l’énergie à grande échelle et de l’injecter dans le réseau à tout moment.

Les filières décarbonées de l’énergie et du verre ainsi développées feraient également de notre pays un exportateur net d’électricité verte, à l’image de ce que promet le projet d’interconnexion X-links entre le Maroc et le Royaume-Uni.

En plus d’offrir une source inépuisable d’énergie propre et d’eau à dessaler, nos côtes, qui comptent parmi les plus riches en poissons au monde, devraient être au cœur de le secteur agroalimentairetout comme notre agriculture. En effet, le taux de couverture des besoins nationaux en produits alimentaires de base (céréales et sucre) est en baisse continue depuis les années 1980 en raison de l’augmentation de la consommation individuelle et de la vocation exportatrice de notre agriculture, et si l’on ajoute à cela la priorité donnée aux flottes étrangères dans les accords de pêche, il n’est pas difficile de comprendre que la « souveraineté alimentaire » ne sera pas assurée de sitôt.

Afin de réduire sa dépendance aux importations et de créer davantage de valeur ajoutée localement, le nouveau secteur agroalimentaire devra pouvoir compter sur :

  • Une politique de santé publique et de sensibilisation mettant l’accent sur « manger sainement », notamment en rendant moins désirable la consommation de céréales raffinées, de sucres et de viandes et en les substituant par des calories de meilleure qualité, notamment celles issues des protéines végétales.
  • Surmonter les contraintes hydriques par le choix judicieux des cultures selon les régions et le recours au dessalement facilité par l’essor des énergies décarbonées.
  • Recherche et innovation dans le développement de nouvelles cultures à haute valeur nutritionnelle, tant pour l’alimentation humaine qu’animale, comme les algues ou les champignons.

Enfin, nous saluons le choix de l’État marocain de dépasser le tabou de la culture du cannabis et d’exploiter son potentiel « légal », à travers la création récente d’une agence de régulation (ANRAC). Alors que les utilisations pharmaceutiques ou dans la construction comme matériau isolant sont mises en avant, nous négligeons l’opportunité que représente L’industrie du chanvre dans l’industrie textile : l’atout majeur du chanvre est qu’il est écoresponsable, car à quantité égale de fibre, sa culture nécessite deux fois moins de surface plantée et quatre à cinq fois moins d’eau par rapport à celle du coton. De plus, étant très résistant, il ne nécessite pas de pesticides et préserve donc mieux les sols. Sa fibre est plus durable et se décline naturellement en différentes couleurs, ce qui réduit le besoin de colorants… Ces propriétés exceptionnelles de la fibre de chanvre, couplées au savoir-faire marocain en matière de tissage et de fabrication, pourraient donc marquer le retour en force sur le marché mondial de notre activité textile, longtemps malmenée par la concurrence asiatique, tunisienne et turque.

Pour conclure, ce tour d’horizon des filières industrielles (dérivés du phosphate, énergies décarbonées, verre, agroalimentaire, chanvre) permet d’imaginer à quoi cela pourrait ressembler une nouvelle doctrine de l’industrie marocaine dans laquelle l’intégration locale est repensée à la lumière de la disponibilité de ressources naturelles stratégiques, conférant un avantage comparatif à notre pays. Un mot pour les sages…

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