Escapades, RGO, Inter-Val et Radio 16 craignaient pour leur avenir, après les premières annonces budgétaires qui prévoyaient une réduction de 35% des crédits, au niveau national, du fonds de soutien à l’expression des radios locales (FSER). Visiblement soutenues par le ministre de la Culture, les radios communautaires ont sauvé leur crédit. Mais restent vigilants pour l’avenir, eux qui remplissent des missions en matière d’éducation, de culture ou de développement au sens large… mais à l’échelle locale.
« Était-ce juste un jeu d’écriture ?» s’interroge Yves de Fago, l’un des coprésidents de Radio Grille Ouverte (RGO), une radio communautaire alésienne située dans le quartier des Prés Saint-Jean. D’autres parlent d’une idée sortie de la tête d’un député RN, ou d’un « balle perdue budgétaire »dont le maigre montant économisé mettait en péril tout l’éco-système des 750 radios associatives libres du pays. L’objectif était d’économiser 10 millions d’euros. Pas de quoi sauver la France mais de quoi condamner un budget total du Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) de 35 millions.
« La dernière commission a eu lieu la semaine dernière à Paris »informe Siham Mineur, de Radio Escapades, à Saint-Hippolyte-du-Fort, également co-présidente de l’ARRA, assemblée régionale des radios associatives d’Occitanie, qui siège à la confédération nationale des radios associatives (CNRA). Siham Mineur est également représentante radio au sein du FSER. La réunion de Paris du 14 novembre n’a pas confirmé “un flash-backexplique-t-elle. Mais nous sommes sur une option de + 10 ou 12 millions d’euros de budget”. C’est-à-dire suffisamment pour compenser la perte initiale. « On ne sait cependant pas s’il y aura aussi le bonus rural qui apparaîtra en 2024 pour les stations rurales et d’outre-mer ». Il s’élève à environ 2,2 millions d’euros.
« Ce qui nous laisse perplexes, says Walter Koopmans, president of radio Inter-Val, in Saint-Christol-lès-Alès, En effet, le FSER est issu d’une taxe sur la publicité radiophonique commerciale. C’est une taxe dédiée. Pourquoi l’État supprimerait-il cet argent ? Boucher un trou qui n’était pas prévu ? Le fonds a-t-il perdu de l’argent ? C’est incompréhensible et cela remet en cause tout le financement des radios libres.» Chez Inter-Val, on se dit « rassuré, un peu. Mais pas complètement. » Même son de cloche chez Laurent Bonnefoy, président de Radio 16, à Bessèges : « L’inquiétude persiste pour les années à venir. Nous avons un délai, nous verrons ce qui se passera dans deux ans, après l’élection présidentielle… »
« Baisse de 35 %, c’était la mort annoncée d’une bonne partie des radios communautaires »
Siham Mineur, de radio Escapades à Saint-Hippolyte-du-Fort et vice-présidente de l’ARRA (assemblée régionale des radios associatives)
Les 750 radios n’ont pas été impactées de la même manière. De ce total, « 440 ou 450 radios déposent une demande de subvention dans la partie sélective »explique Siham Mineur, pour accéder au FSER. Ce travail a de quoi décourager les radios qui ne disposent pas de suffisamment de personnel pour la créer, car il s’agit de constituer un gros dossier qui recense les actions dans les domaines de l’éducation et de la culture, de la lutte contre les discriminations, de l’environnement et du développement local. Tout doit y être enregistré, notamment « témoignages de structures avec lesquelles nous travaillons »détaille Jérémie Adrian, de RGO. Ce dossier annuel, pour une station comme la sienne, pèse la bagatelle de 3,5 kg. Chez Inter-Val, c’est quatre mois de travail pour récupérer les documents et constituer le dossier, évalue l’une des trois salariées à temps partiel, Estelle Mazaudier.
