Attention, big bang arrive dans les transports parisiens. Ce mardi 12 novembre, le conseil d’administration d’Île-de-France Mobilité (IDFM), présidé par Valérie Pécresse, doit valider les repreneurs des trois premiers lots de bus privatisés dans la capitale et sa petite couronne. Exit l’Epic (établissement public) RATP, entreprise intégrée qui gère le réseau de surface et les métros depuis la Libération. Sauf surprise, c’est sa filiale privée CAP Île-de-France, à travers des sociétés dédiées, qui reprendra l’exploitation des lots 42 (sites d’Asnières et Pleyel) et 45 (Neuilly-Plaisance, Saint-Maur, Neuilly – sur-Marne), pour une durée de 6 ans à compter du 1est Novembre 2025.
Saucisses régulières du réseau
A l’inverse, Keolis, groupe privé, obtiendrait la gestion, via une filiale, du lot 9 (Bussy, Villemomble, Tremblay) pour les six prochaines années, du 1est août. « Concrètement, jusqu’à 8 entreprises différentes opéreront à terme dans Paris intra-muros, souligne Céline Malisé, présidente du groupe communiste dans la région. Le réseau unifié actuel connaît déjà une saturation. Qui peut croire qu’une rupture ne provoquera pas le chaos. » D’autant qu’aucune étude d’impact n’a été fournie pour ce salami formel du réseau. A terme, les 308 lignes de bus de la capitale et de sa petite couronne seront réparties en 13 lots, soumis aux règles des délégations de service public (DSP) pour des durées inégales de 5 à 7 ans.
En pratique, près de 19 000 agents, soit 40 % des effectifs d’Epic RATP, attachés aux dépôts, seront transférés pour une libéralisation totale prévue fin 2026. De son côté, IDFM, l’autorité organisatrice des mobilités, se veut confiante : « Les conditions de transfert sont garanties par un contrat social territorialisé. Il n’y aura pas de perte de salaire »assure son premier vice-président, Grégoire de-Lasteyrie. Les salariés se voient garantir, pendant la durée du premier contrat DSP, une rémunération fixe et une affiliation à la caisse de retraite de la RATP. Mais c’est tout.
Dumping social avec des prix cassés pour remporter des appels d’offres
« Les agents doivent accepter cette mutation, avant de connaître les conditions de travail, sinon ils sont licenciés pour raisons personnelles et ne perçoivent pas le chômage »déplore Vincent Gautheron (CGT RATP). Dans cette activité agréée aux marges plafonnées et structurellement faibles qu’est le transport urbain, la masse salariale représente près de 60 % des coûts de production. « Le seul levier dont disposent les opérateurs pour générer des profits est de mettre en place des services en deux étapes. Un agent travaillera une partie de sa journée le matin. Puis retour le soir aux heures de pointe. Cette organisation rebute les employés potentiels”prévient le responsable syndical.
Par ailleurs, à partir de 2022 et pour préparer la compétition, la RATP a instauré un nouvel horaire journalier, avec une tranche horaire pouvant aller jusqu’à 13 heures. Une mesure qui, selon IDFM, ne serait pas pérennisée dans le Contrat Social Territorialisé, qui réduit la durée du travail à 11 heures. Or, comme le rappelle Vincent Gautheron, la présidente d’IDFM Valérie Pécresse « demande aux agents de ne pas accepter cette disposition, sinon elle entraînerait le recrutement de 700 à 800 chauffeurs, alors que les problèmes de recrutement sont récurrents en raison du manque d’attractivité des métiers. »
Par ailleurs, si la rémunération garantie est calculée sur les 12 derniers mois précédant le transfert, des mécanismes de compensation différentielle sont possibles. « Les opérateurs répondent aux appels d’offres avec des prix cassés. Or, ces derniers sont souvent inférieurs au coût réel de production. »explique Vincent Gautheron. Ainsi l’opérateur peut calculer une rémunération inférieure à celle prévue lors du transfert. Puis, chaque mois, payez une partie de la perte en indemnisation différentielle, avant de la régulariser en fin d’année. « Ce mécanisme est prévu dans les réponses aux appels d’offres et permet à l’opérateur de disposer d’une petite caisse en jouant avec la rémunération des agents »poursuit le cégétiste. Un flou sur les salaires perçus en fin de mois qui peut rebuter certains candidats au recrutement.
Reste à savoir qui paiera en cas de dérapage. IDFM assure que cette compensation différentielle sera à la charge des opérateurs. « Il est évident que ces DSP comportent un risque financier. Mais ce n’est pas aux contribuables de rattraper les engagements non tenus. »assures Grégoire de Lasteyrie. However, as Céline Malisé reminds us, « 90 millions d’euros en deux ans d’allongement budgétaire ont été débloqués pour le réseau Optil (petite couronne, ndlr), afin que les opérateurs puissent finaliser leurs budgets et payer les salaires. » Un mécanisme qui n’a pu être reconduit sur les contrats des anciens lots RATP, compte tenu de la situation financière d’IDFM selon la CGT. « Cela a conduit Transdev à ne pas postuler pour ces premiers lots »assure Vincent Gautheron.
Un précédent inquiétant en petite couronne
Reste à voir les conséquences concrètes de ces bouleversements sur le quotidien des Franciliens. En grande couronne, dès 2021, 120 contrats d’exploitation ont été regroupés en 36 lots du réseau de bus Optil, avant d’être soumis aux appels d’offres. « Trois ans après la mise en place de ces délégations de service public en grande couronne, nous avons acquis une expertise, says Grégoire de Lasteyrie. Ce qui a fonctionné pour Optil réussira à Paris et sa proche banlieue. » Ce bilan n’est cependant pas tout à fait rose. De Tremblay-en-France à Argenteuil, les conflits salariaux ont explosé ces derniers mois dans les réseaux gérés en DSP par Keolis et Transdev en Île-de-France.
A Saclay, Cap Île-de-France (RATP) n’a pas pu honorer ses engagements en matière d’approvisionnement, en raison d’un matériel défaillant récupéré auprès de l’ancien opérateur. Au final, le groupe communiste de la Région figure au “au moins 200”c’est le nombre de bus annulés quotidiennement dans les grandes banlieues. Les sections du PCF étaient également jeudi 7 novembre devant 150 gares en Île-de-France pour sensibiliser les usagers. « Même les employeurs commencent à douter d’une privatisation à la Pécresse »conclut un suiveur assidu du dossier.