La grande histoire de l’année 2024 de l’équipe suisse

Le moment où la Suisse y a cru : juste après que Breel Embolo ait ouvert le score contre l’Angleterre.

IMAGO/Sébastien Frej

Le 22 novembre 2023, sur cette table bancale d’un restaurant de l’aéroport de Bucarest, les théories allaient bon train. « Et vous, qui verriez-vous comme entraîneur ? On citera Urs Fischer, Raphaël Wicky, Lucien Favre et Alain Geiger.

Il faut dire que, la veille, les supporters de l’équipe suisse l’avaient pressenti : après une énième contre-performance lors des éliminatoires de l’Euro (défaite 1-0 en Roumanie), Pierluigi Tami avait laissé entendre que le sort de Murat Yakin pourrait être scellée dans les jours à venir, malgré la qualification obtenue.

Un an plus tard, Murat Yakin est toujours là. L’ASF l’a conservé, et l’a prolongé après un Euro très réussi. Alors cette fois, il ne fait aucun doute qu’il passera un Noël. Malgré les sept matchs sans victoire et la relégation en Ligue B de la Ligue des Nations. Malgré la perplexité qui entoure une fois de plus l’équipe nationale.

L’année 2024 s’est terminée lundi à Tenerife, avec une défaite 3-2 contre l’Espagne et beaucoup de sentiments mitigés. Car cette dernière année n’est pas facile à lire et à analyser. Histoire en cinq actes.

Acte I : Nouveau départ

Le sourire de Giorgio Contini, immédiatement adopté par les joueurs.

Toto Marti/Blick/freshfocus

Tout a commencé sous le soleil. Comme pour signifier un nouveau départ, sous de meilleurs auspices. Fin mars à La Manga, au sud de Murcie. C’est bon. Il y a des sourires. Il y a notamment celui de Giorgio Contini.

Car l’hiver n’a pas été de tout repos pour l’ASF. Murat Yakin a été retenu, mais Vincent Cavin, son ancien adjoint, a choisi de partir. « Accord commun », a-t-on dit. On peut estimer que la collaboration n’était plus très fructueuse, et qu’il fallait une autre seconde voix pour parler aux joueurs.

Il s’agissait donc de Contini, proche de Yakin. Les premiers retours ? Ils sont très positifs. Les joueurs remarquent qu’à l’entraînement, Contini se comporte comme un numéro un. Très actif, très directif, très présent. C’est apprécié. Et en interne, le groupe était convaincu de ce nouveau départ.

L’autre changement majeur, c’est l’idée du jeu. Retour à un système à trois défenseurs, qui n’est pas sans rappeler celui de l’ère Vladimir Petkovic. Il convient très bien à Granit Xhaka et Manuel Akanji. Cela permet d’être ambitieux, avec et sans ballon. Contini le pratiquait beaucoup en club, en fait. Lors des deux matches amicaux (0-0 au Danemark, puis victoire 1-0 en Irlande), on voit des débuts, sans plus. Mais le climat est plus serein.

Acte II : L’alignement des planètes avant l’Euro

Steven Zuber blessé contre l’Autriche. Yakin est dos au mur ? Même pas.

nouveau focus

Pas de match au printemps. Aucune certitude. Sauf à voir les joueurs performer dans leurs clubs. Manuel Akanji est champion d’Angleterre avec Manchester City, Granit Xhaka survole la Bundesliga avec le Bayer Leverkusen, Yann Sommer est invincible avec l’Inter. Ces trois-là ne perdent jamais, ou presque.

Il y a aussi Gregor Kobel qui a atteint la finale de la Ligue des Champions, Dan Ndoye, Remo Freuler et Michel Aebischer qui réussissent bien en Serie A avec Bologne, Fabian Schär qui est incontournable avec Newcastle. Bref, les cadres sont au top. Seuls doutes : Breel Embolo et Denis Zakaria, qui reviennent de blessure et qui ne seront disponibles que pendant l’Euro.

Peu importe, Murat Yakin les appelle quand même. Même si le début du stage voit beaucoup de nouveaux visages se mêler pour faire de la figuration. La liste des trente-huit se réduit peu à peu. Filip Ugrinic et Kevin Mbabu sont les derniers à sauter, juste avant le dernier match amical contre l’Autriche. Ardon Jashari, Fabian Rieder et Leonidas Stergiou sont préférés. Les jeunes, surtout. L’idée n’est pas de mettre en péril la cohésion du groupe.

