FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour l’essayiste Benoît Chervalier, l’élection de Donald Trump démontre que les sociétés occidentales ont besoin d’un projet politique incarné. Il dresse sept enseignements politiques à tirer de la victoire du candidat républicain.
Benoît Chervalier est essayiste, entrepreneur et enseignant à l’ESSEC.
Le verdict est tombé. Donald Trump a largement remporté les élections américaines : présidentielles et législatives, avec une majorité dans les deux chambres du Congrès. Il dispose donc des pleins pouvoirs et compte choisir – au vu de ses premières nominations – qui il veut. Quelles leçons politiques peut-on tirer pour tout dirigeant de la France et de l’Allemagne, les deux piliers économiques et politiques de l’Europe en difficulté ?
Premier enseignement : en démocratie, il vaut toujours mieux avoir une victoire nette. Elle permet d’éviter d’obscures disputes, confère l’entière responsabilité au vainqueur et invite l’opposition à un devoir d’introspection et d’humilité. La paralysie politique française a conduit la gauche à revendiquer une majorité qu’elle n’avait pas et le RN à être exclu de tous les postes à l’Assemblée nationale alors qu’il était le parti leader en France. La récente chute du gouvernement Scholz, qui a conduit à des élections anticipées, est le résultat de la coalition de la carpe et du lapin. La leçon à retenir pour les forces politiques de droite comme de gauche est claire : s’unir et envoyer un message simple et sans ambiguïté.
Deuxième enseignement : le miroir déformant des métropoles et des médias nous invite à ne pas nous tromper dans notre capteur d’opinion. Les démocrates ont gagné principalement dans les grandes villes de la côte Est et de Californie, mais ont perdu dans presque tout le reste du pays. La victoire de Trump auprès des électeurs est éclairante mais elle l’est encore plus dans l’analyse du vote de chacun des 3114 comtés, comme celui de Starr, vingtième comté le plus pauvre des États-Unis et à 98 % Latinos, qui a donné une large victoire à Trump alors que les Démocrates étaient largement majoritaires en 2016 ! Cela fait écho aux élections européennes en France où Paris a donné moins de 10 % des voix au RN alors que le RN a rassemblé 40 % des voix dans les villes de moins de 20 000 habitants. Le constat est le même entre Berlin et la Thuringe. Discuter de politique avenue Montaigne ne conduit pas à la même lecture et compréhension des gens et de leurs attentes que celle du bistrot de Brassac-les-Mines. Arrêtons d’utiliser le mot hideux de territoires en France pour parler encore de la province et des aspirations de la grande majorité des citoyens.
Troisième enseignement : l’inflation et la situation économique ont souvent été mises en avant pour expliquer le mauvais bilan économique du camp démocrate. Ce constat peut être paradoxal dans la mesure où la situation de l’emploi a rarement été aussi favorable et que les Etats-Unis maintiennent leur rang puisqu’ils représentent aujourd’hui 26% du PIB mondial contre 25% il y a 20 ans. La situation européenne à cet égard est exactement inverse puisque son poids économique s’est considérablement érodé, passant de 31% à 17% du PIB mondial, égal à celui de la Chine, sur la même période. En réalité, le point commun est celui de la situation économique et sociale des classes moyennes. Ce qui caractérisait les démocraties occidentales était la richesse de leurs classes moyennes, base de la prospérité et de la stabilité. Or, c’est ce groupe social qui s’est le plus affaibli au cours des vingt dernières années, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Les riches sont devenus plus riches, les pauvres sont restés pauvres mais les classes moyennes se sont appauvries. Conclusion : il est urgent d’adopter des politiques résolument ciblées et ambitieuses en faveur des classes moyennes et de la rémunération des professions régaliennes.
Après les caricatures de l’inclusion portées par Walt Disney ayant offensé les âmes les plus progressistes et les agitations universitaires grandissantes, la majorité des Américains ont voulu tourner cette page.
Benoît Chervalier
Quatrième enseignement : l’ordre et la liberté constituent les deux aspirations de la majorité de l’opinion publique des sociétés occidentales modernes. Les Américains, tout comme les Européens, sont profondément attachés à la liberté, aux libertés, mais pour exercer et s’épanouir, ils doivent
inscrivez-vous dans le respect du règlement et de l’ordre. Cependant, le respect des règles et de l’ordre s’est érodé. Conclusion : les démocraties doivent être exigeantes pour être pleinement démocratiques.
Cinquième enseignement : l’immigration et notamment l’immigration clandestine était aussi un thème de campagne. Les États-Unis et l’Europe divergent sur ce point dans la mesure où immigration et délinquance sont moins liées aux États-Unis qu’en Europe. Immigration illégale aux États-Unis
principalement sur les communautés hispanophones et mexicaines en particulier, tandis que la délinquance frappe davantage les populations noires américaines, qui sont aussi les plus fragiles économiquement. C’est aussi ce dont Kamala Harris était accusée lorsqu’elle était procureure à
Californie. Il n’y a donc pas de lien aux yeux de la population américaine entre immigration et délinquance contrairement à l’Europe où les populations étrangères sont surreprésentées parmi les populations carcérales et où les deux populations se confondent davantage, rendant toute nuance plus complexe. Conclusion : les Européens doivent articuler une vision claire sur l’évolution de leur démographie, de leurs géographies et de leurs besoins économiques à court et moyen terme.
Sixième enseignement : les Etats-Unis en ont fini avec le wokisme alors que l’Europe semble être au milieu. Après les caricatures de l’inclusion portées par Walt Disney ayant offensé les âmes les plus progressistes et les agitations universitaires grandissantes, la majorité des Américains ont voulu tourner cette page. Le message est simple : la tolérance, le respect de la différence et la lutte contre toutes les formes de discrimination ne doivent pas être confondus avec la réécriture de l’histoire, l’exploitation de quelques-uns et la bien-pensance comme boussole menant à une ségrégation inversée. Il est temps que l’Europe et en particulier les pays d’Europe occidentale le comprennent.
Enfin, la dernière leçon est celle de l’incarnation. Malgré le caractère détestable de la personne et de la personnalité de Donald Trump, force est de reconnaître qu’il incarne une forme de panache et de combattant. Il est même déconcertant de constater la part du vote féminin en sa faveur malgré ses diverses condamnations et attitudes à l’égard des femmes. Mais la leçon politique à retenir est qu’un projet politique doit toujours in fine s’incarner. Ce n’est pas l’homme providentiel qu’il faut attendre
mais la personnalité dotée du leadership pour tracer une voie : celle du courage, de l’audace et de la prise de risque. Il y a urgence.