Des policiers qui ignorent leurs pouvoirs dans les affaires de santé mentale

Des policiers qui ignorent leurs pouvoirs dans les affaires de santé mentale
Descriptive text here

Déclaré non criminellement responsable à cinq reprises depuis 2013, Isaac Brouillard Lessard a dû respecter les conditions de mise en liberté déterminées par la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM) au moment où il a tué la sergent Maureen Breau avant d’être abattu lors d’une opération policière à Louiseville. Durant les jours qui ont précédé le drame, la police n’a pas usé de son pouvoir pour hospitaliser ce dernier alors que ses proches disaient qu’il souffrait de psychose. Ils ignoraient l’existence même du CETM, qui n’est pas abordé dans le programme de formation des policiers.

Trois des quatre policiers intervenus auprès de M. Brouillard Lessard ne savaient pas ce que signifiait l’acronyme CETM au moment des événements. Lors de l’enquête publique sur le décès de l’agent Maureen Breau, qui s’est terminée le 21 mars, les policiers intervenus auprès de M. Brouillard Lessard trois jours avant le drame, mais également le jour du drame, ont été appelés à témoigner.

« C’est la première fois que j’entends discuter de ce sujet autour de la table. Je viens de découvrir ce que c’était. C’est bien beau de dire « CETM », mais il faut savoir ce que c’est », a déclaré la patrouilleuse Élodie Lévesque lors de de son témoignage à l’enquête publique sur le drame.

Trois jours avant le drame, les trois policiers venus au domicile d’Isaac Brouillard Lessard estiment qu’ils n’ont aucune raison d’intervenir auprès du jeune homme atteint de troubles schizo-affectifs, malgré les appels de ses parents inquiets en raison des 400 SMS et messages vocaux menaçants qu’ils ont reçus.

«Nous sommes sortis tous les trois [agents] et nous nous sommes demandés : pensez-vous que nous devrions postuler un P-38 ? Nous nous sommes regardés tous les trois et avons eu la même réaction. C’était non. Absolument pas. Nous n’avons rien. Nous n’avons rien à appliquer un P-38. Cela n’a pas été une longue discussion, nous nous sommes tout de suite entendus”, a déclaré l’agent William Berrouard lors de son témoignage devant la coroner Géhane Kamel.

La loi P-38 à laquelle fait référence l’agent Berrouard permet aux médecins de demander à un juge d’exiger l’hospitalisation d’un patient qui ne souhaite pas être soigné s’il présente un danger imminent pour lui-même. pour d’autres personnes. Or, dans le cas d’Isaac Brouillard Lessard, les policiers ignoraient complètement qu’ils avaient le pouvoir de l’amener à l’hôpital responsable de son dossier sans utiliser le P-38 puisqu’il contrevenait à deux des conditions de mise en liberté imposées par la CETM. , à savoir maintenir la paix et s’abstenir de consommer de la drogue.

« C’est là qu’on demande beaucoup à la police, c’est-à-dire comprendre la menace qui vient de quelqu’un qui a des problèmes. [de santé mentale], ce n’est pas la même chose que quelqu’un d’autre menace de la même manière. Je pense que c’est bien plus au niveau clinique qu’il faut regarder ces SMS, qu’au niveau purement criminel. Je trouve que c’est l’erreur qu’on fait», estime Anne Crocker, directrice de la recherche et de l’enseignement universitaire à l’Institut de psychiatrie légale Philippe-Pinel.

“On prend les mêmes lunettes pour regarder des cas différents et on demande le même jugement”, ajoute le chercheur.

Mmoi Crocker suggère que les policiers ne devraient pas être les seuls à décider si la menace est présente ou non. « Il faut écouter les familles et les équipes cliniques doivent être identifiées rapidement, sensibilisées au dossier et évaluer le patient car à ce moment-là, elles ont le pouvoir de faire revenir quelqu’un », estime-t-elle.

