Écrit par Maeva Dumas
Alors que se déroule ce lundi 25 novembre la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, Jeanne, originaire du Pays de Caux, raconte l’histoire de sa mère, celle d’une femme battue par son mari pendant des années.
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Lorsque Jeanne (prénom anonymisé) parle de sa mère, ses mots s’enchaînent difficilement. Originaire du Pays de Caux, la femme, aujourd’hui âgée de 55 ans, se souvient de tout.
Fille d’une femme maltraitée par son mari, elle raconte son enfance rythmée par la brutalité, la solitude et la peur.
“Les premiers souvenirs que j’ai avec ma mère sont heureux. Elle était belle, gentille, dynamique.» Les longues après-midi passées au bord de la mer, les parties de pêche, la joyeuse cacophonie des frères et sœurs jouant de la musique, l’enfance de Jeanne semble plus proche de celle des autres enfants.
“Ma mère aimait la nature, nous faisions souvent des promenades en forêt», décrit-elle avec nostalgie. Des moments de joie qui s’atténuent avec le temps, jusqu’à disparaître lorsque Jeanne devient adolescente.
“Peut-être étais-je trop jeune pour voir l’autre réalité, celle où souffrait ma mère. C’était une personne forte, je pense qu’elle ne voulait rien montrer.
Dans la ferme familiale, nichée dans le pays de Caux, la vie était loin d’être harmonieuse. Fille d’un père agriculteur et d’une mère femme au foyer, elle redoutait de rentrer chez elle après l’école.
“Je me souviens des coups, de la violence de mon père envers ma mère. Elle était cloîtrée, isolée. Vers l’âge de 11 ans, elle est tombée dans la dépression», dit Jeanne la gorge nouée.
Adolescente, elle craignait son père, qui était lui aussi brutal avec ses enfants, et n’avait personne à qui confier son terrible quotidien.
Je viens d’une famille catholique très pratiquante et ma mère s’est vu refuser l’autorisation de divorcer de mon père. C’était un appel à l’aide, personne n’a écouté. Entre 11 et 14 ans, elle a fini par être alitée en permanence, coupée de tout.
Jeanne, fille d’une femme maltraitée
En 1985, sa mère décède à l’âge de 39 ans, Jeanne 14 ans. Un traumatisme qui marquera à vie la Cauchoise.
“Quand j’allais la voir à son chevet, elle répétait souvent qu’elle voulait partir. Je n’ai pas compris ce que cela signifiait, puis elle est morte. Les médecins ont dit que c’était dû à une embolie pulmonaire. Pour moi, elle est morte à cause des années de violence qu’elle a subies et du désespoir qui l’a consumée. Ma mère a vécu l’enfer, elle n’espérait qu’une chose, que ça s’arrête» Jeanne livre d’une voix tremblante.
Après la perte de sa mère, la vie de Jeanne a été un long combat pour tenter de mener une existence normale. “J’ai été envoyé dans une institution catholique et séparé de mon frère et de mes sœurs. Je me sentais seul, abandonné. J’ai vite quitté l’école pour me lancer dans des petits boulots, j’étais perdu. On ne sort pas indemne d’une enfance comme la mienne et de la mort de sa mère..»
Un parcours de vie que la Normande aborde difficilement, même avec son fils, aujourd’hui âgé de 15 ans. “J’ai toujours gardé pour moi ce que j’ai vécu étant petite, j’ai voulu préserver mes proches. Aujourd’hui je veux parler, je veux raconter ce que ma mère a souffert», explique-t-elle.
Elle matérialise ce souhait en écrivant un livre pour «rendre justice» à sa mère et aider les enfants qui ont vécu le même chemin de vie qu’elle.
Bien qu’en cours d’écriture, Jeanne reconnaît que ce livre est devenu cathartique face à son histoire. “Souffrir que quand on est enfant brise quelque chose en toi, c’est un chagrin qui reste et te colle à la peau. Je veux rendre hommage à ma mère, dire à haute voix ce que les gens autour d’elle à l’époque silencieux. Et je veux que les gens qui ont vu aussi leur mère se faire maltraiter ne se sentent plus seuls, je veux les aider.»
Un combat qu’elle est déterminée à mener pour sa mère, mais aussi pour toutes les femmes victimes de violences conjugales.