« L’histoire impériale ne peut plus être racontée exclusivement par la »

« L’histoire impériale ne peut plus être racontée exclusivement par la »
« L’histoire impériale ne peut plus être racontée exclusivement par la France »
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L’historien Mamadou Diouf au Festival du film africain de New York, le 8 mai 2024. JOHN LAMPARSKI / GETTY IMAGES VIA AFP

Le 1est En décembre 1944, des dizaines de tirailleurs africains sont abattus par l’armée française dans le camp militaire de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, au Sénégal, pour avoir réclamé le paiement de leur prime de démobilisation.

Ce massacre, décrit comme “mutinerie” jusqu’en 2014 par les autorités françaises, a refait surface au centre des débats suite à l’octroi, en juin, par le président Emmanuel Macron, de la mention « Mort pour la » à six tirailleurs. Une mesure critiquée par Ousmane Sonko, le Premier ministre sénégalais, qui a estimé que la France ne pouvait pas trancher unilatéralement sur cette question mémorielle longtemps gardée sous silence.

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Arrivés au pouvoir en mars, M. Sonko et le président Bassirou Diomaye Faye entendent faire la lumière sur ce crime colonial et réinsérer » Thiaroye » dans le roman national. D’importantes cérémonies rendant hommage aux tirailleurs tués il y a quatre-vingts ans sont prévues notamment le 1est Décembre dans tout le pays.

Mamadou Diouf, historien à l’université Columbia de New York et président du comité de commémoration, analyse les enjeux politiques et mémoriels du massacre de Thiaroye.

Pendant des décennies, la mémoire de Thiaroye n’a guère mobilisé les dirigeants sénégalais. Quelle est la portée politique et symbolique de cet hommage national souhaité par Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko ?

Ces commémorations constituent un acte fort, une manière de dire que l’histoire impériale ne peut plus être racontée exclusivement par la France. A Thiaroye, ce jour-là, des hommes partis libérer la France sont abattus pour avoir réclamé leurs pensions et indemnités.

Pendant des décennies, la France a obstrué la mémoire de ce massacre et exproprié les Africains de cette histoire. Thiaroye est une tache morale indélébile que l’ancien colonisateur a longtemps tenté de dissimuler, en interdisant par exemple la diffusion du film d’Ousmane Sembène. [Camp de Thiaroye, tourné en 1988]ou en niant les faits.

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Aujourd’hui, la nouvelle classe politique dirigeante sénégalaise affiche sa volonté de se réapproprier un nouveau récit et de produire le sien. Elle recherche également un discours panafricain capable de fédérer une région troublée par les conflits au Sahel. D’où la place centrale accordée aux pays voisins dans ces commémorations. Ces tirailleurs, qui n’étaient pas seulement sénégalais, mais aussi maliens, burkinabè, guinéens, ivoiriens, ont tous été victimes de la violence coloniale.

Quelle est la spécificité de Thiaroye par rapport aux autres crimes qui ont suivi la fin de la guerre, à Sétif en Algérie, à Madagascar ou en Indochine ?

Cet événement se produit dans une séquence paradoxale. Un moment d’euphorie où l’Europe et les Etats-Unis célèbrent la fin du cauchemar fasciste. Les Africains croyaient aussi en un nouveau “aube”une époque de libertés et d’égalité, comme en témoignent les débats animés de l’époque sur la démocratie.

Mais de cet élan d’émancipation, comme après la Première Guerre mondiale, l’Occident a exclu les Algériens, les Subsahariens, les Indochinois, en leur jetant à la figure : « Retournez à votre place. » C’est dans cette France nouvelle, portée par l’idéal européen et le gaullisme, que surgit le massacre de Thiaroye. [Léopold Sédar] Senghor, [Aimé] Césaire et [Frantz] Fanon a capturé dans ses écrits cette tension entre l’aspiration à la liberté et la violence coloniale déchaînée.

En 2014, suite à la visite à Thiaroye de François Hollande, premier président français à avoir réfuté la thèse d’une « mutinerie », le Sénégal a obtenu une copie des archives françaises. Dix ans plus tard, les frictions persistent car les autorités sénégalaises soupçonnent l’existence de documents secrets, ce que la France nie. Comment expliquez-vous la méfiance de Dakar ?

Pendant des décennies, la France a délibérément bloqué l’accès aux archives. Le doute est donc permis. L’embargo politique a longtemps été la norme, ce qui explique le silence de Senghor sur ce carnage, même s’il fut le premier à le dénoncer dans un poème écrit quelques jours après le 1est Décembre 1944. Mais, une fois président, il n’en parle plus.

Quand il était député [français, de 1945 à 1951]Lamine Guèye avait demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire. Mais une fois élu à la présidence de l’Assemblée nationale [du Sénégal, de 1960 à 1968]lui aussi se cachait dans un silence complice.

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Qu’un État tente d’imposer son récit aux victimes de la violence coloniale est un fait constant dans l’histoire. L’État produit de l’histoire pour valider son hégémonie politique. Lorsque Robert Paxton, un historien américain, a travaillé sur le régime de Vichy, il s’est confronté au récit officiel. Mais il a quand même percé. C’est ce qui pourrait se passer à Thiaroye, d’où la pugnacité des autorités sénégalaises.

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L’enjeu est donc de maintenir nos exigences. Notre commission a identifié une liste d’archives non livrées. Il a également cartographié les sites où ils pourraient être conservés en France. les autorités françaises, une délégation composée d’historiens, archivistes et documentalistes sénégalais se rendra en France dans quelques jours.

Ni les autorités sénégalaises, ni le comité ne sont animés par une lutte contre la France, mais par une très forte volonté de faire la lumière sur les faits et de produire un récit historique le plus incontestable possible.

Comment expliquez-vous que les archives remises par François Hollande n’aient pu être utilisées que très récemment au Sénégal ? Pourtant, ils sont dans les archives nationales depuis dix ans…

Ces documents ont été présentés en 2018, lors d’une pré-conférence réunissant des chercheurs africains. Mais leur exploitation n’a pas continué pour des raisons administratives et politiques. A l’époque, le président Macky Sall s’était montré peu intéressé par ce sujet diplomatiquement embarrassant. Mais la volonté politique de son successeur a permis de les rendre disponibles, même si l’accès reste restreint.

Du 1est En décembre et jusqu’en avril 2025, le Sénégal envisage d’organiser d’importantes commémorations du massacre, à forte dimension panafricaine. Plusieurs dirigeants du continent étaient invités. Comment le nouveau pouvoir sénégalais compte-t-il utiliser cet événement pour promouvoir sa vision panafricaniste ?

Il s’agit d’une démarche cohérente : celle de l’intégration panafricaine, fondée sur la rupture avec l’alignement hérité de la Guerre froide et de la « Françafrique ». L’objectif poursuivi, à travers ces commémorations, est de proposer un commentaire africain sur le monde. ” Thiaroye » s’inscrit dans cette perspective. Il s’agit de nous recentrer sur le continent. En cela, les nouvelles autorités marquent une certaine rupture dans l’histoire postcoloniale sénégalaise.

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Coumba Kane

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