INCIVILITÉ SILENCIEUSE | Le prix de non-présentation : jusqu’à 100 000 $ par an et par restaurant

Les clients qui n’honorent pas leurs réservations au restaurant peuvent faire perdre à certains établissements jusqu’à 100 000 $ par année, l’équivalent du salaire d’au moins deux cuisiniers. «Ce sont de grosses pertes», estime Laprise. Dans un environnement où la marge bénéficiaire est mince, il suffit aux restaurateurs de revendiquer le droit de sanctionner pour endiguer le phénomène, comme cela se fait aux États-Unis ou au Royaume-.

Parce que ces réserves non exécutées, communément appelées non-présentation, et les annulations de dernière minute dans les restaurants sont en hausse, affirme l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ). Au restaurant gastronomique Toqué!, ils causent des pertes variant entre 80 000 $ et 100 000 $ par année, a calculé la copropriétaire Christine Lamarche.

Les annulations de dernière minute sont celles qui rongent le plus les profits de l’institution établie depuis 30 ans à Montréal. Sur les 12 derniers mois, ces annulations représentent en moyenne 40 % des couvertures par jour, ce que Toqué ! n’avais jamais connu auparavant.

« C’est un chiffre énorme quand on voit les marges bénéficiaires des restaurants qui diminuent toujours. Cela peut faire la différence entre être rentable, atteindre le seuil de rentabilité ou être négatif.

— Christine Lamarche

« J’ai une personne à temps plein qui court après les clients et les appelle pour confirmer », raconte le cofondateur de Toqué! avec Normand Laprise. Nous sommes un restaurant gastronomique. Il est donc difficile de remplacer 10 couverts par des « walk-in ». Cela représente des pertes monétaires importantes en nourriture, en employés payés, etc. Cela devient difficile à planifier.

Des chiffres vertigineux

En 2017-2018, ce phénomène a été principalement observé dans la région de Montréal, où les plateformes de réservation ont été implantées avant les régions. Ce fléau est maintenant présent partout dans la province et il ne fait que croître, confirme le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ, Martin Vézina.

Un tiers de ses membres se disent fréquemment victimes de pas de spectacles, selon un sondage réalisé au début de 2023 par l’ARQ. Cela entraîne des pertes annuelles moyennes de 50 000 $ pour les établissements. Pour les tables gastronomiques, ce chiffre s’élève à 88 000 $.

La tendance touche particulièrement les restaurants haut de gamme. Patrick St-Vincent, directeur du développement du groupe de restaurants indépendants La Table Ronde, affirme que les restaurateurs lui parlent constamment de cette problématique. Et son organisation regroupe des restaurants très populaires comme Vin Mon Lapin ou Joe Beef à Montréal, mais aussi Battuto à Québec, les Faux Bergers à Baie-Saint-Paul, Soif Bar à vin à Gatineau ou La Cantine Côtière à Saint-Fabien en Bas. -du-Fleuve.

Une table en région peut rapporter 5% des pas de spectacles quotidiennement, et ce chiffre peut grimper jusqu’à 15 % même dans les restaurants « très connus » de Montréal.

«On parle de 40 clients sur 160 qui ne se sont pas présentés samedi dernier», rapporte Patrick St-Vincent. Ce restaurant prend la peine d’appeler chaque client pour confirmer la réservation. Ils disent oui, mais ils ne se présentent pas. Quand on compte plus de 100 dollars par habitant, ce sont des chiffres qui donnent le vertige.»

Problème de groupes

Les restaurants sont habitués à voir arriver des groupes de clients avec moins de monde que prévu lors de leur réservation. C’est le cas du restaurant Antonyme à Gatineau qui rapporte 40 % des pas de spectacles pendant la pandémie. «Maintenant, ça a baissé, mais quand on voit une réservation de plus de six personnes, on sait qu’il y a au moins 20 % du groupe qui ne se présentera pas», raconte le copropriétaire Marc-André Camaraire.

« Quand on perd 20 % de clients à 75 $ le repas, on est déjà en déficit. Il faut garder ces lieux et préparer la nourriture en conséquence, même si on sait que les gens ne viendront pas. Certains clients sont même vagues sur le nombre de personnes composant le groupe. Nous ne pouvons pas faire ça ! Nous devons nous préparer en conséquence pour le service.

Même constat au restaurant familial Attelier Archibald de Granby, qui rapporte une augmentation constante du pas de spectacles.

«C’est l’enfer», s’exclame le propriétaire du restaurant depuis 15 ans, Martin Gagnon. Les gens ne répondent même plus au téléphone lorsque vous appelez pour confirmer leur réservation. Le vendredi et le samedi soir, on parle d’au moins une vingtaine de clients qui ne se présentent pas.

« Le nombre de personnes dans les groupes n’est jamais respecté. Il y en a 28 au lieu de 40. Si j’avais su, j’aurais supprimé un serveur. Je préfère ajouter deux chaises à la fin plutôt que de perdre quatre clients. »

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Martin Gagnon, propriétaire de l’Attelier Archibald à Granby, veut imposer des frais aux clients délinquants. (Alain Dion/Archives de La Voix de l’Est)

Établissement sherbrookois depuis 15 ans, Auguste affirme ne pas avoir de problème avec pas de spectaclessauf pour les groupes.

