l’exception sénégalaise

La dernière élection présidentielle sénégalaise, en mars, a contredit la tendance récente des pays d’Afrique de l’Ouest : après une série de huit coups d’État en trois ans dans cette région, le Sénégal s’est imposé comme un modèle démocratique avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la cinquième place. président.


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La victoire du nouveau président, qui n’avait jamais exercé de mandat électif et était encore prisonnier dix jours avant sa victoire, a également été concédée avant même la proclamation officielle des résultats de l’élection.

Les partisans du candidat à la présidentielle Bassirou Diomaye Faye se rassemblent à son QG de campagne après que les résultats préliminaires l’ont déclaré vainqueur, à Dakar, au Sénégal, le 25 mars 2024.
(Photo AP/Mosa’ab Elshamy)

Dans le cadre de mes recherches doctorales à l’Université de Montréal, je m’intéresse aux causes institutionnelles des violences électorales en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

Il me semble qu’en élisant un partisan de la rupture dès le premier tour, les Sénégalais, et plus particulièrement les jeunes désœuvrés, ont manifesté une grande envie de changement. Une fois de plus, ils ont surtout apporté la preuve que la démocratie électorale sénégalaise n’est pas en panne, et qu’elle est leur mécanisme de sanction positive ou négative des dirigeants politiques.

Trente ans de démocratie électorale

Le paysage politique sénégalais connaît en effet un « vent de démocratisation » important depuis le début des années 1990. En trente ans, le pays a connu trois changements politiques, signe qu’aucun parti n’a la main sur le pouvoir.

L’opposant Abdoulaye Wade a battu le président sortant Abdou Diouf en 2000, avant d’être battu à son tour en 2012 par Macky Sall. Avec la victoire de Bassirou Diomaye Faye, on assiste donc à une troisième alternance démocratique.

Aussi, pour la première fois depuis l’avènement de la démocratie au Sénégal, le président sortant n’était pas candidat à sa propre succession.

Consolidation de la démocratie

Le scrutin du 24 mars me semble consolider la démocratie sénégalaise pour trois raisons.

Le candidat de l’opposition sénégalaise Bassirou Diomaye Faye vote pour l’élection présidentielle, à Ndiaganiao, au Sénégal, le dimanche 24 mars 2024.
(Photo AP/Stefan Kleinowitz)

En procédant à son troisième changement de pouvoir en trois décennies, le Sénégal a largement passé le « test des deux revirements » proposé par le politologue américain Samuel Huntington. Selon cette dernière, une démocratie est considérée comme consolidée lorsqu’elle a connu deux alternances démocratiques depuis l’organisation des élections fondatrices ou des premières élections libres.

Le pays a donc jusqu’à présent réussi le « test de la crise ». En effet, elle a fait l’objet de nombreux chocs politiques cycliques sans succomber à la tentation d’une restauration autoritaire.

Je pense ici par exemple à la vague de protestations contre la candidature d’Abdoulaye Wade en 2012, qui s’est terminée, si elle n’avait pu être évitée, par sa sanction électorale en faveur de Macky Sall.

Enfin, comme le montrent les données d’Afrobaromètre, les Sénégalais sont profondément attachés à l’ordre institutionnel démocratique. Ils ont très souvent sanctionné des présidents dont certaines décisions contribuaient à la remettre en cause, comme Abdoulaye Wade en 2012 ou Macky Sall plus récemment.

Le candidat à la présidentielle Amadou Ba vote aux élections présidentielles. Sa candidature a été imposée par le président sortant, Macky Sall.
(Photo AP/Mosa’ab Elshamy)

Rappelons que Sall, lui-même contraint de renoncer à être candidat en raison de fortes pressions politiques internes, avait imposé Amadou Bâ pour lui succéder dans la coalition « Benno bokk yakaar ». La défaite du candidat Bâ aux dernières élections peut servir d’indicateur de la désapprobation populaire d’une telle imposition, sans parler de la contestation suscitée par les efforts du président sortant pour écarter des opposants comme Ousmane Sonko.

