Par
Yann Rivallan
Publié le
30 octobre 2024 à 6h56
Ils sont soignants, parents ou simplement handicapés. En Seine-Maritime, nombreux sont ceux qui critiquent durement la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), l’administration qui accorde allocationsdes cartes de stationnement dans les places handicapées ou encore des remboursements de soins de santé.
Selon un baromètre du Fonds national de solidarité pour l’autonomie (CNSA), la MDPH de Seine-Maritime serait le pire en France métropolitaine au premier trimestre 2024 dans les délais de traitement des dossiers.
Les réponses aux demandes d’aide sont en moyenne après huit moisalors que le délai légal est de quatre mois. Une situation qui, selon nos informations, n’est pas nouvelle… Comment expliquer de telles difficultés ? Nous avons mené l’enquête.
Des retards de plus d’un an
Lorsqu’on fait appel à la MDPH, on se retrouve immédiatement confronté à un dossier épais à remplir. «C’est fastidieux», souligne-t-il. Camille*mère de deux enfants autistes. En fonction de la demande, ce fichier peut rapidement s’étendre. Bilan de santé, diagnostics, avis de spécialistes… Tout y passe !
Pour Camille, le dernier qu’elle a envoyé faisait près de 60 pages, annexes comprises. Et la moindre erreur entraîne automatiquement une référence. “On peut vous restituer votre dossier car vous avez oublié de cocher une case”, assure Corentin*dont le fils souffre d’une maladie génétique rare.
Selon les cinq bénéficiaires interrogés par 76actules longs retards ne sont pas nouveaux.
Il y a plus de dix ans, j’ai déposé un premier constat pour ma polyarthrite et il a déjà fallu attendre près d’un an pour avoir une réponse.
Mais selon le baromètre du CNSA, ces délais se sont sensiblement allongés ces deux dernières années. Par exemple, Sandrine a dû attendre presque 18 mois pour obtenir une réponse définitive.
Des candidats en grande précarité
Pour les plus précaires, les aides accordées par la MDPH sont vitales. Camille, mère de deux enfants autistes, a dû quitte ton travail de se consacrer pleinement à ses enfants : « C’était soit ça, soit le burn-out (épuisement professionnel, NDLR). »
Devenue soignante de ses enfants par la force des choses, elle peine désormais à joindre les deux bouts. Son mari travaille, mais elle reste dépendante de l’aide de la MDPH. Avec moins de salaire à la maison et des séances chez des spécialistes qui s’accumulent pour ses enfants, elle a dû demander un revenu minimum.
Mais l’attente est si longue qu’elle se retrouve désormais « avec des loyers en retard et des factures en attente ». Elle l’assure : « Nous sommes complètement pénalisés. Ma banque me met la pression. »
«Je renouvelle un an à l’avance»
Pour éviter de se retrouver coincés comme Camille, les bénéficiaires interrogés expliquent qu’ils sont obligés de prendre de l’avance.
La dernière fois, j’ai attendu environ 10 mois pour obtenir une réponse. Alors, pour éviter de me retrouver sans rien, je renouvelle mon dossier un an à l’avance.
En fonction des pathologies, les dossiers d’aide doivent être renouvelé tous les deux ans ou tous les cinq ans. Et cette règle est Source d’incompréhension pour certains : « Je ne pense pas qu’il soit possible de guérir la trisomie 21, par exemple. Alors pourquoi devons-nous renouveler les fichiers si souvent ? », assène, sur un ton ironique, Corentin.
“C’est comme si nous étions au tribunal”
Et même lorsque les demandes trouvent des réponses rapides, « nous sommes confrontés à la froideur de cette administration », regrette Corentin. Chaque dossier est examiné en commission par une vingtaine de membres. Il s’agit d’usagers, de médecins, de spécialistes, de représentants d’associations ou encore de représentants du Département de Seine-Maritime.
Devant eux, “on est comme au tribunal”dit Camille. Tout d’abord, vous devez connaître la date à laquelle votre dossier sera soumis en commission. Jusqu’à récemment, les requérants n’étaient pas forcément avertis par la MDPH et ne pouvaient pas venir plaider leur cause.
Et justement, « il faut plaider devant cette commission », s’insurge Camille. Nous n’avons pas vraiment l’impression d’être entendus. » En cas de désaccord, il est toujours possible de faire appel. Mais cela implique un nouveau délai de traitement. Selon nos informations, il faut attendre au moins trois mois supplémentaires pour réévaluer un dossier contesté.
Le vice-président du Département explique
La lenteur du traitement des dossiers, “Je suis désolé”, répond Florence Thibaudeau Rainotvice-président du Département en charge de la Solidarité Humaine. C’est elle qui surveille et administre la MDPH 76 au quotidien.
L’élu reconnaît “qu’il y a un sujet”, et nous explique les raisons de ces difficultés. Déjà, elle veut relativiser le délai supposé long depuis lequel les délais de réponse sont devenus exagérés : « En 2020, nous avons répondu en moyenne au bout de 4,4 mois (pour un délai légal de 4 mois, NDLR). » Ces dix dernières années, il y a effectivement eu des fluctuations.
Mais ils sont en partie imputables à la crise sanitaire : « A cette époque, tout se faisait électroniquement et cela nous permettait d’accélérer les procédures. Il n’y a pas eu d’accueil public. »
Augmentation des demandes et des dossiers plus complexes
Mais en 2018, avant cette courte embellie, la Cour des comptes avait pointé du doigt la MDPH de notre département dans un rapport. Les problèmes étaient essentiellement les mêmes qu’aujourd’hui : un manque de personnel traiter les dossiers et délais trop longs par rapport à la moyenne nationale.
Par rapport à aujourd’hui, « le problème venait surtout du fait que nous recevions encore beaucoup de dossiers au format papier. C’était plus long à traiter», explique Florence Thibaudeau-Rainot.
Le vrai problème en cette année 2024, c’est, selon le vice-président, « le manque de médecins en commission (ils sont indispensables pour donner un avis sur un dossier, NDLR), l’augmentation des demandes et la complexité des dossiers.
Depuis 2022, la hausse des demandes est exponentielle, selon l’élu. « Nous avons eu un rattrapage notamment sur les dossiers des enfants avec un bond de 43 % après le Covid-19. » Et la cyberattaque subie par le Département en octobre 2022 a également perturbé le traitement informatique des dossiers.
Un million d’euros pour remettre les choses sur les rails
Mais les choses bougent, selon le représentant du Ministère. Face à l’amas « colossal » de 32 000 dossiers en attentesur les 120 000 actuellement traités par la MDPH 76, la CNSA a libéré une enveloppe d’un million d’euros pour aider à changer les choses.
De nouvelles ressources s’ajoutant au récent renouvellement du parc informatique et aux nombreux recrutements effectués ces derniers mois. « Aujourd’hui, nous avons 113 équivalents temps plein contre 87 en 2020 et 2021, indique le vice-président. Et nous essayons de travailler sur tous les leviers pour mieux accompagner les candidats et leur offrir les droits dont ils ont besoin, même lorsqu’ils ne les ont pas demandés. »
Florence Thibaudeau-Rainot ne souhaite pas donner de date, mais, « à la demande constante, nous devrions pouvoir rattraper notre retard »dit-elle. Une note positive qui ne convainc pas encore. En ligne, une pétition circule depuis avril contre la MDPH 76. Elle répertorie à ce jour 1 000 signatures. Preuve qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour améliorer la prise en charge du handicap en Seine-Maritime.
*Les prénoms ont été modifiés
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