Après avoir battu l’Estonie 4-0, la Suisse dispute un dernier match de préparation contre l’Autriche. Score final : 1-1. Rien de très rassurant. Dan Ndoye rate son match en tant qu’extérieur gauche, et Steven Zuber, pressenti pour débuter une semaine plus tard contre la Hongrie, est blessé. Devant, Zeki Amdouni ne brille pas.

Michel Aebischer et Kwadwo Duah, les deux héros inattendus de Suisse-Hongrie.

Michel Aebischer et Kwadwo Duah, les deux héros inattendus de Suisse-Hongrie.

Toto Marti/Blick/freshfocus

Murat Yakin est confronté à des choix. Et les planètes s’alignent. Mardi, cinq jours avant d’entrer en lice, il a convoqué Michel Aebischer. « Vous allez jouer extérieur gauche, mais dans une position hybride : avec le ballon, vous pouvez aller librement au milieu », lui a-t-il dit en substance. Dan Ndoye est remplacé au poste d’ailier droit, comme au club. Et Amdouni ? Relégué sur le banc, même avec un Embolo réduit. Place à Kwadwo Duah, l’invité surprise de la liste.

A la mi-temps, la Suisse mène 2-0. Buts de Duah et Aebischer. Embolo a marqué le troisième en fin de match, pour un succès 3-1. Yakin semble touché par la grâce. D’autant que la Suisse n’a jamais aussi bien joué un match depuis son entrée en fonction.

Acte III : L’apothéose

Communion totale après la victoire 2-0 contre l'Italie à Berlin.

Communion totale après la victoire 2-0 contre l’Italie à Berlin.

Toto Marti/Blick/freshfocus

En Allemagne, il se passe quelque chose. Murat Yakin est « dans la zone ». Il débute Xherdan Shaqiri contre l’Ecosse, il marque un but venu d’ailleurs (1-1). Fabian Rieder a été retenu contre l’Allemagne, il a été impliqué sur le but suisse (1-1) et a réalisé un match complet.

La Suisse est à un niveau que personne n’imaginait quelques semaines plus tôt. Comment l’expliquer ? Ses cadres Xhaka et Akanji, à qui Yakin a rendu visite avant l’Euro, sont exceptionnels. Cela apporte beaucoup. L’approche tactique flexible choisie devant la Hongrie est l’identité de cette équipe, toute en fluidité dans son jeu. Yakin prend soin de son égo, savoure l’instant présent.

Face à une Italie très faible, la Suisse arrive en pleine confiance pour disputer ses huitièmes de finale à Berlin. Tout le y croit, les joueurs en premier lieu. Cela ne manque pas. Là, c’est notamment Ruben Vargas qui se met en valeur. Mais c’est toute la performance suisse qui est à saluer. L’équipe nationale est en quarts de finale de l’Euro pour la deuxième fois consécutive. Le pays vibre.

Il y a une euphorie. L’Angleterre, en quart de finale, fait moins peur qu’elle ne devrait l’être. Ce qu’on ne sait pas vraiment, c’est que Granit Xhaka est réellement blessé. S’il ne s’entraîne pas, c’est parce que la blessure aux adducteurs subie contre l’Italie est profonde. C’est une larme. “Je ne pouvais pas faire de longues passes ou lancers, mais c’était important pour moi d’aider l’équipe”, a-t-il déclaré après le match.

Reste que sur le terrain, cela ne se voit pas. L’équipe suisse est à égalité à Düsseldorf. Elle domine même de très longues séquences. Et elle a ouvert le score, par l’intermédiaire de Breel Embolo, créant une effervescence rarement ressentie dans un stade avec l’équipe nationale.

La suite est malheureusement connue : Saka a égalisé pour l’Angleterre, le match s’est terminé aux tirs au but, là où Manuel Akanji a raté le sien. Fin de l’histoire. Tristesse.

Acte IV : Yakin, figure intouchable

L'ASF et Murat Yakin font le point après l'Euro. En toute sérénité.

L’ASF et Murat Yakin font le point après l’Euro. En toute sérénité.

Toto Marti/Blick/freshfocus

Puis vient la fierté, quand même. Très vite, l’ASF fait le point. Au lendemain de l’élimination, le président Dominique Blanc, le directeur de l’équipe nationale Pierluigi Tami et Yakin se sont présentés devant la presse à Stuttgart, avant de se rendre à Zurich pour être honorés.

