Epuisé par la lutte, un village guyanais voit son rêve d’autonomie s’effondrer

Prospérité (Guyane), rapport

Tout est parti d’un projet de développement local, d’inspiration collectiviste et autogestionnaire, lancé pour accroître l’autonomie des 320 habitants de Prospérité, dans l’ouest de la Guyane. Avant qu’un autre projet, porté par une multinationale et conçu depuis la France, vienne perturber l’alternative naissante, qui anime un village où la quasi-totalité des habitants n’ont aucun moyen de transport pour accéder aux services de base, tous situés à Saint-Laurent-du-Maroni. , à 15 kilomètres.

Co-développé par HDF Energy et le fonds d’investissement Meridiam, sur un terrain concédé par l’État, la centrale électrique de l’Ouest Guyanais (CEOG), devrait permettre d’alimenter 10 000 foyers, grâce à la production électrique de 70 hectares de panneaux solaires, stockés sur place sous forme d’hydrogène.

La résistance a échoué

Très soutenu par les élus locaux et la majorité de la population guyanaise, qui y voient une solution aux fréquentes coupures d’électricité, il a été critiqué d’emblée par les habitants de Prospérité pour sa proximité avec le village, la dangerosité potentielle du site, classé Seveso bas, la déforestation de 75 hectares ou encore l’absence de concertation.

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Lieu d’affrontements entre habitants et forces de l’ordre il y a tout juste un an, la zone déboisée est désormais silencieuse. A terme, 75 hectares doivent être défrichés.
© Étienne Gaume / Reporterre

Des réunions publiques sans interprètes ont par exemple été organisées, alors même qu’une grande partie de la population ne parle pas français. Une résistance, avec occupation du site et sabotage, se met en place, mais les recours échouent les uns après les autres.

Le 26 avril, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a lui-même déclaré “ concerné » par “ l’impact » du projet et l’absence de “ consentement libre, préalable et éclairé du peuple Kali’na ». L’instance, avec des avis non contraignants, a exhorté la France à annoncer des mesures d’ici le 26 juin afin de respecter cet accord.

“ La prospérité, tout ça, je veux tirer un trait dessus »

Cette bataille a eu des conséquences délétères sur le rêve d’autonomie de Prospérité, porté par l’association Atopo W+p+. [1]. Le projet vit aujourd’hui notamment à travers la fabrication à l’aide d’outils communs du manioc, ces galettes à base de farine de manioc largement consommées par les Amérindiens de Guyane, tâche apprise dès l’enfance et traditionnellement dévolue aux femmes. Ils rejoignent sur les marchés les œufs, les quelques fruits et légumes ou encore les plats à base de gibier et de pêche que les habitants du village mettent en vente chaque semaine.

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Un habitant de Prospérité récupère la pulpe du manioc fraîchement broyé.
© Étienne Gaume / Reporterre

Une partie de l’argent récolté finit dans les caisses d’Atopo W+p+, mais les frais de justice ont mis les finances à rude épreuve et les jours de lutte ont consommé de l’énergie, d’autant plus que la lutte s’est intensifiée en 2022 avec les premières occupations du site. “ Nous avons perdu deux ans à cause du CEOG »note sobrement Yopoto Roland Sjabere, chef traditionnel du village et descendant d’une des familles de réfugiés du Suriname qui l’ont fondé dans les années 1980.

Pire encore, la répression intense, la défaite et le sentiment d’humiliation ont fini par fragiliser les forces militantes. “ La prospérité, tout ça, je veux tirer un trait là-dessous. J’ai vu trop de choses difficiles. je ne veux plus en parler »confie Mélissa, 22 ans, ancienne figure de proue de la lutte, qui a récemment renoncé à tous ses engagements au sein d’Atopo W+p+.

Ces évolutions expliquent sans doute en partie la modestie des résultats de l’association Atopo W+p+, plus de cinq ans après les premières réflexions communautaires. A l’écart du village, deux hectares ont été défrichés, des arbres fruitiers ont été plantés, une serre, une pépinière et un poulailler ont été construits. Et quatre jeunes du village, formés à la boulangerie, peuvent désormais cuire leurs pains dans le four à pain collectif qui vient d’être inauguré.

Des aspects entiers de l’autonomie n’ont pas été initiés

Autant de produits qui complètent ce que proposent déjà les salamis des différentes familles – des parcelles sur brûlis en forêt. Et qui peut être directement transformé par les habitants grâce aux machines mises à leur disposition dans le cadre du « carbet [abri de bois sans mur] agroalimentaire » comme le broyeur de manioc, ou un instrument utilisé pour transformer le wassai [2].

Mais malgré ces dernières avancées et un système de marché désormais bien établi, la production reste faible. Surtout, des pans entiers de l’autonomie, comme l’indépendance énergétique, ne sont pas encore réellement engagés.

