Justice – Les histoires intéressantes ne font pas toujours la une des journaux

À Mayotte, les « affaires quotidiennes » dont sont chargés les magistrats sont souvent des actes de violence, des situations de conduite sans permis, avec parfois des taux d’alcool extrêmes, des usages de faux papiers et des vols.

Pour cette audience pénale, présidée exceptionnellement par le président de la cour d’assises, le magistrat, habitué à connaître les infractions les plus graves, utilise le même modus operandi qu’en cour d’assises. Posées à voix haute et intelligible dans une salle à l’acoustique difficile, ses questions sont simples, percutantes, comme un entonnoir, partant des faits les plus généraux, vers les plus complexes, les raisons opaques qui auraient conduit à commettre un crime, en prenant soin d’écouter. longuement aux accusés.

Lors de l’audience, le tribunal et le public ne peuvent poser que des questions. Comment des personnes en situation irrégulière sur le territoire, déjà vulnérables du fait de leur statut administratif, finissent-elles par voler des papiers appartenant à autrui, pour les exploiter et les utiliser à l’aéroport ? Comment aussi, un individu, qui travaille quotidiennement auprès d’un public jeune et qui s’implique dans des associations humanitaires, conduit régulièrement, en état d’ébriété extrême, sans permis, en plein jour, à grande vitesse, dans les rues très fréquentées de Mamoudzou, plusieurs fois jusqu’à une de trop lors d’une arrestation ? Pourquoi, après plusieurs récidives, ces citoyens ne parviennent-ils pas à saisir les mains tendues par la justice et les relais associatifs ?

Récidive légale en hausse ?

Mercredi matin, sur les vingt cas, presque la moitié concernaient des personnes qui étaient légalement des récidivistes. “Il est un gaspillage!” » s’est exclamé le président de l’audience après lecture des faits, face à un enseignant récidiviste.

Le 27 décembre, alors que son permis lui a été retiré et qu’il portait un bracelet électronique, un enseignant roulait en état d’ébriété à grande vitesse dans la rue de l’Hôpital à Mamoudzou, heurtant un obstacle sur ce passage. . En attendant ce procès, le prévenu niera les faits en mettant en examen un de ses amis, qui n’était pas à Mamoudzou ce jour-là.

Au pénal, les cas de récidives judiciaires semblent de plus en plus fréquents

Depuis sa première condamnation en 2016, cet homme va récidiver. Tout en s’exprimant dans un langage très fort, il tente de justifier ses actes par des excuses, à chaque fois « inexcusables ». Malgré son métier et ses engagements associatifs, l’homme ne semble toujours pas se rendre compte que son « Un comportement problématique avec l’alcool met les autres en danger » pour reprendre les mots du tribunal. “L’image que vous donnez à ces jeunes est problématique”, relèvera le président de l’audience, avant d’ajouter “ce n’est pas vous, Monsieur, qui avez la chance d’avoir eu plusieurs mains tendues de la justice, ce sont les gens qui sont chanceux de ne pas avoir croisé ton chemin alors que tu roulais ivre (…) ».

Son profil pose question puisque malgré les stages, les aménagements de peine, les retraits de permis, le prévenu ne semble toujours pas se remettre en question. Pour lui, cette fois, la justice tranchera plus fermement : « On vous donne plein de possibilités, on vous donne des chances (…) et on a l’impression que ça ne sert à rien avec vous Monsieur ? », a interrogé le président. « Sans certitude que cela ne se reproduise plus », le tribunal suivra les réquisitions du parquet, obligeant le prévenu, lorsqu’il aura terminé sa modification de peine, à purger un an de prison et à être surveillé pour son alcoolisme.

L’alcoolisme, un sujet sous-évalué, révélé au bar

Dans une étude de Santé publique France, la consommation d’alcool à Mayotte ne serait pas si élevée mais ces données pourraient contenir de nombreux biais, selon les dossiers judiciaires.

Après lui, un homme a comparu pour avoir fui la police qui lui a ordonné de s’arrêter, à 90 km/h au centre de Kawéni, à contre-courant sur un terre-plein central pendant près de 40 minutes, équipé d’une arme et de cartouches de calibre, justifiant son acte par “une erreur de jeunesse” après avoir bu de la vodka, alors que le tribunal judiciaire de Bordeaux l’avait condamné quelques années plus tôt à un an de prison avec sursis et à l’interdiction de port d’arme. Cette fois en état de récidive légale, la sanction sera plus lourde. L’homme a été reconnu coupable de tous les chefs d’accusation et condamné à huit mois d’emprisonnement, assortis d’une amende de 300 € pour le délit et à l’interdiction de repasser son permis dans un délai de six mois.

Malgré l’enquête santé « Unono Wa Maore », publiée par Santé publique France en 2019, qui révélait notamment que la consommation d’alcool était minoritaire et occasionnelle à Mayotte, à la barre du tribunal, près d’une personne sur trois commettra des actes relevant de la loi. influence de l’alcool.

