Localtis : Vols, meurtres, fusillades contre la police… Votre ville est confrontée à une très forte violence. Vous avez demandé au Premier ministre du renforcement et des solutions durables. Michel Barnier vous a répondu en proposant l’envoi d’une escadrille. Que pensez-vous de ses premiers éléments de réponse pour faire face à cette crise sécuritaire ?
Sophie Charles : J’ai fait plusieurs demandes depuis le début de l’année. J’ai envoyé trois lettres, une au ministère de l’Intérieur, une autre au président de la République et une autre au ministère de l’Outre-mer. Fin octobre, un escadron de 72 gendarmes de la Garde républicaine arrive. Pour nous, c’est une première réponse. Mais notre ville, qui compte officiellement 50 000 habitants, en compte en réalité plus de 80 000, les personnes des zones informelles n’étant pas comptabilisées par l’Insee. C’est ce différentiel qui nous pose problème. Nous avions demandé un commissariat de police pour la zone urbaine et un contrôle du fleuve Maroni car c’est de là que viennent tous les trafics d’armes, de drogue et de migrants. C’est la porte d’entrée vers tout ce qui est illicite. L’idée n’est pas de mettre un gendarme par mètre carré mais il existe des moyens modernes, comme les drones, pour contrôler la frontière. Il y a plus d’un millier de traversées par jour face à Saint-Laurent-du-Maroni. Une brigade fluviale a été créée en avril suite à nos demandes mais elle manque de personnel. Les postes restent vacants. Peut-être devrions-nous créer un concours local pour avoir plus de candidats.
Michel Barnier refuse d’abandonner le barrage routier à l’entrée de votre ville que vous jugez inefficace car censé protéger aussi le reste de la Guyane, qu’en pensez-vous ?
Aujourd’hui, seize gendarmes sont bloqués à ce poste de contrôle. Il faudrait y mettre des policiers et des douaniers et libérer les gendarmes pour le reste de la ville. Plus généralement, on voit arriver des renforts depuis le début de l’année, avec des patrouilles à pied ayant lieu vers 18 heures dans la ville. Cela a conduit à une réduction de la délinquance et surtout de la criminalité. Les patrouilles parviennent à arrêter des bandes armées de jeunes, des gens armés, qui volent et tuent. En réponse, la population s’autocensure. Je n’ai pas fixé de couvre-feu mais à 21h30 il n’y a presque personne dehors. C’est dommage car c’est une perte de revenus pour les restaurateurs.
Au-delà des aspects sécuritaires, la Guyane, où 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, souffre d’une crise économique, avec une explosion des revendications sociales, des salaires insuffisants et une précarité de l’emploi. Quelle est la situation dans votre ville et comment souhaitez-vous y faire face ?
Nous avons un taux de chômage de 40 % et une véritable augmentation de la pauvreté. Au centre communal d’action sociale, les demandes sont passées de 3 000 en 2022 à 10 000 en 2023. On n’a pas encore le chiffre pour 2024, mais cela ne va pas diminuer. Aujourd’hui, les petits boulots sont nombreux mais cela ne suffit pas au développement d’une grande ville comme la nôtre.
Les entreprises doivent pouvoir venir s’implanter pour créer de l’activité économique et des emplois. Il y a quelques semaines, une concession automobile a été créée sur notre territoire avec une quinzaine d’emplois. Mais avec une population en croissance rapide – plus de 3 000 naissances chaque année – les aspects sécurité et logement doivent être améliorés. Nous avons notamment un important déficit de logements. Or, lorsqu’une entreprise s’installe, elle a besoin de terrains et de logements. Nous sommes inscrits au Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine (NPNRU).
Côté entreprises, nous sommes bénéficiaires du programme Action Coeur de Ville (ACV). Dans ce cadre, nous intervenons sur la devanture des magasins et la rénovation des bâtiments. Cela avance bien. Nous avons deux zones d’activités économiques qui ont été créées et qui commencent à fonctionner, avec des entreprises de construction et des sociétés de services liées aux services médicaux ou paramédicaux. L’objectif est d’améliorer l’attractivité du territoire.
Et en matière de transports, quelle est la situation ? Quels sont les besoins ?
La ville ne dispose pas de transports urbains. Nous sommes en train de mettre en place trois lignes de bus pour desservir la ville. Nous prévoyons également des mobilités douces avec notamment des pistes cyclables. Nous essayons d’agir sur plusieurs domaines en même temps. Et pour cela, nous sollicitons d’éventuels financements, la Banque des Territoires pour certaines études, des fonds européens… Nous essayons de trouver des financements mais ce n’est pas évident. Et face aux allègements prévus dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, nous sommes très inquiets. Si nous perdons l’allocation, c’est tout ce que nous ne mettrons pas sur la table pour les projets d’investissement auxquels nous participons. Je m’inquiète pour les trois prochaines années. Les questions qui se posent au sujet de l’octroi de mer nous inquiètent également. Cela représente pratiquement 50 % de nos revenus d’exploitation. Nous avons beaucoup d’incertitude.
Côté logement, vous demandez la destruction des quartiers informels, soit environ 60 % des logements, qui sont également habités par des familles pauvres. La préfecture a donné son accord pour la démolition d’immeubles dans des squats, des foyers de délinquance et des lieux de stockage d’armes. Et ça ?
Il est important que ces squats, qui servent de refuge aux bandits, soient détruits. Il n’est pas question de ne pas respecter la loi et nous menons les enquêtes sociales nécessaires. Mais les personnes en situation irrégulière doivent rentrer chez elles. La police doit agir sur ce sujet, chacun a son rôle à jouer. Mais comme elle manque de personnel, elle a du mal. J’ai transmis une information pour la démolition d’un squat qui se situe entre plusieurs écoles. C’est à l’appréciation du préfet qui doit gérer cette question. Il est d’accord, j’attends de voir.
Les mesures envisagées dans le cadre du comité interministériel des villes sont-elles suffisantes pour votre commune ?
Il y a des choses qui peuvent être intéressantes mais on a tellement de spécificités qu’il est difficile de rentrer dans la common law. Dans une commune en France, par exemple, vous avez le train. Aujourd’hui, dans notre ville, nous sommes obligés de prendre la voiture. Il existe également des zones qui ne disposent ni d’eau ni d’assainissement. Partout nous avons des retards structurels. Par exemple, je n’ai qu’une seule piscine municipale ! Tout cela n’est pas facile à couvrir avec des infrastructures. En France métropolitaine, les classes scolaires sont fermées. Depuis 2020, j’ai ouvert 83 classes. A Saint-Laurent-du-Maroni il y a 11 000 enfants en maternelle et en primaire, si on y ajoute les collégiens et lycéens, on arrive à 22 000 élèves, c’est énorme ! Au coût d’investissement s’ajoute le coût d’exploitation. Les mesures envisagées par le comité peuvent convenir à certaines communes mais elles ne conviennent pas à des territoires comme le mien.
Ce que je souhaite surtout, c’est qu’on puisse faire les choses différemment. Les normes françaises et européennes ne nous conviennent parfois pas. Aujourd’hui par exemple, notre territoire est très impacté par le réchauffement climatique. Une simplification des procédures de construction des bâtiments, par exemple en matière de fouilles archéologiques, permettrait d’avancer plus rapidement et de démarrer les travaux avant les périodes de pluie. La simplification des procédures avait été évoquée dans le cadre du comité interministériel des territoires d’outre-mer (Ciom), il faut passer par là !