Ils sont américains, vivent à Montréal et observent la campagne électorale en cours avec un sentiment d’étrangeté. Vivre cela loin de chez soi est « surréaliste », disent-ils. C’est aussi un « soulagement ».
Publié à 00h46
Mis à jour à 8h30
Dans le cadre de ce reportage sur les Etats-Unis, j’ai rejoint des groupes en ligne d’expatriés américains, curieux de savoir de quoi ils parlaient dans ces forums. J’ai vite remarqué que certains en cherchaient d’autres pour parler politique. Comme s’ils devaient se détendre ; qu’ils ne pouvaient pas vivre cela seuls… Ou, du moins, pas seulement avec les Québécois.
« Il est difficile pour les Canadiens de comprendre que chaque fois que nous envoyons un enfant à l’école, nous craignons qu’il y ait une tuerie. »
C’est quand Erin Smith m’a dit ça que j’ai compris qu’il y avait effectivement un fossé entre elle et moi. Si la New-Yorkaise a choisi d’assister au débat électoral entourée d’une cinquantaine d’Américains dans un bar du centre-ville de Montréal le 10 septembre, c’est parce qu’elle estime que seuls ses compatriotes peuvent réellement comprendre à quel point la politique affecte leur quotidien.
Cela dit, elle sait que les Québécois sont curieux et informés. En discutant avec ses voisins, elle s’est vite rendu compte que beaucoup d’entre eux étaient émotionnellement investis dans la campagne électorale américaine parce que les questions soulevées avaient un effet sur leur propre vie. Certains ont des parents au Moyen-Orient, dit-elle. Ils ont raison de s’intéresser à ce qui se passe au sud de la frontière.
Certes, le regarder d’ici est bizarre pour Erin. Même chose pour Mélissa*. L’Américaine, qui préfère préserver son anonymat car elle évite de laisser des traces en ligne, est basée à Montréal depuis sept ans. Les élections en cours sont, selon elle, « incroyablement importantes ». D’autant qu’elle vote en Caroline du Nord, un État clé. Son choix peut faire la différence, et elle dit se sentir une grande responsabilité envers ses compatriotes américains qui sont moins en sécurité qu’elle. Après tout, ici, elle peut avorter, souligne-t-elle.
D’un autre côté, Melissa ne veut pas parler de politique. Vous vous réunissez comme Erin et d’autres expatriés ? “L’enfer sur terre!” » Le quotidien des Américains est tellement coloré par ce feuilleton, pourquoi en rajouter une couche ? La seule raison pour laquelle Melissa est prête à parler de la campagne électorale est d’inciter les gens à voter. Là-bas, elle prêcherait aux convertis et elle n’a pas le temps de ne pas être productive… C’est aussi pour cela qu’elle refuse de discuter de tout ça avec les Québécois.
Si quelqu’un me demande comment, à mon avis, la politique américaine peut influencer la politique canadienne, alors je serai heureux de répondre car on peut voter au Canada… Mais s’il s’agit juste de dire dans quelle mesure ce qui se passe aux États-Unis est complètement fou, ça devient presque du potin. Ce n’est pas productif !
Melissa, Américaine vivant à Montréal depuis sept ans
Elle déplore également que la seule chose que certaines personnes connaîtront des Américains soit leur monde politique. Melissa admet que cette sphère est importante pour leur identité, mais c’est loin d’être la seule chose qui définit sa nation. Elle préfère donc parler d’autres sujets avec nous.
Tamara Devine, établie au Québec depuis janvier dernier, m’avoue qu’elle a parfois envie de dire : « Ce n’est pas ma faute ! » quand les Québécois discutent de politique avec elle. « Je suis citoyen américain, c’est vrai, mais ce n’est pas comme si mon père était président ! »
De nos jours, on semble avoir tendance à s’attendre à ce que les Américains soient responsables envers nous. Tamara préfère quand même vivre cette campagne électorale à Montréal, plutôt que dans l’État de New York, d’où elle est originaire : « C’est tellement stressant quand on est au milieu de tout ça… Voir ça de loin, ça me soulage. »
Dans un français impressionnant, elle ajoute avoir remarqué que les médias québécois traitent la politique américaine d’une manière plutôt « libérale » qui ne reflète pas tout à fait son expérience américaine. Après tout, me rappelle-t-elle, la moitié des Américains ont voté pour Donald Trump lors des dernières élections.
D’ailleurs, elle a parfois l’impression que les gens se méfient davantage des humains ici qu’aux Etats-Unis ! Plusieurs Québécois ont demandé à Tamara si elle craignait pour l’avenir immédiat de son pays, une inquiétude qu’elle juge un peu « extrême »…
Nous serons toujours dans un conflit « Démocrates contre Républicains » aux États-Unis et nous continuerons à surmonter ces défis… Alors non, je n’ai pas peur de perdre tous mes droits demain matin.
Tamara Devine, Américaine établie au Québec depuis janvier dernier
Melissa constate également que le sujet est largement couvert par les médias nationaux, parfois au détriment de l’information locale, beaucoup moins « théâtrale », selon elle… « Les gens pointent du doigt la politique américaine – avec raison – mais il y a un beaucoup de choses à souligner ici aussi ! »
Je considère cela comme un bon rappel pour faire la distinction entre les questions qui nous préoccupent réellement et la chaleur du spectacle politique.
*Prénom fictif