Mars 1943, un travailleur forcé lotet-garonnais au STO d’Auschwitz

Mars 1943, un travailleur forcé lotet-garonnais au STO d’Auschwitz
Mars 1943, un travailleur forcé lotet-garonnais au STO d’Auschwitz

l’essentiel
Des lettres récemment découvertes sont un témoignage exceptionnel du vécu de ces jeunes Lot-et-Garonnais réquisitionnés par les Allemands entre 1943 et 1945.

Filleule d’un ancien professeur et directeur de collège de Castelmoron-sur-Lot (Pierre Sauveau, né en 1920 et décédé en 1996), Marie-Hélène Lechevallier a mené un passionnant travail de recherche sur son parrain, victime du STO pendant la Seconde Guerre mondiale. Guerre.

Originaire de Castelmoron, lycéen à Villeneuve-sur-Lot puis élève à l’école normale de Pau, Pierre Sauveau est contraint de prendre le train depuis Casseneuil le 10 mars 1943. Après des escales à Agen puis Paris, il se retrouve en Allemagne puis en Pologne, dans le camp des Français affectés à la construction de l’usine Buna, située dans le camp de concentration d’Auschwitz.

Marie-Hélène Lechevallier a retrouvé 51 lettres écrites par son parrain entre avril 1943 et janvier 1944, lettres soumises à la censure et adressées à sa famille du Lot-et-Garonne. Le travail effectué sur ces archives a donné lieu à une étude historique d’environ 150 pages, et l’auteur a rédigé cette synthèse.

« Le 16 mars 2013, un article de La Dépêche du Midi faisait état des conditions du départ pour le STO le 10 mars 1943 de quelque 754 Lot-et-Garonnais. Cet article rappelait que le Service du Travail Obligatoire (STO) avait été institué par la loi coercitive du 16 février 1943 de l’État de Vichy pour les jeunes nés en 1920, 1921 et 1922.

Quelque 650 000 jeunes Français ont été envoyés aux travaux forcés dans l’Allemagne nazie. Récemment, 51 lettres envoyées d’Auschwitz à sa famille par Pierre Sauveau entre mai 1943 et janvier 1944 ont été retrouvées. C’est le témoignage exceptionnel d’un jeune homme durant cette période terrible de notre histoire du XXème siècle. Pierre Sauveau raconte au présent les faits, les émotions, le vécu du quotidien et son impact sur la vie.

Né en juin 1920 à Castelmoron-sur-Lot, il fait partie du premier convoi du STO au départ de Casseneuil. Ce convoi lotet-garonnais arrive 2 ou 3 jours plus tard à Oppeln en Pologne occupée. Cette ville est la gare de triage de Haute-Silésie pour le travail captif que les nazis ont emmené dans toute l’Europe. Il fut envoyé avec 2 500 autres travailleurs forcés français au camp de travail d’Auschwitz. Elève enseignant, c’est-à-dire « bon à rien » dans ce monde d’exploitation par le travail, la carte de travail qui lui est remise à son arrivée indique qu’il sera employé comme ouvrier du bâtiment.

Avec les prisonniers et déportés du camp de concentration d’Auschwitz III-Monowitz, les STO français ont travaillé à la construction de l’immense usine IG Farben destinée à produire du caoutchouc et de l’essence de synthèse. Pierre Sauveau est affecté aux terrassements : « Mon travail m’absorbe beaucoup. Il m’oblige à me lever à 3h15, partir à 3h30 et arriver sur le chantier en pleine nuit à 4h30 […] mes nuits sont courtes », écrit-il le 9 octobre 1943.

Confronté à un monde que la censure ne lui permet pas de décrire, le 18 novembre 1943, il confie : « Je me demande dans quelle ornière est tombé notre pauvre pays et s’il pourra un jour en sortir. Voir tant de méchanceté fait bouger nos cœurs. Le 20 novembre 1943, il ajoute : « Si nous sommes en enfer, cet enfer est terrestre et nous espérons y revenir. » Cet espoir de retour le tourmente. Dans cette attente lancinante, des valeurs partagées nous permettent de garder la tête haute : « Nous avons célébré dignement, dans le calme, notre fête du 14 juillet, avec notre drapeau et notre chant national. Sur cette terre étrangère, cela nous a procuré un plaisir immense que ceux qui sont en France ne peuvent imaginer », écrit-il à ses parents le 17 juillet 1943.

Finalement, à la mi-janvier 1945, les bombardements alliés combinés à l’avancée de l’Armée rouge contraignent Himmler à évacuer tous les camps de concentration et de travail de l’Est. Le 21 janvier 1945, au soir, des colonnes de jeunes travailleurs forcés du STO quittent Auschwitz, encadrés par des soldats allemands. Pierre Sauveau raconte ce départ dans un poème écrit le 1er mars 1945 :

« Au milieu de la nuit, sinistre et sombre,

Dans un frisson de terreur dangereuse,

L’ordre est finalement venu : partir ou mourir,

Allez traîner ailleurs, sans parler !

Le bal de l’exil, de la faim et de la misère,

Sur la route enneigée, plus dure qu’une épreuve !

Et dans l’obscurité, le long convoi des vagabonds,

Titubant sous le poids du fardeau écrasant,

Je suis allé ailleurs, accablé de tristesse. »

Avec ses compagnons d’infortune, il parcourt à pied quelque 250 km en 10 jours, dans la neige et l’hiver glacial. Enfin par train, 800 STO français venus d’Auschwitz atteignirent Dresde le 6 février et furent dirigés vers Königstein, à une vingtaine de kilomètres au sud de Dresde. Le 13 février eut lieu le terrible bombardement de cette ville. Plusieurs dizaines de milliers d’habitants y sont morts. Les STO françaises seront utilisées pour déblayer les décombres ; les SS brûleront les corps des défunts pendant cinq semaines, expliquait Geert Mak en 2004 dans son livre « Voyage d’un Européen à travers le 20e siècle ». « Vision de l’enfer », écrit Pierre Sauveau dans un de ses poèmes. Finalement, face à la défaite du Reich, la hiérarchie administrative allemande locale, ne tenant plus compte des ordres de Berlin, organise le retour des STO en France.

Le 28 avril 1945, Pierre Sauveau se voit confier 43 malades, dont deux enfants, incapables de marcher, pour les transporter en train jusqu’à Karlsbad, où ils seront libérés par les Américains.

De retour en France Pierre Sauveau était un pédagogue engagé, passionné et reconnu. Il est nommé officier de palme académique à l’âge de 50 ans. Mais marqué par ses années en tant que STO, sa vie est à jamais assombrie. Décédé en 1996, il n’a pas eu l’occasion de connaître l’issue de la longue bataille judiciaire menée par les associations d’anciens élèves du STO. Finalement, par décret du 16 octobre 2008, la désignation officielle de « victimes du travail forcé dans l’Allemagne nazie » a été reconnue.

 
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