La Lot-et-Garonnaise Clara Marchaud veut « redonner leur humanité » aux jeunes qui vivent la guerre au quotidien

Le conflit ne devait durer que quelques semaines. Mais plus de deux ans après l’invasion russe de l’hiver 2022, la guerre est devenue le quotidien de millions de citoyens ukrainiens. A travers des thématiques universelles (l’amour, l’hygiène, la culpabilité…), la journaliste Clara Marchaud, originaire du Lot-et-Garonne, a choisi de retranscrire le point de vue, tour à tour romantique ou pragmatique, des moins de 30 ans.


Taras et Ania dans leur salle de bain à Lviv lors d’une alerte en décembre 2023.

Claire Marchaud

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture d’un ouvrage sur ces « histoires intimes de moins de trente ans », en pleine guerre ?

Quand on écrit des articles sur la guerre, dans un traitement « chaud », on ne se rend pas compte à quel point elle affecte tout le monde. Tout d’abord, c’est vrai, j’ai eu l’idée du livre parce que j’avais déménagé en Ukraine en 2021, et je fais partie de cette génération des moins de trente ans, beaucoup de mes amis sont dans cette tranche d’âge. Mais aussi parce que la guerre efface toute votre individualité et l’image de ce qu’était le pays avant. Avant le 24 février 2022, nous allions boire un verre, assister à des concerts et du coup, nous devenons soit une victime, soit un militaire, soit un réfugié dans une histoire qui n’est pas la nôtre. J’ai donc voulu redonner à ces jeunes Ukrainiens leur humanité, leur redonner la parole. Ce sont des gens ordinaires qui font des choix ordinaires dans une situation inhabituelle.

D’ailleurs, beaucoup parlent de leur intimité et de leur rapport à l’amour, qui a changé depuis le début du conflit…

Une guerre change votre rapport au temps. Du coup, nous vivons dans le présent parce que nous ne savons rien du futur. La question des valeurs est remise en question et les amoureux peuvent se rendre compte de leurs différentes perceptions. D’un côté, de nombreux couples se sont séparés, mais de l’autre, les mariages se sont multipliés. Ces décisions leur permettent de contrôler leur vie.


Anastasia et Volodymyr se retrouvent à la gare de Kramatorsk dans le Donbass pour quelques jours de congés, en août 2023.

Claire Marchaud

Les guerres en succèdent et, au fil des mois, la situation en Ukraine fait l’objet de moins d’articles ou de reportages dans les médias. Comment les jeunes que vous avez interviewés perçoivent-ils cela ?

Ils n’ont pas beaucoup de temps pour y réfléchir. En fait, en Ukraine, ce n’est pas la guerre ou la paix, mais la guerre ou l’occupation. Ils sont terrifiés par cette deuxième option, surtout dans les villes déjà occupées. La question de l’aide militaire est pour eux abstraite.

Comment décririez-vous leur état d’esprit deux ans après le début du conflit ?

La première année, on espérait encore que la ligne de front ne bougerait pas, mais comme l’aide militaire diminuait, elle disparaissait progressivement. La plupart des jeunes ont déjà perdu leur innocence depuis 2014. Mais savoir qu’à tout moment on peut être attaqué sans que rien ne se passe, on perd confiance en la justice et en l’humanité.

La Lot-et-Garonnaise a choisi la voie du journalisme pour « créer des ponts entre les sociétés ».


La Lot-et-Garonnaise a choisi la voie du journalisme pour « créer des ponts entre les sociétés ».

Claire Marchaud

Vous alternez les séjours entre la et l’Ukraine. Est-ce que c’est ce qui te fait continuer ?

Oui, en quelque sorte. Depuis plusieurs mois, je partage entre un mois en Ukraine et un mois en France. C’est vrai que ça me permet de respirer puisque mon autre logement là-bas est devenu dangereux. Il est trop difficile d’avoir encore un appartement à Kiev car on s’attend à ce que les Russes reviennent.

En complément de ce livre, vous continuez votre reportage…

Oui, je repars en juin sauf si la situation s’envenime. Je recherche des sujets susceptibles d’intéresser les lecteurs français. Je suis devenu journaliste pour créer des ponts entre ces deux sociétés et je veux continuer à être ce pont. J’aimerais travailler sur les personnes disparues et nous réfléchissons à un autre travail sur la vie quotidienne dans les territoires occupés. C’était très dur de travailler sur les crimes de guerre mais je couvre ce qui doit l’être et j’essaie de comprendre ce qui s’est passé une fois les villes libérées, comme à Boutcha. Après c’est horrible à dire, mais c’est devenu une routine. Aujourd’hui, j’apprécie les risques du métier mais il est nécessaire de retourner dans certaines zones, comme à Kharkiv, où j’ai rencontré les pompiers de la région. En temps de paix, ils éteignent les incendies, interviennent dans les accidents de la route, et puis tout d’un coup, ils sont des héros, ils cachent des gens dans leur cave ou apportent à manger aux personnes âgées qui ne peuvent pas bouger. Les sociétés française et ukrainienne fonctionnent de la même manière, donc on se pose beaucoup de questions comme : « Et si ça nous arrivait ? » Nous, Français, sommes concernés aussi, nous sommes des alliés, ce que nous oublions parfois.

Clara Marchaud viendra à la rencontre de ses lecteurs à Pessac à la librairie Encre noire le 23 mai, puis à Marmande, la même semaine au Gang de la clef à motlette. « Un si long mois de février », Clara Marchaud, Plein Jour, 21 euros.

 
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