Aucun discours négatif. Perdre aux tirs au but est fondamentalement une malchance. Et puis surtout, on n’évoque pas le cas Murat Yakin, alors même qu’il est en fin de contrat. Il est la priorité de l’ASF et l’équipe de Suisse est la sienne, proclament-ils à l’unisson. Aucun questionnement. Le voyage vers l’euro suffit à effacer tout ce qui s’est passé auparavant. Il n’y a pas de meilleur choix pour l’avenir.

Ce n’est qu’une question de jours avant que l’ASF n’officialise ce qui ne faisait guère de doute : Yakin et Contini sont prolongés. Contrat jusqu’en 2026. Option de deux années supplémentaires disponible. Cela ressemble à une carte blanche.

Sauf que quelques minutes avant la conférence de presse lors de laquelle Yakin doit se féliciter de ce nouveau contrat, Xherdan Shaqiri annonce unilatéralement son retrait de l’équipe de Suisse. Nous pourrions le supposer, mais il n’a pas prévenu Yakin. Son très peu de temps de jeu à l’Euro a dû le conforter dans ce choix. Prélude à un automne moins doux que prévu ?

Acte V : Retour brutal sur terre

Granit Xhaka expulsé vers le Danemark. Symbole d’une Société des Nations lancée sur de mauvaises voies.

Granit Xhaka expulsé vers le Danemark. Symbole d’une Société des Nations lancée sur de mauvaises voies.

IMAGO/Newscom Monde

Car Shaqiri n’est pas le seul à claquer la porte. Fabian Schär fait de même, après un très bon Euro. Cela peut surprendre. Implicitement, on comprend que c’est aussi une manière de « rendre » à Yakin toute la méfiance qu’il lui témoigne depuis son arrivée. Au point, parfois, de penser à ne pas le sélectionner. Il n’a fait de lui un titulaire qu’en 2024.

Yann Sommer est également en marche. Là, le mécanisme change. Le fait est que Yakin veut faire de Gregor Kobel son nouveau gardien numéro un. Mis devant le fait accompli, Sommer jette à son tour l’éponge.

Une manière d’activer le grand renouveau souhaité par l’ASF. Tami fixe deux objectifs à Yakin pour l’automne : rester en Ligue A de la Ligue des Nations et rafraîchir le contingent. Sauf que faire les deux en même temps semble plus complexe que prévu.

La Suisse n’a jamais surfé sur cette vague. Très vite, dès le premier match au Danemark, terminé à neuf (expulsions d’Elvedi et Xhaka) et perdu 2-0, la continuité n’est qu’une façade. Le système est similaire, Aebischer joue toujours à gauche, mais le jeu n’est plus aussi fluide.

Et puis, un autre nouveau projet surgit, la défense : Elvedi ne fait pas le boulot. Akanji n’est plus que l’ombre de lui-même et se retire en novembre. Zakaria, que Yakin veut essayer pour cette place, fait de même en octobre et novembre. Dans l’ensemble, les cadres échouent. Bien trop loin de leur niveau à l’Euro. L’impact est immense.

Ainsi, la Suisse a perdu ses trois premiers matches (contre l’Espagne et en Serbie), et Yakin a activé le renouveau par un changement de système contre le Danemark à Saint-Gall (2-2). Revenons à une défense à quatre. Mais le contrôle est relatif, même si Yakin pointe (à juste titre, mais beaucoup trop) les erreurs d’arbitrage. Les deux derniers matches, 1-1 contre la Serbie et défaite 3-2 en Espagne, ne disent rien de plus. Ils consolident simplement la dernière place de la Suisse.

Le groupe est rafraîchi car il faut le faire pour compenser les absences. Joël Monteiro et Aurèle Amenda existeront peut-être en 2025, par exemple. Mais combien ont vraiment mérité leur place cet automne ?

Épilogue : quelles certitudes ?

Il y a trop de questions autour de cette équipe suisse au crépuscule de 2024. Il y a presque plus d’un an. Parce que les garanties se sont effondrées.

La question majeure ? Qui est la véritable équipe suisse ? Celui de l’été 2024 ou celui des automnes 2023 et 2024 ? Peut-être que 2025 apportera enfin des réponses solides.

 
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