Paix verte au Labrador | La Presse – .

Bombe géopolitique ou coup de génie pour la nature ? Un groupe environnemental propose de transformer en aire protégée un territoire que le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador se disputent depuis plus d’un siècle.


Publié à 1h52

Mise à jour à 6h00



Une zone protégée de la taille de… la Belgique.

« Nous savons que notre proposition suscitera des réactions, mais nous invitons les gouvernements du Canada, du Québec et de Terre-Neuve à l’évaluer selon ses mérites. Nous avons l’occasion d’aborder un vieux litige avec une vision moderne qui inclut nos devoirs en matière de protection de l’environnement», affirme Alain Branchaud, directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec). .

L’organisme annoncera officiellement sa proposition ce lundi, dans le cadre d’un appel à projets lancé par le gouvernement du Québec pour créer de nouvelles aires protégées. Le coup tombe donc en pleine fête du Canada, qui ne manque pas de piquant étant donné la nature de la proposition.

Le territoire en question est situé à la frontière du Québec et du Labrador. Si vous regardez les cartes du Québec, vous verrez qu’à l’est, cette frontière peut prendre deux formes. Sur certaines cartes, la démarcation est une ligne droite qui suit la ligne 52e parallèle. Sur d’autres, la frontière est sinueuse : elle suit la ligne de partage des eaux entre les bassins du Saint-Laurent et de l’Atlantique.

La première frontière favorise Terre-Neuve-et-Labrador. La seconde, le Québec. Entre les deux, il y a une zone de 29 000 km⁠2soit environ 61 fois la superficie de l’île de Montréal.

Aux yeux de SNAP Québec, la beauté de la chose, c’est que le conflit interprovincial a contribué à préserver ce territoire sauvage.

« Nous avons effectué des doubles et même triples contrôles. Il n’y a pas de routes, pas de mines, pas de forêt», déclare M. Branchaud.

CARTE FOURNIE PAR SNAP QUÉBEC

Le territoire fait toutefois partie des territoires ancestraux d’au moins cinq communautés innues établies au Québec : Uashat mak Mani-utenam, Ekuanithit, Nutashkuan, Unamen Shipu et Pakua Shipi. Les Innus continuent d’y chasser et d’y pratiquer des activités traditionnelles.

On y retrouve également deux populations de caribous des bois, un écotype menacé, ainsi que des rivières à saumon. SNAP Québec souligne que le saumon atlantique est en « fort déclin ».

«Le projet a une valeur écologique assurée», affirme M. Branchaud.

C’est en regardant la carte du Québec accompagnant l’appel de projets du gouvernement du Québec que M. Branchaud a eu l’idée de protéger ce territoire. Sur cette carte, la frontière entre le Québec et le Labrador est la ligne sinueuse qui privilégie le Québec⁠1.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec, Alain Branchaud

En regardant cette carte, la zone contestée est accessible. Nous pouvons suggérer quelque chose. On s’est dit : c’est parti !

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec

La grande question est de savoir quelle réaction cette proposition va provoquer.

Jean-Paul Lacasse, professeur émérite à l’Université d’Ottawa, estime que le Québec hésitera avant de décréter une aire protégée sur un territoire disputé. D’autant plus qu’en 1927, le Conseil privé de Londres a tranché la question et tracé la frontière en ligne droite qui favorise Terre-Neuve.

L’expert convient que cette décision est particulière car elle a été prise ultra petitc’est-à-dire qu’elle allait au-delà des revendications de Terre-Neuve. M. Lacasse observe cependant que le Québec ne l’a pas contestée systématiquement.

«Le Québec a reconnu cette frontière à plusieurs reprises, mais a affirmé à d’autres occasions qu’il ne la reconnaissait pas», a-t-il déclaré.

En 1971, M. Lacasse lui-même participe à une commission sur « l’intégrité du territoire du Québec ». Cette commission conclut que le Québec dispose de peu de recours juridiques pour contester la frontière avec le Labrador.

Selon lui, le fait que les Innus aient des intérêts dans la région complique l’analyse. Il faut aussi rappeler que le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador doivent s’entendre sur le renouvellement du fameux contrat de Churchill Falls, qui fournit actuellement de l’hydroélectricité à un prix dérisoire au Québec. Le projet d’aire protégée arrive donc dans un contexte politique chargé.

« C’est pratiquement un panier de crabes ! », s’exclame Jean-Paul Lacasse. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas une idée intéressante. Elle pourrait même contribuer à résoudre le problème. »

C’est aussi l’avis d’Alain Branchaud. L’écologiste souligne que les communautés autochtones pourraient poursuivre leurs activités sur le territoire si celui-ci était transformé en aire protégée, et que les espèces importantes pour leur culture seraient mieux protégées.

Pour apaiser à la fois le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador, M. Branchaud fait une proposition audacieuse : que chaque province intègre l’aire protégée à son bilan provincial. Cela aiderait particulièrement Terre-Neuve, qui n’a protégé jusqu’à présent que 6,9 ​​% de son territoire, alors que l’objectif est de 30 %.

La nouvelle zone protégée le porterait du coup à 14 %.

N’est-ce pas de la triche ? Selon M. Branchaud, non. Parce que le gouvernement fédéral ne compterait pas deux fois la zone protégée. Et c’est le gouvernement fédéral qui doit rendre des comptes à l’échelle internationale.

La proposition de SNAP Québec est incroyablement audacieuse. À mon avis, la question qu’il faut se poser est simple : est-ce qu’elle désavantage quelqu’un? Si elle permet aux Innus de protéger leur territoire traditionnel tout en aidant le Québec et Terre-Neuve à atteindre leurs objectifs de protection, il me semble que nous devrions l’étudier plutôt que de recourir au vieux réflexe de nous retourner les uns contre les autres.

La manière dont cette proposition sera reçue devra donc être surveillée de près. Parce qu’on peut y voir un baromètre de la maturité des débats collectifs qui ont lieu entre différents groupes de la société canadienne.

1. Consultez l’appel de projets sur le site du gouvernement du Québec

Qu’en pensez-vous ? Rejoignez le dialogue

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV un deuxième tour à trois dans la première circonscription – .
NEXT Wilfrid Hounkpatin rejoint Montpellier pour trois ans – Quinze Ovalie – .