un véritable poison pour la démocratie »

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Il est désormais clair que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris à l’été 2024 coûteront, comme toutes les éditions précédentes depuis des décennies, « une somme folle », en raison notamment de dépassements de budget. Jade Lindgaard, responsable du pôle Ecologie chez Mediapart mais aussi habitante et militante à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), s’engage à s’opposer aux effets de l’aménagement urbain et des transports en commun développés pour ces Jeux – qui l’ont conduite à être placée en garde à vue avec d’autres militants pacifiques. Son nouveau travail, Paris 2024. Une ville face aux violences olympiquesmet en lumière les démarches inutiles et brutales imposées à la population de Seine-Saint-Denis pour l’organisation de l’événement estival.

Paris 2024. Une ville face aux violences olympiques, Jade Lindgaard, éd. Divergences, 168 pages, 15 euros.

De par son titre, votre livre évoque une « Violences olympiques ». Pourquoi ce terme ?

Jade Lindgaard : Tout d’abord, dès qu’on commence à travailler sur ce sujet, on se rend compte qu’il ne s’agit pas seulement d’un événement de quelques semaines, de fin juillet à début septembre, mais d’un long processus qui, au-delà de l’organisation de compétitions sportives, s’étend sur plusieurs années et comprend un vaste aménagement permanent, l’un des plus grands projets d’Europe : celui du « village olympique », le village des athlètes, aux limites des communes de Saint-Denis, Saint-Ouen et L’Île-Saint-Denis. Cependant, selon mes calculs, pour la construction de ce village olympique, au moins 1 500 personnes ont été définitivement expulsées de leur espace de vie.

C’est pourquoi je dis que ce processus, compte tenu de la manière dont il s’est déroulé, peut être considéré comme une forme de violence. De plus, par la brusquerie du processus, sa rapidité, les conséquences imposées à tous ces gens sur leurs modes de vie, cette violence est décuplée par son invisibilité puisque, jusqu’à présent, très peu de médias l’ont fait savoir. écho de ces déplacements. Certes, il y a eu des mobilisations militantes autour des JO, contre les Jeux en tant que tels ou contre les formes que prend leur organisation, et beaucoup se poursuivent. Mais ils sont restés une très petite minorité et n’ont finalement pas fait grand-chose pour perturber le discours dominant sur cet événement sportif.

Cette brutalité est d’abord celle de l’absence de concertation, de concertation, de débat démocratique.

Je pense donc que le terme de « violence », aussi lourd et engageant soit-il, n’est pas exagéré et est même tout à fait approprié à la situation. Car cette brutalité est d’abord celle de l’absence de concertation, de concertation, de débat démocratique quant à la pertinence ou non d’organiser ces Jeux. Ce processus sans discussion est à la fois bureaucratique, à forte intensité de capital et largement soutenu par l’État, avec une dimension très autoritaire – comme le fait que les personnes les plus vulnérables sur le chemin des excavateurs olympiques ont dû évacuer. Cette histoire n’est jamais racontée.

En tant qu’habitant de Seine-Saint-Denis, vous avez vu certains de vos voisins, proches ou moins proches, devoir quitter la ville…

En effet. Cela paraît incroyable en 2024, mais c’est dans la logique même des Jeux Olympiques, puisque tous – hiver comme été – donnent lieu à des constructions imposées par le cahier des charges du CIO. Cela nécessite de construire un village olympique, et une grande piscine ou un stade olympique s’ils n’existent pas. Cela explique pourquoi les Jeux Olympiques ne sont pas seulement défendus par le monde du sport, mais aussi par des secteurs économiques puissants (le bâtiment et la construction en premier lieu, mais aussi l’immobilier ou le tourisme), car ils représentent pour eux d’énormes marchés.

Ce qui est finalement étonnant, ce n’est pas que tout cela soit caché, car il ne l’est pas du tout, mais que cette dimension passe derrière le mur ou l’écran des paillettes, des records, des performances sportives, de la fréquentation. Mais il faut être très naïf pour ne pas voir ce qu’il y a derrière ! Les pouvoirs publics locaux et nationaux ne pouvaient ignorer que les Jeux Olympiques conduisent systématiquement à des aménagements dans les quartiers populaires défavorisés, et donc à des destructions, des expulsions et des relocalisations forcées.

ZOOM : Si Paris avait dit non…


Désigné ville hôte en septembre 2017, Paris a bénéficié du retrait d’autres candidatures (Rome, Hambourg et Budapest), auxquelles les populations consultées étaient majoritairement opposées. Un accord est alors trouvé avec Paris et Los Angeles, qui acceptent d’organiser les Jeux Olympiques suivants en 2028. Jade Lindgaard peut ainsi écrire : « Ces JO, devenus soudain le miroir d’une colère sociale incandescente, n’auraient pas pu avoir lieu faute de participants. […] Le CIO peut souffler, il vient de gagner dix ans de répit. » Car il est de plus en plus difficile de trouver des villes prêtes aux dépenses faramineuses induites par les JO, dépassant systématiquement les budgets prévus pour des bénéfices très incertains.