« Baisse de 35 %, c’était la mort annoncée d’une bonne partie des radios communautaires »tranches Siham Mineur. Sur quatre salariés, Radio Escapeds imaginait déjà devoir s’en séparer de deux. RGO s’attendait à une perte de 27 000 € sur 77 000, soit un emploi en moins. « Cela signifie aussi moins d’ateliers avec les collégiens, alors que nous avons une séance hebdomadaire dans les quatre collèges du territoire que nous couvrons, et moins de reportages »poursuit Siham Mineur. Inter-Val estime la perte à 10 000 €, soit un dixième du budget total. A Bessèges, Radio 16 n’aurait certainement pas pu maintenir ses deux salariés à 23 heures par semaine, le budget de la radio ne s’élève donc qu’à 55 000 €.
Le secteur reste néanmoins vigilant, alors que le Sénat discute actuellement du budget et que son adoption finale pourrait emprunter la voie du 49-3. Mais la ministre de la Culture, Rachida Dati, a promis de confirmer l’engagement du gouvernement en commission culture. « Dati ça “nous t’aimons”. Mais le Rassemblement national réclame aussi que nous soyons mieux contrôlés, notes Yves De Fago at RGO. Ce n’est pas étonnant, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de radios communautaires amies du RN… » Si Laurent Bonnefoy se donne deux ans, c’est pour la même raison. « Nous sommes inquiets des prochaines échéances, » admet le président de Radio 16. La pluralité, au RN, ils nous ont fait comprendre que ce n’était pas leur priorité.»
“On a eu tellement d’annonces qu’il est encore difficile d’y voir clair”
Laurent Bonnefoy, président de Radio 16 à Bessèges
“Le problème demeure, car la spoliation partout se résume toujours à quelques sommes, continues Laurent Bonnefoy. Et nous avons eu tellement d’annonces qu’il est encore difficile d’y voir clair.» Inter-Val sait que le travail continuera de toute façon à reposer, en grande partie, sur « un énorme investissement des adhérents et des bénévoles », même si la station en compte une trentaine. Mais que les missions assurées par les radios communautaires manqueraient si elles n’existaient plus. « Nous avons des conventions de partenariat avec le Parc National des Cévennes, énumère Monique Robert, secrétaire d’Inter-Val, nous faisons souvent venir des artistes de Cratère. Tandis qu’Escapades rassemble une fois par an, dans la cour de la Caserne de Saint-Hippolyte-du-Fort, les étudiants des quatre collèges de son secteur pour une journée de rencontres. Autant d’exemples de domaines d’action qu’aucun autre média ne pourrait couvrir.
En juin dernier, l’association Les Locales a été créée pour regrouper les radios communautaires au sein d’une même structure et « défendons l’éducation aux médias »insiste Siham Mineur, à l’heure où les faits alternatifs prennent plus d’importance que la réalité sur les réseaux sociaux. “La semaine qui a suivi l’annonce, nous nous sommes retrouvés devant 200 radios en vidéo”, se souvient Jérémie Adrian. « Une diffusion exceptionnelle a eu lieu sur toutes les chaînes, pour faire le point sur l’indépendance de l’information dans toutes les régions »note également Jean-Baptiste Stamper, bénévole à Inter-Val. Et début décembre, « une réunion des radios du Gard doit avoir lieu à la Maison du protestantisme à Nîmes »souligne Jérémie Adrian. L’annonce d’une coupe budgétaire aura accru l’incertitude sur l’avenir, mais aussi préparé le futur front commun que les radios communautaires ne manqueront pas d’ouvrir, si Bercy revient un jour à la charge. “L’Allemagne aussi réduit actuellement ses budgets radio”souligne Christine Koch, de radio Inter-Val. Il serait donc presque surprenant que l’État français ne revienne pas rapidement à la charge.
Pour connaître les stations, leur fréquence FM ou les écouter en ligne, toutes les quatre ont un site internet à leur nom. Les Escapades Radio peuvent être trouvées ici ; Ouvrez la radio Grid ici ; Radio Inter-Val ici ; radio 16 ici.