France nature environnement Creuse organise une conférence-débat sur les pesticides, ce samedi 26 octobre, à 18 heures, à la mairie de Guéret. Rencontre avec l’un des intervenants, le Docteur Pierre-Michel Perinaud, président d’Alerte Médecins Les Pesticides, une association basée à Limoges.
Quid de la dangerosité des pesticides ? Pouvons-nous sortir de notre dépendance à ces substances ? Autant de questions qui seront abordées lors de la conférence-débat organisée par l’association France nature environnement Creuse, samedi soir, dans la grande salle de la mairie de Guéret.
Et auxquels tenteront de répondre les intervenants : Sylvie Nony, professeure agrégée de physique-chimie et responsable de l’association Alerte Pesticides Hautes Gironde, et le docteur Pierre-Michel Perinaud, président de l’association Alerte Médecins Les Pesticides (AMLP). Ce dernier a accepté de répondre à nos questions.
Pourquoi proposer cette conférence sur les pesticides maintenant ?
Car la contamination de la population est générale. Comment justifier le fait que l’on retrouve du glyphosate dans l’urine de chacun d’entre nous ? Il faut remettre en question le modèle agricole qui produit cela. Mais il ne s’agit pas d’alerte, car les pouvoirs publics le savent. Les données scientifiques sont produites par les établissements de référence que sont l’Inrae (1) et l’Inserm (2). Qu’en est-il de la démocratie sanitaire si nous n’y pensons même pas ?
Pierre-Michel Périnaud is president of the Alerte des Médecins association on pesticides – Photo: Sylvain Compère
Comment votre intervention s’articulera-t-elle avec celle de Sylvie Nony ce samedi ?
Sylvie est également responsable d’une association qui alerte sur l’impact des pesticides dans son département de la Gironde. Nous nous connaissons bien car nous faisons partie d’une même coalition de collectifs, « Toxic Secrets », qui a pour objectif d’agir sur la réglementation.
Nous pensons que la réglementation concernant la commercialisation des pesticides n’est pas respectée en Europe. Celui du glyphosate, produit reconnu comme cancérigène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), a néanmoins été renouvelé en 2023, sans aucun problème. Nous avons déposé un recours contre cette réautorisation.
Nous allons donc en parler samedi. En insistant sur le fait que nous n’avons pas de croyances « a priori » sur les pesticides. On fait un constat, celui de la contamination de la population. C’est ce que nous voulons partager. Et ce, en rappelant que nous ne nous adressons pas aux agriculteurs, qui ne peuvent pas connaître l’expertise de l’Inserm.
Le glyphosate n’est toujours pas interdit en France et dans l’Union européenne. Illustration photo Jérémie Fulleringer
Quels sont les principaux risques sanitaires liés à l’exposition aux pesticides ?
Ces risques ont d’abord été soulignés parmi les professionnels du secteur agricole. Une première évaluation a été réalisée par l’Inserm en 2013. Elle a mis en évidence le développement d’une dizaine de pathologies liées aux pesticides. Les principaux étaient les cancers du sang, comme le lymphome non hodgkinien, et le cancer de la prostate. La maladie de Parkinson figurait également sur cette liste.
En 2021, l’Inserm a procédé à une revue très approfondie de la littérature scientifique qui a porté à près d’une vingtaine le nombre de pathologies à relier à l’exposition des professionnels aux pesticides.
Les niveaux de preuve ont également été réévalués pour certains d’entre eux : par exemple, la présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et l’apparition de troubles cognitifs – qui conduisent souvent à la maladie d’Alzheimer – est devenue forte. Et, pour les tumeurs cérébrales, nous avons désormais atteint un niveau de preuve « moyen ».
L’Inserm a également produit des données sur des cas de leucémie chez des enfants de professionnels exposés pendant la grossesse ou dont le père a été exposé à des pesticides.
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Nous parlons des professionnels du monde agricole et de leurs familles. Mais qu’en est-il du reste de la population ?
Malheureusement, nous retrouvons un peu la même tendance au sein de la population générale. En 2013, les données concernaient presque exclusivement les enfants. Mais on sait désormais qu’il existe un lien très fort entre cancer de la prostate et exposition au Chlordécone (3) aux Antilles : la contamination environnementale a précédé la contamination humaine. Cela prouve que les impacts de certains pesticides se produisent longtemps après leur pulvérisation.
Plus largement, dans la population générale, on retrouve désormais une diversité de tumeurs cérébrales avec un niveau de preuve moyen. Mais aussi de l’asthme et des troubles cognitifs. Par ailleurs, le lien entre les produits insecticides domestiques contenant des substances appelées « pyrétroïdes » et les cas de leucémies, mais aussi de tumeurs du système nerveux central, est démontré depuis 2013. Des troubles neurodéveloppementaux sont également détectés chez les enfants exposés à ces substances.
Sommes-nous pour autant moins exposés en Limousin, où l’agriculture est dominée par un élevage extensif qui utilise peu de pesticides ?
L’exposition de la population générale à Guéret, Limoges, Le Mans ou Strasbourg est à peu près la même.
Ce qui peut paraître surprenant. Or, les chercheurs ont déterminé que la contamination par les pesticides est essentiellement d’origine alimentaire. Malheureusement, vivre dans des régions où l’agriculture est plus extensive ne nous protège pas.
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La conférence de samedi portera sur la dépendance de nos sociétés à ces substances. Mais pourrait-on vraiment s’en passer ?
Oui. Mais encore une fois, à condition de considérer les données scientifiques. Dans un débat bien construit, je considère comme un acte politique de ne pas citer ces données. Il m’est arrivé de discuter avec un représentant du monde agricole qui niait totalement les impacts des pesticides sur la santé et la biodiversité.
En 2022, l’Inrae a étudié plusieurs scénarios d’abandon des pesticides, liés aux notions de souveraineté alimentaire et de prise en compte de la biodiversité. Car si vous remplacez les monocultures conventionnelles par des monocultures biologiques, vous ne résoudrez pas le problème de la biodiversité. Et votre système aura du mal à tenir le coup.
Un scénario qui n’est pas hors de portée consiste à s’appuyer sur une polyélevage, avec des exploitations biologiques à taille humaine, permettant de restaurer les écosystèmes et les sols. Nous ne devons pas séparer la biodiversité et la santé humaine.
Pratique. Conférence-débat, «Les pesticides, dangereux ? Peut-on s’en passer ?» Samedi 26 octobre 2024 à 18 heures, dans la grande salle de la mairie de Guéret. ENTRÉE LIBRE.
Propos recueillis par François Delotte
(1) Institut National de Recherche sur l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement.
(2) Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.
(3) Pesticide utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe de 1972 à 1993.