TÉMOIGNAGE. Massacre de Tulle. « De l’autre côté du fleuve, ils ont aussi pendu des jeunes », le récit douloureux d’un rescapé

TÉMOIGNAGE. Massacre de Tulle. « De l’autre côté du fleuve, ils ont aussi pendu des jeunes », le récit douloureux d’un rescapé
TÉMOIGNAGE. Massacre de Tulle. « De l’autre côté du fleuve, ils ont aussi pendu des jeunes », le récit douloureux d’un rescapé
Publié le 09/06/2024 à 06h05

Écrit par Valentin Pasquier Et Mathilde Brazeau

Georges Cueille est un rescapé des massacres de Tulle. Quatre-vingts ans plus tard, ce céramiste et ami de Picasso, arrêté à 17 ans par les SS du Reich, raconte comment il a été contraint d’assister aux pendaisons du 9 juin 1944 et comment cet événement l’a changé. marqué à jamais.

Dans sa maison du Lot, les souvenirs de Georges Cueille, né en 1927 à Bassignac-le-Haut (Corrèze), sont partout. Les céramiques et peintures de l’artiste, proche de Picasso et de Jean Lurçat dans les années 1960, sont exposées aux murs, exposées sur la moindre étagère ou rangées dans des buffets.

Mais une partie de l’histoire de Georges Cueille n’est pas visible, un événement dont il parle peu : il a été témoin, à 17 ans, des massacres de Tulle.

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A cette époque, il séjourne temporairement chez des retraités dans le quartier des Condamines, face à la gare de Tulle, afin de passer le concours de l’École Normale d’Instructeurs. “Le monsieur était à la retraite du manu [la manufacture d’armes de Tulle, NDLR]. La veille, j’étais dans leur jardin et le bon monsieur m’a donné des jumelles. Il m’a dit “bon, comme ça tu peux regarder ce qui se passe à la gare « . Et dans l’après midi j’entends un bruit terrible. C’était la division Le Reich qui arrivait. Et c’était déroutant (…) car la ville avait été prise par les maquis dans la nuit du 7 au 8.

Les malheureux s’étaient emparés de l’école normale de filles occupée par les Allemands, et notamment les SS, et l’avaient incendiée. Un seul Allemand s’échappa et c’est lui qui désigna alors les personnes qui iraient à la potence.

Georges Cueille

Survivant des massacres de Tulle

Le 8 juin, Tulle est rapidement reprise par les troupes allemandes. Le lendemain matin, vers 6 heures du matin, les voisins des hôtes de Georges Cueille frappent à la porte : ils préviennent que les nazis envisagent de prendre des otages de plus de dix-huit ans en représailles. Malgré son âge, il était toujours arrêté par les Allemands. “Nous sommes descendus vers l’avenue Victor-Hugo pour aller vers Souilhac et la fabrication. Il y avait là un grand bâtiment auquel pendaient des cordes. A l’époque, je me suis dit que c’était bizarre, mais je n’imaginais pas à ce moment-là à quoi ils allaient servir,» relate l’artiste de 97 ans.

Là stationnent alors deux groupes d’otages corréziens : à gauche, celui du jeune Georges et celui du futur torturé.

A ce moment, j’ai vu un vieux monsieur se précipiter vers le groupe [de droite] pour extraire un jeune homme et prendre sa place. J’ai alors découvert que c’était son père.

Georges Cueille

Survivant des massacres de Tulle

Là, Georges Cueille est contraint d’assister à la pendaison d’une dizaine d’hommes. “Nous serions partis, nous aurions été abattus, il ajoute. jeil avait une boucherie de l’autre côté de la rivière. D’où j’étais, je voyais qu’on y pendait aussi des jeunes.

Il y avait deux échelles : une pour l’Allemand et une autre pour le torturé, dont les bras étaient attachés dans le dos.il se souvient. Il y en a un qui a réussi à se détacher – et je l’ai vu donner un gros coup de poing à l’Allemand – et il a été jeté dans le fleuve, dans la Corrèze. Tout de suite, une cinquantaine de mecs l’ont rattrapé

Le soir, les otages survivants sont emmenés à l’usine d’armes où ils dorment sur de la paille à même le sol. Les Allemands les préviennent : si les maquis réapparaissent, d’autres pendaisons auront lieu.

Le lendemain, Georges Cueille échappe de peu à la déportation, avant d’être libéré. Il retourne alors dans son village natal de Xaintrie, stupéfait par ce qu’il vient de vivre. “Sur le moment, c’est triste à dire, mais je n’ai rien ressenti, se lamente-t-il. Deux jours plus tard, j’étais à la foire de Saint-PrivatJ’ai raconté mon histoire comme si de rien n’était.

J’ai vu ces gens défiler, sachant qu’ils allaient être pendus. Cela n’avait pas d’importance. C’était complètement… J’étais ailleurs. Est-ce que cela m’avait traumatisé au point que les choses se passaient sans que je puisse les vivre ? C’est ainsi.

Georges Cueille

Survivant des massacres de Tulle

Pourtant, le bruit des voitures, dont le passage est rare dans son village de Bassignac-le-Haut, suscite l’inquiétude. En 1947, ces événements le rattrapent et il subit un contrecoup brutal. Ce stress post-traumatique l’a contraint à rester un an chez ses parents, avant de reprendre ensuite sa vie d’artiste et d’enterrer, pendant des décennies, ces atrocités qu’il a finalement accepté de confier à notre équipe.

 
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