(Base d’Ādaži, Lettonie) Le sol tremble alors que les chars arborant une feuille d’érable traversent la campagne lettone à plein régime. Il tremble encore plus lorsque les monstres d’acier se mettent à tirer, encore et encore, pour couvrir l’avancée des groupes d’assaut qui se succèdent dans un ballet soigneusement coordonné.
La manœuvre n’est qu’un entraînement, la simulation d’une attaque pour capturer une position ennemie. Mais les fusillades sont réelles. Les détonations de l’imposant canon de 120 mm résonnent au plus profond de la poitrine, tel un grondement continu du tonnerre. Lorsque les troupes canadiennes et leurs alliés ont activé les blindés, l’artillerie et les mortiers à l’unisson, la position fictive de l’ennemi a été submergée par une pluie de tirs.
Tireurs d’élite de 2e Un bataillon de la base de Valcartier, allongé au sol et recouvert d’un tapis de feuillage, entre soudainement en scène. Ils sont chargés de frapper certaines unités clés du camp adverse. En un éclair, ils touchèrent toutes les cibles placées à 450 mètres devant eux. Un clin d’œil et leur intervention est terminée. Puis les blindés reprennent leur avance.
La presse a pu assister à l’assaut final en Lettonie de l’exercice Resolute Warrior de l’OTAN, les 13 et 14 novembre. Avec 2 000 soldats basés dans le petit pays balte, les Forces armées canadiennes sont désormais le fer de lance de la brigade multinationale déployée par l’alliance pour dissuader toute incursion. par la Russie voisine sur le sol letton.
L’OTAN, qui souhaite désormais disposer de troupes « prêtes à combattre » tout le long de son flanc oriental face à la Russie, a confié cette partie de la défense de l’Europe au Canada.
Fréquemment critiqué par les élus américains parce qu’il n’atteint toujours pas l’objectif de 2% du PIB de dépenses militaires fixé par les membres de l’alliance, le gouvernement canadien a progressivement augmenté ses investissements militaires ces dernières années. Ottawa a débloqué 2,6 milliards de dollars supplémentaires en 2023 pour sa mission de dissuasion et – si nécessaire – de défense dans la région de la mer Baltique. Depuis, les chiffres sur le terrain ont plus que doublé. Cela n’a pas empêché les critiques d’être réitérées vendredi lors du Forum sur la sécurité à Halifax.
La plupart des militaires déployés actuellement proviennent du Québec. Ils seront relayés par d’autres compatriotes après six mois sur place.
Douze autres pays, dont l’Italie, l’Espagne, le Danemark et la Pologne, fournissent quelque 1 000 soldats supplémentaires à la brigade, dirigée par le colonel gaspésien Cédric Aspirault, l’un des officiers qui ont dirigé les troupes déployées dans les CHSLD du Québec pendant la pandémie.
Jouez sans scénario
L’exercice Resolute Warrior a mobilisé plus de 3 500 soldats et 1 000 véhicules pendant 10 jours, 24 heures sur 24. Le but : apprendre aux participants à travailler en équipe et à démontrer leur force de frappe. Il s’agit du plus grand exercice multinational dirigé par le Canada depuis les années 1980.
Le scénario était que la Russie traversait et que nous protégeions Riga [la capitale lettonne].
Colonel Cédric Aspirault, commandant de la brigade multinationale de l’OTAN en Lettonie
Des soldats britanniques, qui ne font pas partie de la brigade multinationale, sont venus spécialement pour jouer le rôle des ennemis. Ils étaient libres d’improviser.
« Je leur ai donné la latitude d’opérer comme s’ils étaient une force opposée non programmée. Ce qui a obligé nos membres à être très agiles», explique le colonel canadien.
Au cours de l’exercice, les « envahisseurs » ont contourné la principale force de l’OTAN et ont tenté d’isoler Riga. Les troupes d’infanterie motorisées danoises parviennent à ralentir leur avance, avant d’être relevées par un bataillon multinational sous commandement canadien qui répond avec force. L’action s’est déroulée dans sept villes différentes de Lettonie, obligeant les troupes de l’OTAN à également simuler la logistique et les approvisionnements.
Résultat ? «On a gagné», lance en riant Cédric Aspirault.
Cet immense jeu de guerre s’est déroulé avec la participation de 13 membres de l’OTAN sous commandement canadien, mais en l’absence des Américains. Ceci, alors que le président élu des États-Unis, Donald Trump, menace de ne plus défendre les membres de l’alliance qui n’investissent pas suffisamment dans la défense à son goût.
Présent en Lettonie pour assister à la fin de l’exercice, le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, s’est toutefois voulu rassurant. Il se dit confiant dans le soutien américain à ses alliés, notamment à la lumière de la collaboration croissante entre la Russie et les autres rivaux de Washington, comme la Chine, la Corée du Nord et l’Iran.
