ces petits détails qui rendent la vie difficile aux sans-abri à Paris

Par

Émilie Salabelle

Publié le

6 juin 2024 à 18h04

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On les croise souvent au détour d’un trottoir, d’un auvent ou d’un recoin des entrailles de la ville. Sous la forme de balles, pics, clous ou des parcelles, ces constructions aux atours plus ou moins esthétiques ont l’ambition moins avouée deempêcher l’installation des sans-abri.

Ces « hors mobilier urbain », souvent appelés dispositifs anti-sans-abri, sont une forme de violence supplémentaire pour ces populations précaires, déjà mises à mal par la démarche des JO, tandis que les acteurs du monde social dénoncent une « épuration sociale » dans les rues de Paris et mettent en garde contre une recrudescence des expulsions en Île-de-France et hors région. Le mercredi 5 mai 2024, des personnes en situation de précarité, bénévoles de l’association La Cloche, se sont lancées dans une visite guidée un peu particulière autour de Bastille.

Visite olympique des installations anti-sans-abri

Patrice, tout sourire sous sa longue barbe grise, lance le tour opérateur du quartier : « Je voulais vous faire découvrir ces beaux starters. Combien cela-a-t-il coûté? J’aimerais bien savoir», plaisante-t-il à la vue de blocs obliques placés à l’entrée abritée d’un immeuble. Les coureurs se mettent en position, le signal de départ est donné. La déambulation atypique se poursuit le long d’un espace clôturé par des barreaux métalliques : « Une belle réserve de javelots pour les JO ».

Une imposante jardinière près d’une sortie de parking à Paris (©ES / actualité Paris)

Derrière cette scène cocasse, un message clé : « On va s’exercer sur ce meuble, parce qu’on ne peut pas faire grand chose d’autre. Notre idée était d’impliquer avec humour les personnes touchées par la précarité», explique Goli Moussavi, directeur de la section nord de l’association de lutte contre l’exclusion La Cloche.

« Marcher la nuit, faire une sieste le jour »

Au fil de la déambulation, un minuscule banc se transforme en table de ping-pong, une jardinière massive se transforme en réceptacle pour la flamme olympique, des balles en fonte vissées au sol deviennent des balles de golf. Equipé de son club, Gilles pose devant les photographes.

Un banc étroit et sans dossier transformé en table de ping-pong. (©ES / actualité Paris)

Après dix ans passés dans la rue, il connaît ces ficelles inhospitalières comme sa poche. « Je me souviens d’un bel endroit où nous avions installé cinq ou six tentes. Dans la nuit, des barricades ont été dressées. C’était un combat”, raconte celui qui préférait “marcher toute la nuit et somnoler le jour dans le métro”, pour “le plaisir de rencontrer d’autres insomniaques”, mais aussi parce que “c’était plus simple”, avoue. il sous sa casquette. « Il est temps que ces pratiques cessent. C’est comme pour les expulsions : on cache la pauvreté sous le tapis.» En Île-de-France, à proximité 13 000 personnes ont été expulséesparfois hors de la région, en un an, a documenté le collectif L’envers de la médaille dans son récent reportage.

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«Je marche des heures pour trouver un endroit où dormir»

Mike, 26 ans, actuellement à la rue, a également été délogé du coin qu’il avait trouvé pour dormir. « C’était un endroit calme et abrité, un peu à l’écart, vers la station Palais Royal-Musée du Louvre. Ils ont mis en place des choix. Maintenant, je marche parfois plusieurs heures avant de trouver un endroit où dormir. Je me suis retiré à Orly», explique le jeune homme, énumérant les discriminations omniprésentes dans son quotidien. « Quand tu es dans la rue, tu es considéré comme un sale, un alcoolique, un toxicomane. Je ne suis rien de tout ça. »

« Hors mobilier urbain, ils sont placés dans des endroits abrités, plus éloignés de la circulation, où ils peuvent s’allonger. Il ne leur reste que les espaces les moins confortables, les plus exposés », résume Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre.

De la pioche aux sculptures, des stratégies plus ou moins subtiles

Souvent visuellement agressifs, les développements anti-sans-abri dans les villes sont parfois plus subtils. « On peut tomber sur des sculptures qui ont l’air jolies, mais qui remplacent un espace vide où se tenaient autrefois les gens. Si l’on va plus loin, on constate queagrandissement des terrasses repousse aussi les publics précaires. Nous sommes dans la logique d’une ville marchande, créée pour des gens qui consomment », explique Samuel Buteau, chef de projet au sein de l’association Des Cris des Villes, qui lutte pour un meilleur partage de l’espace public. Comme aussi la transformation de abri bus plus ouvert et équipé d’une assise étroite, entourée d’un petit accoudoir empêchant de s’allonger dessus. « Il y a aussi tout simplement bancs retirés», commente Goli Moussavi.

Appareils difficiles à supprimer

Si la Ville de Paris engagé en 2018 à n’utilise plus ces méthodes, le mobilier urbain d’exclusion prospère toujours à Paris. « Ce sont plutôt les commerçants qui installent ces objets devant leur vitrine, pour éviter de stagner devant chez eux ; ou des copropriétaires qui ne veulent pas voir leur entrée squattée», explique Manuel Domergue, de la Fondation Abbé-Pierre. Les autorités organisatrices des transports sont également concernées « Il existe de nombreux bancs anti-sans-abri à la RATP, à la SNCF, chez Kéolis… Donc des services publics ou délégués », indique l’association.

Les armes pour lutter contre ces pratiques sont maigres. « Notre principal levier d’action est la sensibilisation des citoyens. A leur niveau, s’ils constatent que leur copropriété utilise ces méthodes, ils peuvent tenter de faire bouger les lignes”, espère Goli Moussavi.

Un dispositif en forme de starter block. (©ES / actualité Paris)

« S’il y a du monde dans la rue, il faut accepter les contraintes et parfois les désagréments qui vont avec. C’est le prix à payer pour une politique qui ne résout pas la question du logement. Il faut inventer un véritable système d’accès au logement. En attendant, nous devons pouvoir avoir des villes hospitalières.»

Du mobilier inclusif au bad buzz

Changer l’espace public n’est pas facile. UN projet expérimental lancé en 2020 par les associations La Cloche et Des cris des ville et le cabinet d’architecte Studaré visant à créer du mobilier inclusif a rencontré de nombreux obstacles. “C’est très compliqué d’introduire du nouveau mobilier dans la ville, il y a des commandes, des autorisations à passer, c’est une vraie usine à gaz”, décrit Émile Colin, architecte du cabinet d’architectes Studaré, évoquant une tendance à “muséifier, aseptiser” la ville. , avec des meubles uniques partout ».

LE mauvais buzz reste quand même le plus efficace, constate Manuel Domergue. « Il y a quelques années, une banque a retiré ses choix après avoir été médiatisée à ce sujet. »

C’est pourquoi chaque année, la Fondation Abbé Pierre décerne ses Pics d’Or aux équipements les plus inhospitaliers de France. « Nous espérons décourager certaines personnes d’agir, pour qu’ils craignent une mauvaise presse derrière cela, pour que cela ne passe plus comme une lettre à la poste. » L’édition 2024, qui aura lieu le 18 novembre, « ne manquera malheureusement pas d’exemples », prédit le responsable de l’étude.

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