« Les départements sont au bord du précipice. Leur modèle de financement est inadapté à la nature de leurs compétences. Leurs revenus, liés à la conjoncture (frais de notaire et TVA), diminuent et leurs dépenses obligatoires explosent. Privés de tout pouvoir tarifaire, ils ne peuvent fonctionner qu’avec des restrictions budgétaires. Cette situation des départements est le symptôme de phénomènes qui affectent notre République depuis de nombreuses années au point de menacer ses structures. C’est d’abord la conséquence d’une recentralisation rampante qui met à mal notre démocratie. Cela vient également du fait que l’ampleur des défis sociaux a été sous-estimée par notre société. Cela s’inscrit, enfin, dans un processus plus global d’affaiblissement des corps intermédiaires sur lesquels repose notre pacte social.
Une recentralisation généralisée
Cette recentralisation rampante s’est déroulée sur plusieurs années. Par simple non-indemnisation partielle, tout d’abord. Ainsi, les transferts de compétences étaient compensés à l’euro le plus proche au moment du transfert. Mais, au fil des années, les compensations de l’État n’ont pas changé alors que les dépenses ont augmenté, augmentant mécaniquement le reste à payer. Ainsi, pour les Allocations Individuelles de Solidarité (RSA, PCH, APA), le coût restant est de plus de 80 millions d’euros chaque année pour le département des Côtes-d’Armor. C’est moins de marge de manœuvre. Cette recentralisation est devenue plus spectaculaire ces dernières années avec la perte de l’impôt foncier pour les départements, rompant au passage le lien démocratique avec les citoyens via le consentement à l’impôt, et l’imposition par l’État de dépenses sans pleine compensation. À tel point qu’on se demande si le but n’est pas de transformer les départements en simples opérateurs étatiques.
Au cœur du pacte social
Un autre facteur explicatif réside dans le fait que le cœur de compétence des départements est social. Cependant, soutenir les personnes vulnérables constitue un point aveugle de notre société. C’est ce que montrent notamment les enquêtes de Victor Castanet sur les EHPAD et les crèches. Ceci est également illustré par la situation en matière de protection de l’enfance. Nous faisons beaucoup avec des collègues des départements de gauche pour sensibiliser à ce sujet. Nous y consacrons des budgets de plus en plus importants (+ 53 % depuis 2021 dans les Côtes-d’Armor). Mais malheureusement, la réponse ne correspond pas toujours à la situation au sein de la société. Il est d’ailleurs symptomatique que ce qui a sauvé les Départements, lorsqu’ils étaient menacés dans les années 2010, c’est le fait qu’aucune autre couche n’ait souhaité assumer sa responsabilité sociale.
Les corps intermédiaires, qui structurent notre pacte social, sont considérablement fragilisés. L’action du Président de la République a été particulièrement néfaste à cet égard. Mais le problème est plus profond. Cela vient aussi d’un individualisme de plus en plus envahissant qui fragilise le lien social. Les difficultés auxquelles sont confrontés les départements s’inscrivent dans ce contexte et aggravent le phénomène. De par la nature de leurs compétences et qu’à travers elles leurs partenaires sont également concernés : associations, collectivités territoriales, dont l’action est fondamentale pour les territoires. Les départements doivent disposer de ressources durables pour mener à bien leurs missions. Dans le cas contraire, notre pacte républicain perdra un instrument essentiel à son maintien. »
Président du conseil départemental des Côtes-d’Armor.
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