Nous avons besoin des États-Unis. Les États-Unis ont besoin de nous. […] J’ai hâte de travailler avec Trump.
Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN
L’omniprésence des drones
La puissance de feu déployée lors de l’exercice ne laisse guère de doute sur les destructions, le nombre élevé de morts et toutes les conséquences dramatiques, des deux côtés, qu’entraînerait sûrement un conflit avec la Russie.
A plusieurs reprises lors de la simulation d’assaut en présence de La presseles soldats se voient confier des tâches particulièrement dangereuses sous le feu ennemi : marcher entre barbelés et obstacles antichar pour les démanteler, investir une tranchée ennemie, remorquer un char endommagé au milieu du champ de bataille.
Soudain, un point apparaît dans le ciel. “Un drone ennemi s’approche, il tente de localiser le quartier général des forces de l’Otan”, précise un officier.
Un soldat s’avance et pointe vers le ciel un fusil noir d’aspect futuriste. Le drone, frappé par un rayon invisible et incapacitant, descend lentement jusqu’au sol, où un soldat le récupère.
Des armes défensives comme celle-ci ont été distribuées aux soldats canadiens en Lettonie au cours des dernières semaines. « C’est très simple à utiliser. Un fusil électromagnétique ou un fusil qui tire des balles n’est pas très différent. Il y a un déclencheur et on pointe la cible», explique le capitaine Justin Ouellette, un militaire de Valcartier.
Les drones sont également omniprésents dans tout le système canadien en Lettonie, notamment à des fins de reconnaissance et d’observation.
C’est l’un des principaux enseignements de la guerre en Ukraine, souligne Elisabeth Gosselin-Malo, correspondante en Europe de la publication spécialisée Actualités de la Défense.
“La tendance est à tout ce qui est drone et anti-drone, nous le voyons beaucoup en Ukraine, ce sont des capacités que nous recherchons et explorons”, dit-elle.
Les très gros drones s’avèrent vulnérables dans un environnement comme celui de l’Ukraine, où ils peuvent être ciblés, observe l’expert.
Aujourd’hui, de nombreuses armées veulent ce que nous appelons des « drones bon marché et bon marché ». Donc beaucoup de petits drones qui ne valent pas grand chose. De cette façon, si on les perd, ce n’est pas si grave et cela permet d’attaquer avec plus de deux ou trois drones à la fois.
Elisabeth Gosselin-Malo, correspondante en Europe de la publication spécialisée Actualités de la Défense
Faites vos devoirs
La nouvelle chef d’état-major de la Défense du Canada, la générale Jennie Carignan, s’est dite impressionnée par ce que les différents pays alliés apportent à la table. « Quand on dit qu’ensemble nous sommes plus forts, c’est vrai. Cela nous permet de regrouper beaucoup de capacités militaires au sein d’une même formation », précise-t-elle.
Selon elle, la force du Canada au sein de la brigade repose principalement sur « des véhicules du génie, des blindés et de l’infanterie qui sont désormais extrêmement robustes en termes de puissance de feu ».
« Ils ont tous des capacités légèrement différentes et nous pouvons les utiliser à leur manière en fonction du contexte et du terrain, ce qui nous permet d’être encore plus efficaces », explique-t-elle.
Moscou dénonce fréquemment les exercices de l’OTAN comme des provocations risquant de générer une escalade du conflit. La base d’Adaži, où sont déployés les Canadiens, se trouve à moins de 300 km de la frontière russe.
Nous ne sommes pas dans une affaire de provocation, nous avons pour mission de défendre le territoire et de protéger les personnes qui se trouvent à l’intérieur de ces pays sur le front oriental de l’OTAN.
Chef d’état-major de la Défense du Canada, le général Jennie Carignan
“Je pense qu’en termes de provocation, quand on parle de la Russie, quand on envahit un pays voisin qui est complètement en paix…”, souligne le chef d’état-major.
Le ministre letton de la Défense, Andris Sprūds, est du même avis. “Nous devons faire nos devoirs et montrer notre force, précisément pour dissuader la Russie, afin de ne jamais avoir à mobiliser nos forces pour défendre chaque centimètre carré du territoire de l’OTAN”, a déclaré le ministre. La Lettonie faisait autrefois partie de l’Union soviétique et n’a pas caché sa crainte de subir un jour le même sort que l’Ukraine aux mains de son puissant voisin russe.
Lors d’une mêlée avec des soldats canadiens à la fin de l’exercice, le secrétaire général de l’OTAN a également parlé d’envoyer un message.
“J’espère que Vladimir Vladimirovitch Poutine regardera aussi les vidéos de cet exercice”, a-t-il déclaré, tout sourire.