Vol d’identité plus fréquent

Plus tard dans la matinée, lorsque l’un des prévenus est venu à la barre, le tribunal a eu du mal à identifier la personne figurant sur son titre de séjour. Le doute planait sur l’identité de la personne et sur la conformité du document présenté.

Selon le code pénal, l’usurpation d’identité est un « délit interdit par la loi et puni d’une amende et/ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à 10 ans ».

En 2023, pour emmener sa fille de 6 ans chez une cousine vivant à La Réunion, Madame A confie sa fille à une voisine et lui a donné une carte d’identité appartenant à une autre personne pour que sa fille puisse prendre l’avion. «Je l’ai trouvée par terre à Combani», raconte Mme A pour se justifier. A l’aéroport, la police s’est rendu compte que la photo d’identité ne correspondait pas au physique de l’enfant et a arrêté les deux femmes. Arrivée d’Anjouan en 2017 alors qu’elle était enceinte de sa fille, Madame A affirmera être sans ressources à Mayotte depuis sept ans. Madame A a-t-elle voulu sauver sa fille en l’emmenant à la Réunion, car elle n’était pas en mesure de subvenir à ses besoins ? Le mystère perdurera. Mais pas sur sa culpabilité selon le tribunal pour les faits qui lui sont reprochés, qui la condamnera à 3 mois de prison avec sursis.

Un autre prévenu, en situation irrégulière sur le territoire, et en situation de récidive légale, tentera à son tour de prendre l’avion pour Paris, en utilisant une fausse carte d’identité, et sera également condamné à 3 mois d’emprisonnement avec sursis, accompagné d’un interdiction définitive du territoire français.

Soutien insuffisant ou sanctions inefficaces ?

Faute de soutien ou de considération suffisants, certains jeunes se tournent vers la violence

Parmi les prévenus, de nombreux jeunes adultes étaient en situation de souffrance. Alors qu’un après-midi sa mère lisait le Coran, un jeune homme a pris un balai, a frappé sa mère et a blessé une de ses amies qui a tenté de s’interposer. A la lecture des faits et à l’écoute des victimes, le jeune homme semble responsable. Mais plus il s’exprime, plus vulnérabilité nous saisit. On apprend qu’il est titulaire d’un Master en Génie Civil et qu’il enseigne à Mayotte en tant qu’intérimaire. Il confie même faire « efforts pour ne pas boire pendant la semaine » et avoue être suivi par l’association POPAM en charge des addictions à Mayotte. Par ailleurs, l’accusé reconnaîtra les faits qui lui sont reprochés mais précisera que son comportement, « qui n’excuse rien », est lié aux violences qu’il subit de la part de sa mère, « très dure », et de son « frère », qui selon pour lui, ils utilisaient toujours la force sur leurs enfants pour les éduquer. Bien qu’il ait été condamné à un an d’emprisonnement pour ces faits, le président du tribunal prendra le temps d’écouter le prévenu, l’incitant à porter plainte pour la situation de violence qu’il décrit et dont le tribunal n’a pas eu connaissance du dossier. .

Des violences « express », imprévisibles et dangereuses

Comme l’attesteront les cas suivants, de nombreux actes de violence, souvent imprévisibles, sont régulièrement commis à Mayotte. Déjà condamné en 2012, un homme s’est présenté au Centre Hospitalier de Mayotte avec un pistolet aux urgencesque le tribunal condamnera finalement à neuf mois d’emprisonnement sans modification de la peine.

Face aux cas de violences conjugales, la question de la protection de la victime, après avoir porté plainte, se pose toujours.

Un an d’emprisonnement a également été infligé à un homme qui aurait tenté d’enlever une troisième personne depuis le coffre de sa voiture. Enfin, c’est certainement l’affaire la plus « frappante » d’hier matin qui laissera le tribunal sans voix, où un homme comparaissait pour des faits de violences commises sur son épouse, à plusieurs reprises alors qu’elle était enceinte de leur enfant. ” Il m’a déjà frappé, il m’a déjà étranglé » a confié son épouse, présente dans la salle d’audience. L’homme, également présent, a justifié son geste par le fait que son épouse n’avait pas luije n’ai pas préparé de nourriture » et lui aurait dit qu’elle était alors « pas une vraie femme« . Le prévenu a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire de deux ans, mais également à une obligation de soins pour traiter son alcoolisme, et à l’obligation de suivre un cours de sensibilisation aux violences conjugales. Cet homme, père de deux enfants et employé de la mairie de Koungou, s’est montré violent lors de l’audience et a violemment menacé sa femme en quittant le tribunal.

Pour « réparer le tissu social », les audiences publiques permettent souvent de faire réfléchir le public sur les faits de la vie quotidienne, et ainsi de changer la société, mais il arrive souvent que, malgré les efforts de la justice et le soutien des associations spécialisées, certains individus le répètent, et certaines victimes finissent par ne plus échapper au point de mourir.

Mathilde Hangard

 
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