« L’instabilité politique va probablement persister pendant un certain temps encore. Il serait légitime que S&P en prenne note», estime Charles-Henri Colombier, directeur économique de Rexecode. En mai, l’agence de notation américaine a abaissé d’un cran la note française, de « AA » à « AA- », avec perspective stable, réduisant ainsi les risques d’une nouvelle dégradation dans l’immédiat. Mais “il serait surprenant qu’il n’y ait aucune action négative à l’égard de la France, avec au moins un passage à une perspective négative”, estime Norbert Gaillard, économiste et consultant indépendant.
« Scénario grec »
Depuis le printemps, les « mauvaises nouvelles » se sont accumulées dans une France déjà lourdement endettée, figurant parmi les cancres européens, note-t-il : dissolution de l’Assemblée nationale, « retards » autour de la nomination du Premier ministre et « révisions alarmantes » des lois publiques. prévisions de déficit. En octobre, Moody’s et Fitch ont maintenu la note française avec une perspective négative. Norbert Gaillard évoque deux autres scénarios possibles : une nouvelle dégradation de la note ou sa mise sous surveillance négative (« rating watch ») pour signaler un « stress important » susceptible d’évoluer rapidement.
S&P accorderait alors un court sursis à la France avant d’ajuster sa note. “Pour prendre sa décision, l’agence attendrait le vote du budget, les mesures budgétaires et fiscales qu’il contient, et si le gouvernement reste ou tombe”, selon lui. Avec une minorité, le gouvernement de Michel Barnier avance dans un champ de mines. Il veut réduire le déficit public de 6,1% du PIB en 2024 à 5% en 2025, puis sous le plafond européen de 3% en 2029, trajectoire approuvée mardi par Bruxelles.
Au terme d’âpres débats, il envisage d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter sans vote les budgets de la Sécurité sociale et de l’Etat ainsi que l’exécution du budget pour 2024, risquant à chaque fois d’être renversé par une motion de censure de la gauche. , que le RN menace de soutenir. Cette éventualité fait trembler les marchés, le porte-parole du gouvernement évoquant même le spectre d’un « scénario à la grecque ». Reflet de ces craintes, l’écart entre les taux souverains français à 10 ans et ceux de l’Allemagne, considérée comme une valeur refuge en Europe, a atteint mardi son plus haut niveau depuis 2012.
« Très inquiétant »
Et si une perspective devenant négative aurait peu d’impact sur le coût d’emprunt de la France, les tensions seraient en revanche accrues en cas de dégradation de la note, qui passerait dans une catégorie inférieure, considérée comme moins sûre par les grands investisseurs. « Les règles de gestion de nombreux fonds d’investissement limitent très fortement, voire interdisent, la détention d’obligations souveraines notées moins que AA ou AAA », explique dans une note Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management.
Une relégation de la France en catégorie A « impliquerait donc des ventes nettes de ses obligations sur les marchés, puis une forte baisse de la demande. Cela entraînerait automatiquement une augmentation du taux de rendement. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a prévenu mardi que la “confusion” sur la trajectoire budgétaire “aurait un coût sur l’emprunt de la France et des Français”.