“Je suis triste», déplore Mehmet Yazar. Agé de 73 ans, l’homme a dû quitter mardi dernier son domicile, situé au 4 rue Etienne Dolet, devant la crèche départementale Janusz Korczak. “Un huissier et cinq ou six policiers sont venus vers 10h30 pour m’expulser. Je n’ai été informé de l’expulsion que la veille. Ils ne m’ont même pas donné dix minutes pour récupérer mes affaires», témoigne-t-il. Alors qu’il pensait pouvoir récupérer quelques affaires supplémentaires ce mercredi soir, comme le SGP l’avait autorisé la veille, ordre a été donné à une société de gardiennage de fermer tout accès à sa maison. “Qu’arrivera-t-il à tous mes meubles ? Il me restait même de la nourriture dans le réfrigérateur.», se rend-il compte.
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Expulsé avant les vacances d’hiver
Au lendemain de son expulsion, ce comptable à la retraite ne s’attendait pas à une telle issue. “Je pensais avoir gagné lorsque le tribunal administratif de Montreuil a donné un délai au SGP. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Heureusement j’avais acheté mon bureau», soupire-t-il. Mehmet Yazar a en effet refusé la solution d’hébergement proposée par le SGP dans un hôtel à Bondy, pour une durée de 11 jours. Aujourd’hui, il dort entre les dossiers de l’entreprise dont il a confié la direction à son fils.
Son expulsion intervient quelques jours seulement avant le début des vacances d’hiver, le 1er novembre, et si l’enquête publique, achevée le 10 octobre à Bondy, a réveillé les inquiétudes d’un nombre croissant d’habitants, ce n’est pas seulement celui de la commune. , mais aussi de Villemomble et Pavillons-sous-Bois. Une enquête publique demandée par la justice suite au recours déposé par deux habitants, Mehmet Yazar et sa voisine Denise Kasparian, qui réclamaient l’annulation de l’arrêté de transférabilité de leurs biens immobiliers pris le 21 juillet 2022 par le préfet de Seine-Saint-Denis .
Tous deux sont les seuls propriétaires de la rue Etienne Dolet (un tiers étant parti), à être restés malgré la procédure d’expropriation de la SGP, les négociations à l’amiable n’ayant pas abouti. Pour construire la future gare de Bondy sur la ligne 15 Est, l’exploitant créera une zone décalée par rapport au site principal. Une opération nécessaire, selon elle, faute de place suffisante. Située de l’autre côté des voies et de l’actuelle gare RER E, la parcelle de 3 000 m2 accueillera le centre d’habitation et le stockage temporaire des déblais provenant de l’emprise principale, via un tapis roulant.
Dans son jugement rendu le 17 juillet 2023, le tribunal administratif de Montreuil avait prononcé un sursis à statuer, donnant un délai de douze mois à la SGP et à la préfecture de Seine-Saint-Denis pour régulariser la déclaration d’utilité publique (DUP) . Un délai qui a été prolongé jusqu’au 31 janvier 2025 par un autre jugement du 24 octobre. Le tribunal avait notamment constaté la modification substantielle de l’impact du chantier par l’interdiction de circulation des camions de plus de 3,5 tonnes sur le Jules Ferry. pont, pris par le maire de Bondy en septembre 2022.
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“Dans cette histoire, j’ai tout perdu“
En attendant la régularisation de la DUP, la SGP a cependant pu expulser les deux derniers résidents de la rue Etienne Dolet, préalablement compensés financièrement pour acheter un autre bien. Le tribunal administratif de Montreuil a en effet estimé que «une telle modification n’a pas pour effet de prolonger la période pendant laquelle doit être effectuée expropriations« .
Le SGP a ainsi convoqué Denise Kasparian le 3 septembre devant le juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Paris pour demander une expulsion en urgence, alors même qu’elle finalisait l’acquisition d’une nouvelle maison. Agée de 85 ans, elle a été victime de deux accidents vasculaires cérébraux et a été hospitalisée en juin. Elle ne souhaite qu’une chose : tourner la page là-dessus »cauchemar» comme sa fille, Lydia Kasparian, qui ne souhaite plus aujourd’hui s’exprimer publiquement, a souvent décrit cette séquence. Elle a restitué les clés le 24 septembre, avant l’intervention de la police.
Son voisin, Mehmet Yazar, attendait son expulsion. “Dans cette histoire, j’ai tout perdu», souffle-t-il. “Ma femme, qui était fragile, s’est suicidée le 20 décembre 2020 lorsqu’on nous a annoncé qu’on allait nous confisquer notre maison. Ma fille est partie. Je me suis retrouvé tout seul avec mon fils qui travaille avec moi. Je suis très triste. Je n’aurais jamais cru qu’une telle chose arriverait en France», déplore cet ancien ingénieur chimiste qui a quitté la Turquie au début des années 1980 pour échapper à une situation politique tendue. “Mais je continuerai à me battre et je ferai appel du jugement du tribunal de Montreuil», prévient-il.
Sollicitée par 93 citoyens, le SGP n’a pas répondu pour développer sa position.