« Nouvelle-Calédonie, le verdict improbable »
La cabane du siècle
En France, seuls 17 « grands procès historiques » ont été recensés afin de laisser une trace dans l’histoire. Pour la première fois, un accès exceptionnel a été accordé aux enregistrements – inaccessibles pendant cinquante ans – de celui de Hienghène, en 1987, avec un dénouement scandaleux. Ils illustrent tragiquement l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et font écho à l’état d’insurrection qui y règne aujourd’hui. Un film à voir dimanche 1est Décembre à 22h50 sur France 5 et sur france.tv.
J’essaierai de ne pas avoir de haine.
Jean-Marie Tjibaou, chef du FLNKS et membre de la tribu Tiendanite
« On était à cran et ce soir-là on a craqué… Je n’étais plus moi-même. J’ai photographié tout ce qui bougeait et je n’ai pas peur de vous le dire. » En ce mois d’octobre 1987, à la cour d’assises de Nouméa, le procès en appel est celui de la tuerie de Hienghène. Sur le banc des accusés, sept hommes qui ont tué dix Kanaks dans une fureur collective et en ont blessé sept. A la demande des victimes, le procès est enregistré.
Comme pour seize autres procès historiques, en France, les enregistrements restent inaccessibles et sont conservés aux Archives nationales pendant cinquante ans. Mais, pour la première fois, le réalisateur de ce documentaire, Olivier Pighetti, a pu obtenir une dérogation exceptionnelle.
L’écoute de ces enregistrements permet de se plonger dans le déroulement de cette affaire et d’un procès dont l’issue, incompréhensible, laissait se demander comment la justice avait pu se prêter à une telle parodie.
Fin 1984, la tension est à son comble en Nouvelle-Calédonie. L’illusion d’une voie vers l’indépendance avec l’élection de Mitterrand s’est évaporée. La perspective d’élections territoriales suscite la colère des Kanaks, la population mélanésienne originaire de l’archipel, qui souhaitent une limitation du corps électoral. Leur crainte : se retrouver en minorité face aux loyalistes, descendants de colons européens. Ils décident de boycotter le vote. Les deux camps radicalisés s’affrontent à coups de feu et de barrages routiers.
A Hienghène, petite ville d’une vallée de la côte est de la Nouvelle-Calédonie, vivent 1 500 Kanaks et 150 Caldoches, propriétaires terriens, souvent métis. La tension y est d’autant plus palpable que le leader indépendantiste kanak Jean-Marie Tjibaou vit dans la vallée, dans la tribu Tiendanite. Partisan d’une transition sans violence, il œuvre pour un retour au calme.
Le 18 novembre 1984, jour du scrutin, ceux qui vivaient côte à côte depuis des générations et nouaient des liens d’amitié se faisaient face une fois pour toutes. « Nous étions dans un état de peur et d’excitation extrêmetémoignera Raoul Lapetite, l’organisateur du tournage. C’était la guerre. Nous étions tous en armes, les Mélanésiens aussi. » Une brigade de renfort a été envoyée en soutien aux quatre gendarmes présents sur place, mais est repartie au lendemain du vote, avec des armes collectives, pour éviter des dérapages. “Il n’y avait plus de policetémoigne le directeur de la Poste. Nous étions livrés à nous-mêmes, tout brûlait, les exactions continuaient… »
Le 5 décembre 1984, une rencontre entre tribus est organisée au Centre culturel de Hienghène, et l’appel à la levée des blocus est lancé par Jean-Marie Tjibaou. Le leader indépendantiste est parti à Nouméa pour accueillir le nouveau haut-commissaire de la République, Edgard Pisani.
Ce soir-là, deux fourgons remplis de Kanaks présents à la réunion revinrent à la tribu Tiendanite. Sur la route, un cocotier barre le passage. Pris en embuscade au bord de la route, sept hommes surexcités, dont Raoul Lapetite et ses quatre fils, leur tirent dessus. Et attaquez-les alors qu’ils fuient vers la rivière. Ils ont blessé sept personnes et en ont tué dix. Parmi eux, les deux frères de Jean-Marie Tjibaou, ses cousins et des membres de sa tribu.
Aucune arme ne sera trouvée dans les fourgons. Mais près de trois cents coups de feu sont tirés… « Nous avons tiré en continu… au hasard »» admet l’un des accusés.
Après plusieurs jours de cavale, les sept auteurs du meurtre sont arrêtés : le premier jugement rendu en octobre 1986 aboutit à un non-lieu. « Nous ne sommes malheureusement pas du côté du droit des institutions établi dans notre pays depuis 1853then declares Jean-Marie Tjibaou. Nous sommes des morts en sursis. »
Le 19 octobre 1987, dans un climat d’extrême tension, les sept assassins sont déférés devant la cour d’assises de Nouméa. Pendant deux semaines, c’est toute l’histoire moderne de la Nouvelle-Calédonie qui défilera sur le stand. Quand le verdict tombe, c’est la stupeur : acquittement général, pour cause de légitime défense. « Un jury européen de Caldoches pour rendre un verdict concernant la mort de dix KanaksJean-Marie Djibaou va se révolter. C’est la France des droits de l’homme ! » Cette phrase résonne encore aujourd’hui comme l’un des plus grands scandales judiciaires de notre époque. Dès lors, la Nouvelle-Calédonie s’enflamme encore plus, et six mois plus tard éclate l’affaire de la grotte d’Ouvéa…
Les biens volés exigent toujours leur propriétaire. C’est la base du litige. Nous n’avons jamais accepté de perdre notre souveraineté sur nos terres et notre pays.
Jean-Marie Tjibaou, civil party witness
L’affaire du siècle : Nouvelle-Calédonie, le verdict improbable
Documentaire (52 min – 2023) – Un film de Olivier Pighetti – Narration Julie Sicard – Production Productions de poivrons violetsavec la participation de France Télévisions
Nouvelle-Calédonie, l’incroyable verdict est diffusé dans La cabane du siècle dimanche 1est Décembre à 22h50 sur France 5
À (re)voir sur france.tv
Publié le 26 novembre 2024