Un point de vue partagé par Michael Arruda, policier de Montréal, retraité et spécialiste en intervention de crise, appelé à témoigner dans le cadre de l’enquête publique du coroner. « Un policier est-il capable de procéder à une évaluation des risques ? C’est la question», dit-il dans une interview. « Actuellement, la police n’est pas en mesure de déterminer si une personne est dangereuse avec les informations dont elle dispose. Comme je l’ai dit au coroner, une personne qui a un problème de santé mentale peut très bien se contrôler en cas de crise lorsqu’elle voit la police. Lorsqu’un parent appelle et dit : « Mon fils est en psychose », le policier pense que la personne est hors d’elle, qu’elle fait des choses étranges, qu’elle raconte des histoires incohérentes. Et puis il arrive, la personne est assise, puis il fume sa cigarette et il dit : « Non, non, tout va bien. Le policier dit : « OK, super, la personne a l’air bien », puis s’en va. Or, la personne est extrêmement dangereuse», observe M. Arruda.

La loi P-38, rappelle-t-il, a notamment été mise en place parce que les policiers ne sont pas en mesure d’évaluer le danger.

Un manque de connaissances

Quand Mmoi Kamel lui a demandé s’il était conscient qu’il pouvait recourir à un manquement à un ordre de la CETM, l’agent Berrouard a été catégorique : « Non, je ne connaissais pas du tout ça, la CETM et toutes ces choses- là, au moment de mon intervention», dit-il.

Cette méconnaissance du CETM ne surprend pas une seconde Michael Arruda : « En général, les policiers ne le savent pas. Ce ne sont pas des sujets que nous abordons de manière régulière», précise l’ex-policier.

L’Académie nationale de la police du Québec nous a également confirmé qu’elle n’aborde pas le CETM dans son enseignement. « Les spécificités entourant le travail des policiers auprès des personnes déclarées non responsables criminellement ne sont pas abordées dans le programme ni dans la formation de perfectionnement des policiers liée au travail auprès des personnes dont l’état mental est perturbé », explique Véronique Brunet, chef du bureau. du registraire et des communications de l’Académie nationale de police du Québec.

Il existe cependant un document intitulé Processus entre la Commission d’examen des troubles mentaux et le Centre d’information de la police du Québec qui est attaché au Guide des pratiques policièresla bible de soutien et de référence visant à harmoniser les pratiques policières au Québec.

Les informations contenues dans les décisions de la CETM concernant les personnes ayant reçu un verdict de non-responsabilité criminelle sont enregistrées au Centre de renseignements de la police du Québec (CRPQ) depuis 2009 « pour la sécurité publique ». Cette information est transmise par courriel par le Tribunal administratif du Québec aux corps policiers concernés. La police est ainsi en mesure de savoir si la libération de la personne non pénalement responsable est inconditionnelle, conditionnelle ou si elle doit rester en détention dans un hôpital. Les modalités de libération ou de détention sont précisées. Lors de l’étude annuelle du dossier, les corps policiers doivent recevoir des informations à jour dans le CRPQ.

La CETM peut déléguer une partie de ses pouvoirs au directeur de l’hôpital pour assouplir ou restreindre la liberté d’une personne. Cette information est également indiquée dans le CRPQ.

« Selon l’article 672.91 du Code pénal, le policier peut arrêter la personne sans mandat en cas de non-respect de la décision de la CETM », précise le document consulté par Le devoir, bien qu’il ne soit pas accessible au public pour des raisons de sécurité. L’officier de police peut soit la contraindre à comparaître devant un juge de paix par citation ou citation à comparaître, soit la livrer au lieu mentionné dans la décision.

Un formulaire de signalement des manquements à une ordonnance de la CETM doit être rempli par le responsable de l’hôpital désigné afin que les policiers puissent localiser la personne concernée.

Contacté par Le devoirla Sûreté du Québec (SQ) confirme que tous les policiers ont bel et bien accès à ces informations via le CRPQ.

« Les informations contenues dans les décisions de la CETM sont transmises directement aux services de police, via leur adresse courriel, dès réception de la décision du tribunal. Puisque les conditions d’une personne faisant l’objet d’un ordre de la CETM doivent être fournies au CRPQ, elles peuvent être consultées par les patrouilleurs et, par conséquent, les autorités du service 911 ou les centres d’appels. Les agents peuvent, selon les circonstances, contacter les hôpitaux désignés par la CETM», indique Ann Mathieu, porte-parole de la SQ.

A voir en vidéo

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Quel temps fera-t-il à Lorient et ses environs le vendredi 3 mai 2024 ? – .
NEXT L’Europe vue de Saint-Capraise-de-Lalinde en Dordogne