Le dernier numéro des célèbres Cahiers Haut-Marnais s’engage, en novembre 2024, à faire la lumière sur le rôle et la vie quotidienne du département, devenu un camp de base pendant la Grande Guerre, voire un passage obligé pendant la Seconde Guerre mondiale. .
« Alors que nombre de nos concitoyens peinent à imaginer la guerre aux portes de l’Europe, le Haut-Marnais commémore les anniversaires de la Libération et plusieurs mémoriaux aux morts de la Grande Guerre. » C’est avec ce préambule que Charles Guéné, sénateur honoraire de la Haute-Marne et président des Cahiers, présente l’opus n°312 des Cahiers Haut-Marnais.
Quatre auteurs pour quatre thèmes. La première, développée par Bernard Plond, est consacrée aux réfugiés en Haute-Marne pendant la Grande Guerre, et a été motivée par les propos tenus par Alain Morgat en 2017, alors directeur des Archives départementales : « Il est possible de mieux comprendre les contours de l’accueil des réfugiés en Haute-Marne pendant la Grande Guerre grâce à leurs dossiers individuels qui remplissent une quinzaine de cartons d’archives, regroupés en sous-série 10 R. »
Bernard Plond et ses collègues ont donc repris cette suggestion, et au total 17 cartons d’archives seront passés au crible. Les circonscriptions administratives concernées sont celles de Chaumont, Joinville, Langres, Saint-Dizier et Wassy. Le champ d’étude est donc large dans le département et concerne un grand nombre de communes, même si certaines n’ont laissé aucun vestige, soit parce qu’elles n’ont pas eu la possibilité d’accueillir des réfugiés, soit parce que les dossiers ont été égarés. Et c’est une étude importante et passionnante qui figure dans ces Cahiers Haut-Marnais n°312 puisque, comme l’ajoutait alors Alain Morgat : « Les réfugiés ont longtemps été oubliés de la Grande Guerre ».
Les enseignants, mémoires locales
L’ouvrage retranscrit par Bernard Plond relate les profils des réfugiés dans le département, et leur traitement social et budgétaire dans nos communes. L’étude locale entend être comparée à celle menée par des historiens couvrant l’ensemble de la France.
Pour ce faire, l’auteur et son équipe ont analysé les notes prises par les professeurs de Haute-Marne. Sur 244 communes recensées pour lesquelles ces notes existent, seules 67 comportent des mentions sur les réfugiés, dont le témoignage de l’enseignant de Wassy-Pont-Varin qui « par son objectivité, confine au réalisme de Victor Hugo ou d’Emile Zola, par son exhaustivité ». , ses qualités stylistiques, il représente le « ne plus ultra » des récits relatifs aux conditions d’accueil et à l’état d’esprit que les Haut-Marnais ont su réserver aux « exilés », leurs malheureux contemporains », souligne Bernard Plond.
Place à Alain Laurent, qui dévoile dans cette édition des Cahiers le deuxième volet d’une enquête menée au sein de la commune de Puellemontier, dont les bulletins paroissiaux se sont révélés quasi muets pendant la Grande Guerre. L’impact de la guerre sur la vie du village a cependant été révélé grâce à la découverte de beaux documents iconographiques issus d’une collection privée. Ces fonds, illustrés, témoignent d’une forte présence militaire dans le village, et d’une activité opportune qui s’était de facto développée à Puellemontier : la multiplication des débits de boissons… On découvre également l’existence d’une forte activité relative aux soins prodigués aux malades. ou des chevaux blessés lors de combats. Alain Laurent prend soin de rappeler ceux qui sont morts pour la France dans la commune, 18 hommes au total, et revient sur une réalité dont Exbrayat fera un roman, sous le titre « Jules Martrat » : le rôle difficile des maires dans l’annonce des décès. aux familles.
Police américaine et allemande
Un autre saut dans le temps proposé cette fois par Adriance Bourg, qui partage les écrits passionnants de Marcel Favard, natif et habitant de Forcey, commune située à une vingtaine de kilomètres de Chaumont. Marcel Favard, né en 1902, “a décidé d’écrire ses mémoires, racontant des anecdotes précises, allant de son enfance dans la Première Guerre mondiale jusqu’au début de la Seconde et son retour au pays après sa mobilisation”, détaille l’auteur.
En 1917, lorsque les États-Unis entrent en guerre aux côtés des Alliés, leur armée se positionne en différents points fixes à l’arrière, notamment en Haute-Marne, à proximité immédiate des fronts de Lorraine et de Champagne. Chaumont abrite par exemple le quartier général du commandant en chef du corps expéditionnaire américain, le général Pershing.
En décembre de la même année, Forcey est choisi pour accueillir un premier contingent du 331st American Infantry Regiment, qui n’y reste qu’un mois. De juillet à octobre 1918, un contingent du 364e prend place. Le village s’organise alors, chaque maison devant accueillir des soldats en fonction de l’espace disponible. « Quatre grandes casernes ont été construites dans un premier temps, suivies par d’autres. Selon les relevés d’indemnisation conservés dans les archives communales, environ 1 070 officiers et 27 500 soldats servirent successivement entre décembre 1917 et janvier 1919 dans le village de Forcey. » Le récit d’Adriance Bourg, agrémenté des anecdotes de Marcel Favard, revient comme si nous étions là dans cette cohabitation hors du commun : « Ces messieurs étaient très friands de la bonne tarte aux mirabelles, mais surtout de l’eau-de-vie de prune que chaque foyer pouvait distiller à cette époque. »
Lionel Fontaine nous transporte après le débarquement en Normandie. Moins de deux mois plus tard, les Américains entrent en Bretagne. Les unités allemandes présentes se replient vers l’est, tout comme les services de répression de l’occupant implantés dans la région.
« Au carrefour des axes Paris-Epinal et Reims-Dijon, la ville de Chaumont est devenue une étape temporaire dans ce repli vers la Lorraine et l’Alsace. La ville voit ainsi s’installer le personnel d’une organisation restée célèbre dans la mémoire collective sous le nom de « Gestapo ». En réalité, il s’agissait de la Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst (Sipo-SD), c’est-à-dire de la police de sécurité et du service de sécurité. Le redoutable service qui s’installe en Haute-Marne vient précisément de Bretagne, tout comme les formations d’auxiliaires français qui viennent l’y rejoindre », écrit Lionel Fontaine.
Dans son récit, on découvre les différents groupes qui ont séjourné à Chaumont entre le 15 et le 27 août 1944, quels ont été leurs méfaits sur le département, mais aussi les Haut-Marnais qui les ont suivis dans leur fuite vers l’Allemagne et leur sort face à la justice au Libération. Notamment un certain Pierre Claudé, considéré comme le « traître numéro 1 » de la Haute-Marne, fasciné par Hitler, dont il avait un portrait sur son bureau…
Élise Sylvestre
Les Cahiers Haut-Marnais, edition 312, “Haute-Marne, from one war to another”. For sale. [email protected]