Les cheveux sont toujours là. Le franc-parler et l’accent aussi. Face caméra, lorsqu’on lui demande de se présenter, il le fait : « Jean Le Cam, 65 ans, pas toutes mes dents ! Finistérien, donc breton, français, européen, mondial (rires)… Terrien.
Sauveur d’Escoffier
Jean Le Cam est indéfinissable. Inclassable. Indispensable aussi. Un Vendée Globe sans lui n’aurait pas la même saveur. Il y a quatre ans, celui qu’on surnommait le Roi Jean, après ses trois victoires sur la Solitaire du Figaro, jouait le Saint-Bernard des mers, récupérant, en pleine nuit, un Kevin Escoffier à la dérive dans son radeau de survie après avoir vu son bateau casse en deux. « Oui, c’était chaud », se souvient celui qui avait alors eu droit à une vidéo privée avec le président de la République. Avant de recevoir, quelques mois plus tard, la Légion d’honneur à l’Élysée.
Quatrième de l’édition précédente avec Hubert, le nom de son bateau, Le Cam prendra donc le départ de son sixième Vendée Globe. Il consacre sa vie à cette course depuis 24 ans, où il a tout connu. Joies, peines : 2ème en 2004, abandon suite à un naufrage, en 2008, au large du Cap Horn, après avoir perdu sa quille, 5ème en 2012, 6ème en 2016 et donc 4ème en 2020.
Un bateau neuf sans foil
Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il revenait à l’âge où la grande majorité des marins ont déjà choqué les draps, il a répondu : « Eh bien, que veux-tu que je fasse d’autre ? « . Il pourrait continuer à chouchouter son Swan, un superbe bateau acheté aux Etats-Unis pendant la crise sanitaire et qui offre bien plus de confort que son nouveau bolide de course. La retraite attendra.
Pas du tout convaincu par les monocoques à foils, « qui ne sont pas adaptés au Vendée Globe », répète-t-il, Le Cam a fait construire un Imoca à dérives droites pour cinq millions d’euros, soit trois millions de moins qu’un foiler. Avec ce nouvel engin qui porte les couleurs de « Tout commence dans le Finistère – Armor Lux », le Sud Finistère sait qu’il aura du mal à rivaliser avec les bateaux semi-volants. Peu importe, il a d’autres objectifs : « Donner du plaisir aux gens, c’est super important : si vous donnez aux gens, ils vous le rendent ».
« Jean est le professeur parfait »
Alors, Jean, toujours soutenu par son épouse Anne, donne. Sans parler de. Il donne notamment aux plus jeunes. A Violette Dorange, 23 ans, plus jeune concurrente de cette 10e édition à qui il a confié la barre d’Hubert : 42 ans les séparent. La mer les rassemble. « Jean est le professeur parfait », a déclaré le jeune marin.
A peine plus âgé mais tout aussi inexpérimenté aux quatre coins du monde, Malouin Benjamin Ferré a également trouvé refuge à Port-la-Forêt, dans l’antre du roi Jean. A 33 ans, le voici au départ de son premier tour du monde. « J’ai demandé à Jean s’il pensait que j’étais capable de voyager à travers le monde, il a dit oui. J’ai écouté ses conseils. »
C’est un fait, Jean Le Cam est aujourd’hui l’un des marins préférés des Français. Il faut le suivre sur le ponton des Sables d’Olonne pour se rendre compte de sa popularité : les demandes d’autographes et de selfies sont incessantes. « Pourquoi les gens m’aiment ? Pfff… Peut-être parce que je dis ce que j’ai envie de dire et quand je n’ai rien à dire, je me tais. » Clown parfois, silencieux quand ça l’arrange.
“Je ne veux pas être dérangé en mer”
Le Quimperois, qui prend parfois quelques libertés avec la langue de Molière, a toujours son franc-parler. Il a dit tout le mal qu’il pensait du « système de qualification stupide » de ce Vendée Globe, des groupes WhatsApp entre skippers, de ces obligations imposées aux marins d’envoyer des photos et des vidéos chaque semaine, sous peine de sanctions financières. « Seule ma femme a le numéro du bateau. Je ne veux pas être dérangé en mer. Je ne fais des vidéos que lorsque j’ai quelque chose à montrer. Donc ! », raconte celui qui, sans le vouloir, fait le buzz.
Quand on parle de bateaux toujours plus puissants, des vitesses atteintes et des chocs répétés qui obligent parfois les solitaires à porter des casques, il fronce les sourcils : “Là, on raconte des conneries : on ne fait pas de bateaux de mer.”
Pourtant, Le Cam est lucide, il voit bien que la course au large se porte à merveille, que les chantiers tournent à plein régime : « Tant mieux mais c’est grâce à l’intérêt du public, ne l’oublions pas. On les fait rêver, ça les sort de leur quotidien.»
Faire rêver le plus grand nombre, naviguer proprement, laisser une belle trace, parler peu mais bien, tel est le cap fixé par ce marin d’exception pour son sixième Vendée Globe. Probablement le dernier. Alors profitons-en au maximum.