“ Nous voulons nous autodéterminer »

Cette impression doit sans doute aussi être attribuée au caractère expérimental de l’initiative, à sa jeunesse et à ses petits moyens. Et rappelez-vous qu’ici, tous les projets sont le fruit de longues réflexions collectives et ont vocation à se transmettre. “ en deux générations »plutôt que l’année prochaine.

Dans ce contexte, le “ projet d’autonomisation »de l’association Atopo W+p+ a pris un ton encore plus politique. “ Aujourd’hui, le système est fait pour que nous en dépendions. Mais ici, nous avons une grande forêt et des possibilités de faire les choses nous-mêmes. Nous ne voulons plus dépendre de la politique, des élus. Nous voulons nous autodéterminer », résume Roland Sjabere. Le village refuse les juteuses compensations proposées par les promoteurs du projet. CEOGy compris ceux promis pour accélérer le projet Atopo W+p+.

Cette confrontation entre deux modèles de société antagonistes a joué un rôle moteur en ravivant la colère des habitants les plus militants voulant s’émanciper du « système « . Au défrichement de la forêt, perçue comme un véritable espace de vie, tant pour la chasse, la pêche, les loisirs ou sa dimension spirituelle, les membres d’Atopo W+p+ répondent en créant un modèle d’écotourisme qui valorisera cet environnement.

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En journée, le village de Prospérité est très calme. Il se réveillera un peu avant la nuit.
© Étienne Gaume / Reporterre

“ Il faudrait organiser des visites, baliser les sentiers de la forêt. Nous avons des chasseurs motivés pour découvrir plein d’endroits intéressants »s’enthousiasme Roland Sjabere. “ L’idée est de créer une sorte de petite économie solidaire où chacun trouvera sa part. », résume Benoît Hurtrez, un habitant d’origine métropolitaine installé à Prospérité il y a quatorze ans et très actif dans ce projet. UN “ carte de passage » tout juste inauguré peut déjà accueillir les curieux et un système de distribution de repas a été mis en place.

“ J’ai l’impression que personne ne s’en soucie »

Il existe cependant un sentiment diffus que l’étincelle a du mal à s’installer, à l’image de la serre, propre comme un sifflet, mais vide de récoltes. “ J’ai vraiment envie de me réveiller un matin et de voir que nous avons beaucoup de fruits et de légumes. Mais parfois j’ai l’impression que personne ne s’en soucie »raconte Serge, 20 ans, en service civique pour l’association.

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A l’image de cette crèche, les projets de l’association Atopo W+p+ peinent à enthousiasmer les habitants du village.
© Étienne Gaume / Reporterre

Lors des discussions avec les plus jeunes résidents, une autre hypothèse, plus inquiétante, émerge. Si Mélissa en a marre de la Prospérité, c’est aussi parce qu’elle “ je vois toujours les mêmes visages » et qu’elle “ je m’ennuie là ». Elle ne rêve pas d’accueillir des touristes au “ carte de passage », ni de cuire ses maniocs au petit matin pour les vendre au marché, un modèle apprécié par ses aînés.

Un taux de suicide exceptionnellement élevé

Au contraire, elle a hâte de s’installer en France, où elle rejoindra sa sœur dans quelques semaines. “ J’ai besoin de me reconstruire », dit-elle, sans autre explication. Un chemin que Kevin, son jeune frère, suivra dans un an, pour devenir militaire, et auquel aspirent plusieurs autres jeunes.

Désir sain de voir le pays ? Ou s’évader d’un village et de ses coutumes dans lesquels on ne se retrouve plus pleinement ? “ Il est difficile d’impliquer les plus jeunes dans le projet. Beaucoup se replient sur eux-mêmes, ont du mal à s’engager »observe en tout cas Benoît Hurtrez.

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L’ennui s’attaque souvent aux jeunes du village, qui profitent des matchs de football pour retrouver les habitants des villages voisins dans un moment rare de mixité communautaire.
© Étienne Gaume / Reporterre

Il est impossible, en déambulant le long des pistes de latérite qui relient les habitations de Prospérité entre elles, de ne pas penser au sentiment plus global de malaise qui affecte depuis des années la jeunesse indigène guyanaise, souvent isolée géographiquement et tiraillée entre la vie familiale au village et . et l’extérieur, deux mondes aux antipodes.

Ce dernier phénomène, encore difficile à comprendre, est si intense qu’il pourrait faire partie des causes du taux de suicide huit fois plus élevé dans les communautés amérindiennes que dans le reste du pays, selon les premières recherches sur le sujet.

Comment, dans ces conditions, un village Kali’na peut-il construire un projet de développement autonome pour “ deux générations » dans lequel sa jeunesse se retrouvera aussi ? Après le CEOGc’est peut-être là que se situera la prochaine bataille que devront livrer les habitants de la Prospérité.

 
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