Le directeur du collège raconte la « fatwa » lancée contre le professeur décapité

Le directeur du collège raconte la « fatwa » lancée contre le professeur décapité
Le directeur du collège raconte la « fatwa » lancée contre le professeur décapité

A la cour d’assises spécialement composée,

Les mails envoyés, les appels passés, les messages reçus… Audrey F. avait tout enregistré en attendant ce procès. « Je voudrais revenir sur les faits, j’avais pris un certain nombre de notes », lance d’emblée l’ancien proviseur du collège du Bois d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), dans lequel Samuel enseignait Paty. Avec ses 750 élèves, ses 55 professeurs, « il faisait bon vivre » dans cet établissement, « et je pense que c’est toujours le cas ». “M. Paty était très heureux de travailler dans ce collège, il me semble me rappeler qu’il venait d’un département plus compliqué”, explique-t-elle à la barre.

Longs cheveux noirs, veste grise, chemise claire, elle souhaite, ce mardi après-midi, « retracer chronologiquement ce qui s’est passé » à partir du 6 octobre 2020, jour où un élève a lancé une polémique qui sera fatale au professeur d’histoire-géographie.

Un enseignant « sérieux », « consciencieux », « volontaire »

Ce mardi-là, Audrey F. reçoit un appel de la mère de Z., une écolière de 4e année. « En larmes, lui raconte-t-elle que sa fille de 13 ans a été exclue d’une classe la veille, sous prétexte qu’elle était musulmane, c’est comme ça qu’elle me présente les choses. Le professeur d’histoire et de géographie de la jeune fille voulait montrer aux élèves des caricatures du prophète Mahomet et aurait « demandé aux élèves musulmans de lever le doigt et de quitter la classe ». Sa fille, qui « aurait aimé voir » ces dessins, aurait « vécu cette discrimination commune ». Cet événement aurait grandement « perturbé » cette femme qui « a décidé d’en parler à d’autres mamans ».

Audrey F. interviewe Samuel Paty, un enseignant « sérieux », « consciencieux », « volontaire » et « enthousiaste ». Ce dernier “lui explique que ce n’est pas tout à fait comme ça que ça s’est passé”. Dans le cadre d’un « cours sur la liberté de la presse », il a clairement montré les caricatures du prophète Mahomet publiées dans Charlie Hebdo. Il a « laissé entendre aux élèves que cela pourrait offenser, choquer, de sortir du cours ». Le professeur est « ennuyé ». « Il regrette vraiment que l’élève se soit senti discriminé parce que ce n’était pas son intention », poursuit l’ancien proviseur, précisant que la victime de l’agression avait voulu « faire les choses de manière délicate ». Selon elle, il s’agissait d’un « parcours structuré, plutôt mesuré ». «Je n’y vois pas d’écart particulier. »

« Une offense au sacré »

La collégienne qui accuse Samuel Paty pose en revanche régulièrement problème au sein de l’établissement. Des « incivilités », des « absences » injustifiées, une dizaine d’heures de colle « qui n’ont pas été faites »… En pleine période Covid, « elle refuse de mettre le masque alors qu’on a un protocole très précis à ce niveau », souligne Audrey F. qui a décidé de l’exclure pendant deux jours pour réprimer ses problèmes disciplinaires. Une sanction qui n’a rien à voir avec l’incident dénoncé par la jeune fille, insiste-t-elle.

Le lendemain, la mère de Z. se présente dans son bureau, « excitée, en colère, agacée ». Elle apparaît « agressive » et « irrespectueuse ». Plus tard dans la journée, c’est le père de l’écolière, Brahim Chnina, qui a demandé à la rencontrer. Il est venu accompagner Abdelhakim Sefrioui, un militant islamiste franco-marocain qui s’est présenté à elle comme le « responsable des imams de ».

Ce dernier « prend les devants » au bureau, « se révolte contre ce qu’il appelle une offense au sacré ». “Impossible de discuter” avec Abdelhakim Sefrioui, cet “agitateur” qui “mélange tout”. Les deux hommes exigent que l’ancien proviseur du collège licencie Samuel Paty, qu’ils qualifient de « voyou ».

Audrey F. se sent « vraiment menacée » par le duo qui envisage de « venir avec des musulmans manifester devant l’establishment et prévenir les médias ». Lors de cette rencontre, qui ne durera qu’une vingtaine de minutes, Audrey F. ne se « sent pas très à l’aise », « même en tant que femme ». Surtout, elle estime qu’« un pas plus haut » a été franchi. Le maire de Conflans-Sainte-Honorine, la police, le renseignement territorial, l’inspection académique… Elle va alerter le monde entier.

“C’est tellement symbolique de lui avoir coupé la tête”

Le lendemain, elle apprend que Z. n’assiste pas au cours de Samuel Paty pendant lequel il montre les célèbres caricatures, « elle était absente ». « Mes bras tombent. » Elle la convoque pendant la récréation. Et l’adolescente “lui raconte, droit dans les yeux, qu’elle a refusé de sortir quand M. Paty lui a montré les caricatures et que, du coup, il lui a donné deux jours d’exclusion”. La jeune fille lui ment « avec aplomb ».

L’affaire ne s’arrête pas là puisque Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui ont diffusé sur les réseaux sociaux deux vidéos dans lesquelles ils donnent le nom du professeur d’histoire-géographie. Audrey F. estime que cette vidéo va « les mettre dedans ». En effet, des journalistes appellent l’établissement, mais aussi des personnes « qui remettent en cause la laïcité du collège ». Elle reçoit des courriels de menaces. Dans la cour, la rumeur circule que Samuel Paty « est raciste et qu’il stigmatise les étudiants ». Audrey F. décide de porter plainte. Aux policiers, elle explique craindre pour « l’intégrité physique » de Samuel Paty.

Le 16 octobre, elle voit enfin les vacances arriver. « Nous allons pouvoir respirer », se dit-elle. C’est alors qu’elle apprend que “quelque chose d’horrible venait de se passer, une personne venait d’être décapitée” à proximité de l’établissement. « Tout de suite », pense-t-elle au professeur d’histoire-géographie. A 19 heures, « l’information est confirmée ». « Je me retrouve dans mon bureau, abasourdi. Je me suis appuyée contre le mur, j’ai glissé lentement”, a-t-elle déclaré devant la cour d’assises spécialement composée.

A l’époque, elle se disait qu’il était victime d’une véritable « fatwa », « comme Salman Rushdie ». « C’est tellement symbolique de lui avoir coupé la tête », souffle-t-elle. Aujourd’hui, elle est rongée par la culpabilité parce qu’elle « n’a pas réussi » à « protéger » Samuel alors qu’elle en était « responsable ».

“Tant que je tiens le coup, ça va”

« Qu’attendez-vous de la justice ? » demande le président, Franck Zientara. « J’attends que les coupables soient reconnus coupables », répond-elle. Avant d’ajouter : « Je ne pourrai pas avancer tant que ces personnes ne seront pas reconnues coupables. »

Depuis quatre ans, elle s’est « réfugiée » dans le travail pour ne pas « penser » à ce drame. « Depuis, je n’ai jamais arrêté, je n’ai pas pris soin de moi, j’ai pris soin des autres, c’est ce qui m’a permis de continuer. » « La question n’est pas de savoir si vous prenez soin de vous, mais quand vous commencerez à le faire », pointe Me Vincent Bertault, l’avocat du SNES (Syndicat national de l’enseignement secondaire). « Tant que je tiens le coup, ça va », souffle Audrey F. qui, après presque quatre heures de témoignage à la barre, ne peut retenir ses larmes.

 
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