Face à une crise économique sans précédent, la Nouvelle-Calédonie attend des réponses. Joël Kasarhérou, chef d’entreprise et fondateur du mouvement politique Construire autrement, estime que le soutien financier de l’État français ne suffira pas à récupérer le territoire sans changement politique et réformes de fond. Il nous explique pourquoi l’injection de fonds, sans une vision politique claire, ne peut pas être une solution durable.
Joël Kasarhérou, chef d’entreprise et fondateur du mouvement politique Construire autrement, souligne que le soutien financier de l’État français ne suffira pas à redresser la Nouvelle-Calédonie sans un accord politique clair. Il met en garde contre la paralysie des entreprises et l’incertitude qui freinent les investissements. Pour lui, seule la stabilité politique permettra de sortir de l’impasse et de garantir une reprise durable.
NC la 1ère : Comment décririez-vous la crise actuelle en Nouvelle-Calédonie, notamment après les émeutes du 13 mai ?
Joël Kasarhérou : La situation des comptes publics en Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui très incertaine. La récente visite du ministre des Outre-mer visait principalement à rassurer les Calédoniens et à sécuriser un minimum de ressources du budget national afin de maintenir la Calédonie en survie. L’intervention de l’État se fait sous forme de prêts et non de subventions et sur une base ponctuelle. Dans le secteur privé, la situation est extrêmement difficile : les trois quarts des entreprises tournent au ralenti et ont souvent épuisé leur trésorerie.
Nous sommes dans une situation de pertes qui risque de devenir critique en fin d’année (en raison de la fin du chômage), avec potentiellement un effondrement systémique en 2025. La demande de solvants baisse, le chômage augmente et les entreprises ne peuvent plus se projeter sans une solution politique pour définir un horizon d’investissement clair. Sans un plan d’avenir clair, il devient presque inutile d’investir.
Sans un plan d’avenir clair, il devient presque inutile d’investir.
Vous semblez dire que la crise est bien plus profonde qu’une simple situation économique…
JK : Absolument. L’économie ne peut redémarrer sans stabilité politique et il est aujourd’hui impossible de planifier l’avenir. Les entreprises ont besoin d’une vision politique claire pour investir, mais il n’y a pas de consensus sur l’avenir du territoire entre indépendantistes et loyalistes. Cette incertitude paralyse toute initiative.
C’est aussi pour cette raison que le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale sont venus en Nouvelle-Calédonie. Ils sont venus encourager le dialogue entre les parties pour qu’un accord politique stabilise le territoire. Mais tant que les tensions restent vives, les entreprises et les investisseurs hésitent à s’impliquer et le pays s’effondre.
L’État français pourrait toutefois injecter des fonds pour remédier à la situation. Pourquoi ne le fait-il pas ?
JK : L’État a déjà injecté d’énormes liquidités pendant la crise du COVID. A l’époque, l’aide était immédiate et parvenait pendant les trois premiers mois un niveau presque deux fois supérieur à ceux accordés après le 13 mai 2024. Aujourd’hui, l’État maintient le pays sous perfusion et attend des réformes fondamentales et que les élus calédoniens assument leurs responsabilités. Sans projet politique structuré et sans gestion budgétaire sérieuse, il ne veut pas continuer à remplir un « tonneau des Danaïdes ».
Pouvez-vous relativiser ce que représente le soutien de la France à la Nouvelle-Calédonie ?
JK : La France dispose de ressources financières considérables. Le budget de l’État s’élève à environ 250 milliards d’euros. Dans ce contexte, un financement de 1 ou 2 milliards pour la Nouvelle-Calédonie représente une infime fraction de ses dépenses globales. Mais pour l’État, le problème n’est pas le montant ; c’est la gestion de cet argent et son impact. À l’échelle de notre économie, c’est énorme, mais ce n’est pas suffisant si nous n’avons pas un projet politique clair pour garantir une utilisation efficace de ces fonds, rétablir les comptes publics et réduire la structure des coûts.
Pourquoi l’État privilégie-t-il l’endettement plutôt que les subventions directes ?
JK : L’État veut responsabiliser les décideurs locaux. Plutôt que de fournir des subventions, cela nous encourage à emprunter, en espérant que cela encouragera nos dirigeants à gérer leurs finances de manière plus responsable. Le ministre des Outre-mer, François-Noël Buffet, est venu nous informer que des prêts seraient possibles, mais il n’a pas proposé de subventions directes. Cela envoie un message fort : l’État souhaite voir des efforts budgétaires et politiques avant de s’engager davantage.
Que pensez-vous de plans comme le PS2R (Plan Stratégique de Relance et de Relance) ? Sont-ce des solutions viables ?
JK : PS2R est un exemple typique de promesses sans suite. Il s’agit d’un document bien intentionné, mais il lui manque un calendrier précis, des chiffres budgétaires ainsi qu’une gouvernance et une évaluation claires. En réalité, il s’agit plutôt d’une liste d’intentions visant à montrer à l’État que des actions sont prévues, sans qu’il y ait réellement une volonté de mise en œuvre concrète. Le PS2R semble davantage conçu pour cajoler l’État que pour être mis en œuvre. Par ailleurs, le plan quinquennal annoncé ne résout pas le problème de fond : la crise politique qui bloque tout.
Quel rôle l’industrie du nickel peut-elle jouer dans cette crise ?
JK : L’industrie du nickel constitue certes notre principale ressource économique, mais le marché est complexe. La production mondiale est dominée par le couple offre/demande Indonésie-Chine, qui fixe les prix, rendant la production concurrente non rentable. Nos coûts de production sont beaucoup trop élevés pour être compétitifs, ce qui limite considérablement la capacité de notre industrie à contribuer à la reprise économique. Même l’Australie, autre producteur majeur, ferme ses activités devenues non rentables. Le nickel est donc une ressource clé, mais il ne constitue pas une bouée de sauvetage à court terme car c’est le marché aux enjeux géopolitiques qui rend le nickel rentable et non notre stratégie nickel et nos coûts irréductibles.
Pour conclure, que faudrait-il pour sortir de cette impasse ?
JK : La priorité est de parvenir à un accord politique stable. Sans cela, inutile de parler de relance économique, car personne n’investira dans un territoire dont l’avenir est incertain. La France peut nous soutenir, elle en a les moyens, mais elle n’interviendra pas davantage tant que les élus locaux ne proposeront pas un plan crédible et durable pour gérer l’économie et réduire la dépendance à l’égard de l’État. Bref, sans une vision politique claire, l’argent n’y changera rien, et la Nouvelle-Calédonie continuera à survivre grâce à l’aide, sans pouvoir se construire un avenir stable et prospère.