Une crise préélectorale, deux dynamiques

L’heureuse issue du scrutin, liée notamment à son organisation et à sa gestion sans incidents ni dysfonctionnements majeurs, ne doit cependant pas faire oublier qu’elle a été précédée d’une crise préélectorale. Depuis 2021, cette crise a provoqué de nombreuses pertes en vies humaines, des arrestations arbitraires et des dégâts aux biens privés et publics par destruction ou incendie. C’était surtout l’expression d’une âpre bataille socio-politique entre « la politique saisie par la loi électorale » et « la loi électorale saisie par la politique ».

Trois personnes devant l'affiche politique du candidat Bassirou Diomaye Faye
La victoire de Bassirou Diomaye Faye reflète la frustration des jeunes face au taux de chômage élevé que connaît ce pays d’Afrique de l’Ouest.
(Photo AP/Mosa’ab Elshamy)

En effet, le droit étant une dimension de la politique, l’organisation et la gestion des élections impliquent un ensemble de règles générales, impersonnelles et contraignantes. En raison de préférences et d’intérêts électoraux divergents, ces règles peuvent être sujettes à des manipulations, voire à des conflits d’interprétation. On en déduit alors que « le droit électoral est saisi par le politique ».

Trois manœuvres d’instrumentalisation

Afin d’assurer un certain contrôle du processus électoral et de maximiser ses intérêts électoraux, ou plus précisément ses chances de pérennisation, le pouvoir en place a eu recours à des manœuvres pour exploiter la loi électorale.

Tout d’abord, il a procédé à la mise sur la touche électorale de l’opposant populaire Ousmane Sonko, nommé premier ministre après la victoire de Bassirou Diomaye Faye.

Il a alors orchestré un report anticonstitutionnel du vote en abrogeant le décret convoquant le corps électoral. Ce report a été entériné par une loi adoptée par l’Assemblée nationale, qui a fixé la nouvelle date du scrutin au 15 décembre 2024.

Cette loi et le décret d’abrogation ont été annulés par le Conseil constitutionnel. Ce dernier a également exigé que l’élection se tienne avant le 2 avril 2024, date de fin du mandat présidentiel en cours, en raison de l’intangibilité du mandat.

Contre la décision du Conseil constitutionnel, un dialogue politique restreint initié par le gouvernement a finalement proposé la date du 2 juin 2024, suggérant ainsi de prolonger de deux mois la durée du mandat présidentiel actuel.

Ces tentatives du gouvernement d’imposer un calendrier électoral hors du cadre légal et de domestiquer le processus électoral ont rencontré une forte mobilisation sociopolitique.

Victoire de la loi électorale

Tout bien considéré, cette lutte socio-politique a abouti à une victoire de « la politique capturée par la loi électorale ». En effet, le vote a finalement eu lieu avant la fin du mandat du président sortant. L’élection incontestée de Bassirou Diomaye Faye au premier tour a ouvert la voie à la prestation de serment le 2 avril 2024, date de fin de son mandat.

Cependant, cette victoire de la « politique captée par la loi électorale » a mis à mal certaines dispositions de la loi électorale, en l’occurrence celles qui prévoient une campagne électorale sur 21 jours (et non 12 comme c’était le cas), et un délai de 80 jours entre la convocation du corps électoral et la tenue de l’élection.

Le Parti démocratique sénégalais (PDS), parti du candidat rejeté par le Conseil constitutionnel, Karim Wade, a tenté de s’appuyer sur lui pour obtenir le report du scrutin. La Cour suprême l’a rejeté au motif que le Conseil constitutionnel a « la pleine compétence en matière électorale » et que ses décisions sont à la fois contraignantes et sans appel.

Des Sénégalais et des Sénégalaises font la queue pour voter à Dakar
Des gens font la queue pour voter devant un bureau de vote lors des élections présidentielles, à Dakar, au Sénégal, le 24 mars 2024.
(Photo AP/Mosa’ab Elshamy)

Ainsi, dans la course contre la montre pour l’élection d’un président avant la fin du mandat actuel, tout a été fait pour que la constitution en tant que loi fondamentale soit respectée, quitte à violer certaines dispositions de la loi électorale, en en l’occurrence ceux qui prescrivent des délais incompatibles avec la réalisation de cet objectif.

Cela souscrit au principe juridique selon lequel « à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles ».

 
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