«Certains réservent pour 20 personnes et il y en a huit», rapporte la propriétaire Anick Beaudoin.

Modification de la loi

L’ARQ est en discussion depuis plus d’un an avec l’Office de la protection du consommateur (OPC) afin d’apporter un changement au Loi sur la protection du consommateur. L’association réclame que la loi permette aux restaurateurs de prélever une somme d’argent sur la carte bancaire des clients lors de la réservation, et de la conserver en cas d’absence. Cette pratique est actuellement interdite par la loi. Cependant, cela est permis dans d’autres provinces.

«Les seules réponses qu’on reçoit, c’est que le dossier est à l’étude», rapporte Martin Vézina de l’ARQ. Après plus d’un an de discussion, nous aimerions avoir une réponse. Notre position est claire : nous devons changer le comportement des consommateurs et cela peut se faire en modifiant la loi.

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Martin Vézina, porte-parole de l’Association Restauration Québec, milite pour une modernisation de la Loi sur la protection du consommateur. (Photographes commerciaux)

«Personne ne va gagner de l’argent avec ces frais», renchérit Patrick St-Vincent. Il s’agit simplement de sensibiliser les clients.

Malgré l’illégalité de cette pratique, certains établissements facturent des frais aux clients absents. Parmi eux, 41 % déclarent que pas de spectacles baisse de 75%, rapporte l’ARQ dans un sondage.

Plusieurs restaurants auraient recours à cette mesure si elle devenait légale, comme Martin Gagnon de l’Attelier Archibald. « Ce serait la plus belle des choses », estime le propriétaire du restaurant qui attire en moyenne 300 personnes par soir.

En attendant, le restaurant prend note des noms des contrevenants et ferme ses portes aux clients plusieurs fois absents.

Chez Antonyme, M. Camaraire imposerait des frais de réservation pour les groupes.

Certaines institutions sont immunisées contre le problème. Le chef-propriétaire du restaurant Le Clan dans le Vieux-Québec, Stéphane Modat, s’estime chanceux que ce phénomène soit rare chez lui. Lorsqu’un grand groupe réserve, il facture à l’avance le nombre de personnes figurant dans la réservation, qu’il manque ou non des invités.

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Stéphane Modat, chef du restaurant Le Clan, ne souffre pas de « no-shows ». (Érick Labbé/Archives Le Soleil)

Pour l’instant, il n’envisage pas d’imposer des frais aux clients délinquants.

“Je trouve qu’on tombe vite dans la prise d’otages”, estime le dirigeant. Je me dis qu’il faut faire confiance à l’humanité.

Impact minimal dans les restaurants familiaux

Les restaurants familiaux souffrent beaucoup moins pas de spectaclesnote Martin Vézina de l’ARQ.

À La Cage – Brasserie sportive, le personnel prend le temps de confirmer chaque réservation ce qui réduit le problème, confirme le président Jean-François Dubé. Seul un quart des chaises sont réservées, ajoute-t-il.

>>>Jean-François Dubé, président de La Cage - Brasserie sportive, ne rapporte aucun problème lié aux « non-présentations ».>>>

Jean-François Dubé, président de La Cage – Brasserie sportive, ne rapporte aucun problème lié aux « non-présentations ». (La Cage – Brasserie sportive)

« Ce n’est pas un problème quotidien pour nous », assure-t-il. Avec le type de nourriture que nous servons et le type de restaurant que nous sommes, nous ne sommes pas dans cette situation. Je ne serais pas à l’aise d’imposer des frais lors de la réservation, cela représenterait une charge pour les clients.

Autres solutions

Certains restaurants demandent le numéro de carte de crédit lors de la réservation, sans frais, précise Martin Vézina. D’autres, comme Attelier, remplissent une liste noire de mauvais clients.

Certains restaurants gastronomiques proposant des menus fixes exigent le paiement de la totalité du repas au moment de la réservation. Cette mesure est légale puisque la sortie est considérée comme un événement, au même titre que l’achat d’un billet de spectacle. C’est le cas du restaurant Chez Saint-Pierre, qui rouvrira ses portes à la mi-mai pour sa 20e saison. Les arrhes versées au moment de la réservation serviront à financer la réouverture du restaurant. Pour la chef Colombe St-Pierre, c’est essentiel pour la viabilité de ce projet saisonnier.

Depuis plusieurs mois, Christine Lamarche affiche plus de tables en réservation sur la plateforme OpenTable qu’il n’y en a réellement au restaurant.

« On vit dangereusement avec ça, mais je n’ai jamais démarré un service sans pouvoir asseoir quelqu’un qui avait une réservation », affirme-t-elle. Je sais que les gens ne viendront pas. Il est difficile de remplacer autrement un groupe de six personnes qui annulent 15 minutes à l’avance.»

Le restaurant proposant à la fois le menu fixe à plusieurs plats et l’option à la carte, il ne peut pas exiger du client qu’il paie la totalité de la facture au moment de la réservation.

Christine Lamarche envisage d’imposer des frais aux clients qui ne se présenteront pas ou qui lui seront remis s’ils reviennent manger au Toqué!.

« Cela me chagrinerait de devoir faire ça, pour la clientèle locale qui nous connaît », affirme Mme Lamarche. Ce serait un peu ennuyeux. C’est censé être le amusant Restauration.”

 
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