Certes, les expulsions ou éloignements de personnes en Seine-Saint-Denis ont été bien moindres qu’à Pékin ou Séoul (c’est même incomparable), qu’à Rio ou Athènes. Mais ce processus se produit à chaque fois ! On peut donc s’étonner, par exemple, que la France ne se soit pas engagée à n’expulser personne. Paris étant l’une des villes les plus touristiques au monde, voire la plus touristique, son infrastructure hôtelière est extrêmement développée. Or, si l’idée du village olympique est d’accueillir des sportifs, quelque 10 000 personnes au maximum, on aurait pu dire qu’il était possible de faire autrement, compte tenu des millions de touristes que Paris accueille chaque année (plus de 40 millions en 2022 !). Cela aurait sans doute conduit à un bras de fer entre le CIO et la France, à cause de ce fameux cahier des charges, mais, en l’absence d’autres villes candidates (lire l’encadré), Paris aurait été en position de force dans une telle négociation.

Pourtant, ce processus va transformer ces communes, et en premier lieu leurs populations…

Oui. Au nom du rattrapage, ce qui est tout à fait compréhensible, nous avons abandonné tout le reste. A commencer par les impératifs de justice sociale puisque, avec la somme faramineuse de 2 milliards d’euros investis pour le village des athlètes, nous construisons sur 50 hectares – entre Saint-Ouen, Saint-Denis et L’Île-Saint-Denis – un immense quartier destiné à devenir des logements, dont seulement 30% seront des logements sociaux. On peut certes rétorquer que 30 %, c’est déjà bien, mais cela signifie, dans ces communes, 70 % de logements privés, accessibles uniquement aux personnes ayant les moyens d’acheter, c’est-à-dire rarement aux habitants de ces territoires. On se prépare inévitablement à changer la population de ces communes.




Sur le même sujet : JOP 2024 : les habitants des quartiers populaires seront-ils gagnants ?

C’est ce que j’ai appelé « l’extractivisme olympique » : on met d’un coup énormément d’argent dans un territoire qui en a longtemps et cruellement manqué, avec très peu de temps pour prendre des décisions depuis que Paris a obtenu les Jeux en 2017 pour qu’ils aient lieu. en 2024, soit un peu plus de six ans. Avec le soutien de l’État à tous les niveaux et des budgets considérables. C’est le plus grand événement mondial, et il suscite un imaginaire hypercapitaliste et hyper désirable chez de nombreux investisseurs. Toutes les conditions sont donc réunies pour qu’un processus de développement urbain se déroule sur un territoire qui parte d’en haut au lieu de partir des demandes et des besoins des habitants. C’est même son principal défaut.

Cela implique non seulement la gentrification mais surtout la métropolisation, c’est-à-dire l’urbanisation des terres.

Bien entendu, ce territoire et ses habitants ont besoin de beaucoup d’investissements pour que l’image de la Seine-Saint-Denis, notamment, s’améliore. Mais dépenser autant d’argent pour un événement qui va littéralement « leur tomber dessus » n’a rien à voir avec un développement censé leur profiter sur le long terme. Car cela implique non seulement une gentrification, terme sans doute encore trop doux, mais surtout l’accélération d’un processus déjà en cours : celui de la métropolisation (du plateau de Saclay ou du « triangle de Gonesse »), c’est-à-dire l’urbanisation de territoires autrefois toujours paysanne et cultivée, et un changement dans la composition des quartiers jusqu’alors ouvriers. C’est là que les élus n’ont pas joué leur rôle : celui de défendre les droits et les besoins des habitants et des territoires qu’ils représentent.

Pourtant, certains collectifs ont voulu jouer le jeu de la démocratie participative…

En effet. Mais une opposition intransigeante a prévalu à leur égard, voire la volonté d’ignorer toutes les propositions des associations citoyennes. Beaucoup d’entre eux ont cependant déclaré qu’ils n’étaient pas a priori contre l’organisation des Jeux Olympiques ; Ils ont travaillé dur, organisant des réunions publiques, formulant des propositions pour tenter de faire entendre la voix et les souhaits des habitants. Cependant, tout ce travail citoyen n’a trouvé aucun débouché politique. Ses dirigeants ont été immédiatement mis au ban des mairies, qui les ont directement qualifiés d’opposants aux Jeux olympiques. Très peu d’entre eux ont été reçus par le CIO ou le comité d’organisation des Jeux Olympiques : le Comité de vigilance olympique 93 (le premier à être créé) a en effet été reçu très poliment par le CIO, mais cela n’a pas été sans suite.

Le comité de vigilance du JO 93 a été reçu très poliment par le CIO, mais il n’y a eu aucune suite.

Cette brutalité s’est traduite par un refus de toute contre-proposition citoyenne, ce qui est extrêmement problématique d’un point de vue démocratique. Alors que reste-t-il aux habitants ? Soit la colère, avec tout ce que cela peut entraîner ; ou la démission, et donc à terme la désaffiliation politique. Ce qui est un véritable poison pour la démocratie. Compte tenu de l’ampleur de cet événement, les conséquences de la manière dont il a été imposé sont particulièrement néfastes pour le rapport des habitants de ces territoires aux institutions démocratiques.

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