René Maran, romancier reconnu, journaliste méconnu

Il aura fallu le travail acharné d’un universitaire pour dénicher plusieurs dizaines d’articles rédigés dans plusieurs journaux par le Guyano-Martiniquais lauréat du prix Goncourt 1921. Une belle et grosse surprise.

En 1921, la parution du roman « Batouala » suscite un scandale pas comme les autres. Un écrivain détaille crûment la face cachée de l’œuvre coloniale de la en Afrique.

« Batouala » est une fiction fortement teintée de réalisme. Son auteur : René Maran, né à Fort-de-France en 1887. Ses parents guyanais sont en escale forcée en Martinique, pour que sa mère puisse lui donner naissance.

René Maran est administrateur des affaires civiles à Fort-Archambault, dans l’Oubangui-Chari depuis 1909. Cette commune s’appelle Sarh depuis 1972. Elle est située sur la rive tchadienne du fleuve Chari, frontière avec la République centrafricaine. Ses fonctions de modeste fonctionnaire lui offrent une position idéale pour observer les us et coutumes des colons.

Il observe de première main le comportement des colons : saccage de la nature, pillage du patrimoine, abus, brimades, viols. Il découvre des Blancs ignorants, violents et arrogants. Il pensait perpétuer à son échelle la mission civilisatrice de sa France. Il se découvre un dénonciateur du racisme et de la dégradation de sa patrie.

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Image de René Maran dans « L’Incroyable Destin de Batouala »

©Freddy Mutombo

Le dégoût qu’il ressentait s’est transformé en une lente révolte intérieure qu’il a couvée pendant six années passées à recueillir des anecdotes, des faits, des témoignages. Il peut écrire un livre dont il ne soupçonne pas la puissance qu’aura cet ouvrage. Son roman reçut un accueil ambigu.

D’une part, il est le premier homme noir à recevoir le prix littéraire français le plus prestigieux. Ce qui provoqua un certain émoi parmi les chroniqueurs racistes de l’époque. Certains osent se demander si le gagnant n’a pas embauché… un nègre ! C’est vrai qu’il est inconcevable qu’un natif des tropiques puisse écrire d’une si belle manière…

En revanche, personne n’avait jamais dénoncé l’univers colonial avec cette intensité et cette justesse. Maran sera menacé de sanction par ses supérieurs pour avoir dénoncé l’indéniable. Il finit par abandonner ses fonctions en 1924 pour se consacrer à l’écriture.

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Collection René Maran Orénoque

©Catherine Lama

René Maran fut un pionnier et une référence pour les intellectuels africains et antillais à Paris. S’il ne se reconnaît pas dans le terme « négritude », il inspire la pensée et les écrits de Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire qui reconnaissent leur dette intellectuelle à son égard.

Par ailleurs, Maran a guidé les pas de celui considéré comme le chef des écrivains français, André Gide.

A son retour des colonies, il publie « Voyage au Congo » en 1927. Gide dira que son roman confirme les vérités dénoncées par René Maran une demi-douzaine d’années plus tôt.

Le témoignage du journaliste Albert Londres, auteur de « Terre d’ébène » en 1929, insiste sur l’authenticité du récit de Maran. Si un courant anticolonialiste et antiraciste existe et persiste dans la république française des lettres de l’entre-deux-guerres, c’est à Maran qu’on le doit. Sans oublier le soutien de ce grand administrateur colonial qu’est son ami guyanais Félix Éboué.

Le lauréat du prix Goncourt en 1921 n’était pas seulement un romancier. Il a publié des essais et d’innombrables articles dans de nombreuses revues.

Laure Demougin, professeure agrégée de littérature moderne et docteure en littérature française, nous propose une sélection de plusieurs dizaines de ses articles publiés entre 1912 et 1952. Une somme composée de deux volumes publiés aux Éditions L’Harmattan l’année dernière.

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©Jocelyne Helgoualch

On apprend que Maran écrit sur des sujets variés : la colonisation et le racisme, mais aussi la littérature et la poésie. Il commente l’actualité de son époque : la montée du fascisme en Italie, la guerre civile espagnole, la personnalité d’Hitler. “C’est regrettable», nous dit Laure Demougin, «que Maran s’est cantonné à son seul prix Goncourt, même s’il affiche son talent à travers d’autres écrits.

La lecture de ces deux volumes constitue une bonne occasion de s’informer sur certains aspects de la pensée subtile de René Maran. Il n’a pas eu la possibilité de retourner dans la Guyane de ses parents. Et encore moins en Martinique où il n’est resté que quelques semaines après sa naissance, le temps que ses parents rentrent en France.

Cependant, René Maran, décédé en 1960, reste indirectement lié à notre méta-nation.

René Maran, Journalisme, tome I : 1912-1933 ; tome II : 1933-1952, Editions L’Harmattan, 2023

 
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